Le second, le rat des champs avait toujours vécu dans la grande ville à l'est. Il ne voyait que des buildings, des enseignes de magasins, une profusions d'endroits pour sortir, et une foule immense chaque jour dans les métros et tramways de Sourisville. Des millions d'habitants se côtoyaient chaque jour et il en était content.
Le rat des champs avait appris depuis qu'il était tout petit que tout se savait dans une petite ville. Alors, quand il draguait une souricette, il faisait bien attention à ne pas être trop violent, trop expensif et à bien passer sous les radars. Il entamait facilement des discussions sans forcer, car les souricettes des champs, malgré leur côté sauvage, étaient peu farouche à la discussion. Il faisait bien attention lorsqu'il prenait un numéro de téléphone à ce que cela ne se voit pas trop et restait discret sur ses activités. Il savait qu'il avait le temps et ne se pressait pas. Car, bien souvent, il revoyait les mêmes gens semaines après semaines. Il faisait attention à ne blesser personne, et à s'entendre avec tout le monde, car on ne savait jamais ; quelqu'un pourrait connaître quelqu'un qui lui-même pourrait connaître une autre. Et cela marchait relativement bien.
Le rat des villes agissait autrement. Il savait qu'il y avait tellement de monde dans la ville qu'il pouvait se permettre d'étaler ses exigences aux grands jours. Il ne cachait jamais ses envies, ni son expansivité, car si une souricette lui faisait la tête, il y en avait dix autres qui l'attendaient. Il essayait de marquer le plus vite et le plus fort possible les souricettes qu'il tentait de séduire, car étant nombreux et nombreuses, il fallait se distinguer de la masse. Parfois il mettait des ceintures lumineuses, ou arborait fièrement des bracelets que d'autres souricettes lui avaient donné. Fortement sollicitées chaque heure et chaque jour, il était difficile de parler aux souricettes sans se montrer percutant. Il savait aussi que vu le nombre d'habitant dans sa ville, il pouvait se permettre de snober ou blesser beaucoup de souricettes, et que pire, il fallait absolument conclure le soir-même, sinon il ne la reverrait que rarement. Et cela marchait relativement bien.
Le temps passa. Et un jour le rat des champs se senti étouffer. Il connaissait tout le monde, et tout le monde le connaissait. Il avait couché avec beaucoup de souricettes, et pas une seule souricette n'ignorait son nom. De son côté, le rat des villes en avait marre aussi. Le stress, la pollution, toujours forcer comme un fou pour pouvoir avoir pleins de souricettes, il aspirait au calme et à la sérénité. Ils se téléphonèrent alors et convenurent d'un échange. Le rat des champs allait habiter en ville; le rat des villes allait prendre la maison du rat des champs.
Ainsi fut fait. Et un matin, le rat des champs poussa la porte de l'appartement du rat des villes et vice-versa. Sitôt arrivé, l'un et l'autre se mirent en quête d'une compagne comme ils en avaient l'habitude. Mais làs, mille fois hélas, ils rentrèrent bredouille.
« Faute à pas de chance » se dirent-ils en se promettant de recommencer le lendemain. Mais le lendemain, puis le surlendemain, les choses furent identiques, c'est à dire RIEN!
Alors, ils se téléphonèrent.
« - Je ne comprends pas, dit le rat des champs, j'essaie d'être gentil, de pas être agressif, de passer sous les radars, d'être discrets, sympa et de les aborder en douceur, mais elles ne me parlent pas! Vraiment je ne comprends pas!
- Mais malheureux que tu es cousin! répondit le rat des villes, tu n'y arriveras pas comme çà! Il faut être percutant, se démarquer de la foule! Montrer que tu as envie, laisser libre cours à tes pulsions! Il y a tellement de monde à Souriville que si tu ne fais pas çà, elles ne te remarqueront jamais!
- Mais si je fais çà, quand je vais les revoir elles vont m'en vouloir non?
- Mais cousin, il y a tellement de monde qu'il sera rare tu verras que tu en revois une.
- Ha! C'est pour cela alors que je n'y arrive pas! Merci cousin!
- De rien! Moi aussi je n'y arrive pas, je ne comprends pas! Pourtant je suis drôle, percutant, je m'habille toujours de la même façon avec mes bracelets et mes ceintures clignotantes. Je montre que j'ai envie. Les souricettes qui ne m'intéressent pas je les écarte. Et cela marche de moins en moins...
- Mais malheureux cousin! Il ne faut pas faire comme cela! Tout le monde se connait à la campagne! Si tu en snobes une, elle va le dire à toutes ses copines qui vont le dire à leur entourage, et tu auras bien mauvaise réputation! Si tu montres trop que tu as envie; si tu te montres trop véhément; ca va se voir! Et les souricettes ne sortiront pas avec toi, parce que tu leur auras fait peurs où bien parce qu'elles voudront pas passer pour des souris faciles aux yeux de leurs copines. Il faut que tu sois discrets!
- Ha! C'est pour cela que je n'y arrivais pas! Merci cousin! »
Il leur fallu du temps pour changer leurs habitudes et se faire à leurs nouveaux mondes. Mais au final, l'un et l'autre furent satisfait de leur échange.
La morale de cette histoire: on ne séduit pas de la même façon dans les villes que dans les champs.