Je retrouve un ami Français dans un bar d’hôtel d’Amsterdam. L’endroit est vieillot, cossu et attire une jolie population diverse mais toujours élégante. Nous nous asseyons au bar et commandons deux gin-tonic à la barmaid.
Sans avoir besoin de le verbaliser, mon pote et moi semblons d’accord pour reconnaître qu’elle est magnifique. Grande, blonde, typique des Pays-Bas je suppose. Pour le reste, il n’y a pas grand-monde ce soir, sûrement parce que c’est un soir de semaine. Qu’à cela ne tienne, mon pote célibataire garde toujours l’œil sur la moindre opportunité mais il se décide rarement à convertir l’essai. Nous nous racontons notre été et rattrapons le temps perdu. A cause des vacances, nous ne nous sommes pas vu depuis plus d’un mois.
A un moment, nous voyons entrer un homme endimanché et un peu nerveux. Il s’assoit à une table et commande un verre. Quelques instants plus tard, il est rejoint par une jeune fille splendide quoiqu’un peu large. Je ne dis pas que les deux sont incompatibles mais il semblerait que le regard masculin accorde une importance particulière à l’indice de masse corporelle.
Dans le cas présent, la fille est plus jolie que la plus jolie de tes copines mais le jeune homme semble un peu décontenancé en découvrant que son date pèse plus que lui. Elle paraît le remarquer, elle ne semble pas s’y être habituée. Je me permets d’imaginer qu’il s’agit d’un rendez-vous Tinder ou autre. Le mec semble tiraillé entre le fait que la meuf est vraiment jolie et le fait qu’elle porte ce que la presse féminine qualifie de « kilos en trop » pour faire vendre le numéro spécial été destiné à retrouver une silhouette de plage. Il n’assume pas. Elle le sent et cela la rend nerveuse. Du coup, il est nerveux aussi et ainsi de suite.
Je me garde bien de commenter la scène ou de porter sur ce duo des regards trop insistants. Je me contente de checker de temps à autre de manière distraite leur interaction. La tension est sensible. Les mains du mec sont sous la table. La fille quant à elle, se repositionne régulièrement et paraît soucieuse de se présenter sous son meilleur profil quitte à adopter des poses assez peu confortables. Je la trouve vraiment canon et je les trouve attendrissants sans trop savoir pourquoi.
Quelques minutes plus tard, je profite d’une interruption téléphonique pour aller leur adresser quelques mots. Poli, bref et souriant, il me répondent à leur tour avec un large sourire. A mon retour, mon pote me demande ce que je leur ai dit.
Notre conversation reprend. Nous passons d’un sujet à l’autre en enchaînant quelques verres. La barmaid semble se faire un peu chier mais conserve l’attitude professionnelle et digne d’une employée de grand hôtel. J’en avais oublié nos tourtereaux en premier rendez-vous.« Tu ne changeras jamais. Tu dois être la seule personne que je connaisse à faire ce genre de trucs. Je ne me verrais vraiment pas faire ça. »
Au moment de venir régler les conso pendant que son date est aux toilettes, le jeune homme m’adresse un sourire. Je lève mon verre dans sa direction en signe de connivence. Il rigole et adresse quelques mots à la barmaid au moment d’introduire sa carte de crédit dans le terminal de paiement. Sa plus-size beauty queen le rejoint et ils s’en vont en nous adressant un petit geste.
« On dirait que ça c’est bien passé leur rendez-vous » me dit mon pote
Avant d’avoir fini ma réponse, la barmaid revient vers nous avec deux gin tonic.
Tout à notre surprise, je me dis simplement que j’aurais aimé le remercier pour cette attention sympathique.« C’est de la part du gentleman qui vient de partir. »
La jolie barmaid sort de sa réserve :
Je lui explique qu’en les voyant un peu nerveux l’un et l’autre, j’ai formé sans trop réfléchir une hypothèse selon laquelle il s’agissait d’un premier rendez-vous entre deux personnes qui ne s’étaient pas encore vues en réel. Je connais aussi le complexe chelou de pas mal de mecs qui n’assument pas d’être vus avec une fille un peu ronde quand bien même elle leur plaît.« Je ne sais pas ce que vous leur avez dit mais ça n’arrive pas tous les jours ce genre de situation. »
Je n’avais pas vu cet épisode et je comprenais mieux le sourire extatique du mec au moment de régler les conso.« Je suis allé à leur table pour adresser un compliment à la jeune fille et féliciter le gars d’être en aussi charmante compagnie. J’ai rapidement pris congé en leur souhaitant une jolie soirée. »
« Bien vu. Cela a marché on dirait. A partir de ce moment, leur conversation s’est animée. Ils se sont embrassés un peu plus tard. »
« Really ? »
Mon pote trop heureux de pouvoir à présent converser avec la jolie barmaid a l’intelligence de me passer un petit coup de social proof.
« Je disais à JB qu’il était la seule personne de ma connaissance à faire ce genre de compliments à des parfaits inconnus sans se faire envoyer chier. »
Là-dessus, partant des observations qu’elle peut faire depuis son bar, nous nous lançons sur une conversation chaleureuse sur Amsterdam, les rencontres, les relations amoureuses et les bonnes sorties pendant l’été.Elle : « Il a bien raison, c’est trop rare ce genre d’attitude. Les gens restent généralement dans leur coin sans se parler d’un groupe à l’autre. Ou alors, c’est toujours intéressé. »
C’est à ce moment que je place une passe décisive que mon ami exploite avec l’opportunisme du renard de surface.
Moi: « L. joue à un festival ce week-end d’ailleurs, tu peux nous avoir des pass tu crois ? »
Lui: « Oui, je peux voir ça. (s’adressant à la barmaid) Cela te dirait de venir ? Je joue dimanche en journée, si tu ne travailles pas, je peux t’inviter. »
Ah le « Tu as Whatsapp", le regard de mon ami qui n’en revenait pas de prendre le numéro de cette bombe atomique.Elle: « Pourquoi pas ! Je ne travaille pas le dimanche. Tu as Whatsapp ? »
En sortant du bar, il est sur un petit nuage.
- Alors c’est pour ça que tes clients te paient ?
- Pour boire des gin et tonic toute la soirée ? non, pas vraiment.
- Non, je veux dire. Il fallait y penser sérieux de complimenter une jolie grosse pour chopper le numéro de la serveuse. C’est rusé.
- Je ne pouvais pas prédire que ça se passerait comme ça. J’en avais juste envie.
- Arrête, tu es sincèrement juste aller la complimenter pour lui faire plaisir ?
- Oui, ça me faisait plaisir de lui faire plaisir. Et puis ça a dû faire sourire la barmaid et toi-même tu as l’air bien happy d’avoir son numéro.
- Et le mec il n’était pas jaloux ou énervé que tu viennes les interrompre ?
- Apparemment pas, non. Il nous a même payé une tournée. Simplement, je précise que je ne prendrai que quelques secondes de leur temps.
- Cela n’arrive jamais qu’on t’envoie chier ou que le mec fasse une crise de jalousie ?
- Cela a dû arriver mais je ne m’en souviens pas. Primo parce que c’est rarissime et deuxio parce que des moments comme ça efface les souvenirs moins positifs. Et puis, je ne le fais pas très souvent. Moins souvent que lorsque j’étais plus jeune. Il faut croire que j’ai appris plus ou moins consciemment à reconnaître les situations qui s’y prêtent. Du coup, j’y vais moins souvent mais les réactions sont positives 99,9% du temps.
- Mais qu’est ce que tu en tires personnellement ? Ils repartent ensemble, j’ai le numéro de la barmaid et toi, c’est juste le kif de voir les gens sourire ? J’ai du mal à y croire.
- Je n’en ai aucune idée. Tout ce que je sais c’est que je me sens bien après, ces petits moments de connexion, ces social-hacks bienveillants c’est un plaisir en soi. Cela me donne l’impression de contribuer un peu au-delà de mon intérêt personnel. Si je devais trouver une raison plus cynique, je dirais que c’est aussi un moyen d’élargir le réseau de ses connaissances, de mettre en application ses compétences sociales. Tiens, quelqu’un qui ferait l’effort de parler à des collègues d’autres départements ou de déjeuner avec des collègues qui ne lui ont jamais été présentés n’aurait aucun mal à accroître son influence dans l’entreprise ou il travaille. Ce n’est pas que pour chopper des filles, tu sais. C’est une manière de vivre, et tu sais que c’est quelque chose que j’adore faire.
- Comment t’est venue l’idée de faire ça en particulier ? Je veux dire d’aller parler à des personnes en date et de les interrompre.
- Cela m’est arrivé pendant un date avec une journaliste de Cosmo. On buvait un verre et un gay sorti tout droit d’une couverture de magazine est venu me complimenter de manière subtile et polie. Le regard de la fille a changé. Le simple fait que je sois validé par une gravure de mode m’a fait marquer des points je crois. J’en ai gardé un bon souvenir et j’ai ajouté ça à mon « répertoire » Parfois, cela tient à pas grand-chose.
A retenir :
L’importance de l’observation
Les comportements prosociaux : « Les comportements pro-sociaux vous donnent de la valeur : Le comportement prosocial humain désigne les comportements de souci de l'autre, et notamment d'aide dirigés vers des personnes inconnues et en difficulté. »
Preuve sociale : Mon pote comme moi-même sommes conscients de la différence entre se la péter en affirmant ses qualités et réussites et avoir une autre personne pour en parler. Sur l’affiche d’un film, les producteurs ne se contentent pas d’affirmer « Ce film est génial. » Ils savent qu’il est plus efficace de citer un commentaire positif émanant de la critique : « Ce film est génial » New York Times. Avouez que c'est plus convaincant.
Quand la serveuse nous a parlé c’est également parce que le jeune homme nous a conféré de la valeur en nous envoyant une tournée. La preuve sociale encore une fois.
Audace : La tendance naturelle dans ce type de situation serait de converser seulement avec son ami ou son groupe d’ami. Adresser la parole à des inconnus représente toujours une légère prise de risque. Mais bon, il y a rarement de bénéfice sans prise de risque et le jeu en vaut la chandelle.