Cyrano de Bergerac est un monument du patrimoine littéraire français. Une oeuvre forte, agréable à lire ou à regarder, et je me dois de le dire parce que je vais lui en coller plein la tronche

Je crois qu'on ne peut plus lire de la même façon cette excellente pièce de théatre quand on connaît la game. Paye ton AFC . Cyrano est touchant, son panache légendaire nous impressionne, mais il a quelque chose de pathétique... En y réfléchissant un peu j'en suis venu à la conclusion que Cyrano de Bergerac est un des plus grands AFC de tous les temps.
Tellement puissant, tellement vertueux, tellement noble, et tellement... con!
Je crois que c'est pour ça qu'il plait tellement aux adolescents. Il a une manière de DECIDER que tout est perdu d'avance à cause de son nez qui, à bien y réfléchir, trouve une résonnance avec les tares dont chaque ado se croit affublé. Son courage, son talent, ne lui servent qu’à saborder le navire.
Quant à son panache… Tiens, parlons-en de son panache :
Concrètement son panache ne lui sert qu’à obtenir des victoires inutiles. Regardons la célèbre tirade des nez (acte I, scène IV) : faire un scandale en public à un mec qui se fout de sa gueule ? Super. Il n’aurait pas pu le casser à la cool, non, c’était pas possible. Il fallait absolument qu’il se donne en spectacle devant le tout Paris, le tout les armes à la main pour être certain de passer pour un boulet.
La tirade du « non merci » (acte I, scène VII) : dire non au jeu des relations au sein de la cour ? Ok, bon bah après ça il n’y a plus qu’à rester dans son coin, bravo !
Quant à Roxanne et Christian alors là c’est la lose des grands jours. Cet imbécile vient en aide à son rival au lieu de tenter sa chance ! C’est d’autant plus idiot que chacun démarre la course à la Roxanne avec un malus : l’un a un nez ridicule, l’autre a une conversation de guichet automatique. Ironie de l’histoire, la belle accorde de l’importance à ce qu’un homme a dans le cœur et le cerveau (comme toutes les filles. Et comme toutes les filles elle veut un beau mec. Et comme toutes les filles, elle peut parfaitement tomber amoureuse d’un homme qui n’est pas parfait, puisqu’au final personne ne l’est)
Si je me souviens bien l’auteur a pris soin de placer les qualités morales et l’art du discours amoureux au plus haut des aspirations de son héroïne, histoire de forcer le trait. D’ailleurs la fin de l’histoire (très confuse pour des raisons de ressorts dramatiques), Roxanne se rend compte qu’elle aimait Cyrano depuis le début, et que ce mufle lui avait caché cette information qui pourtant lui paraît diablement intéressante…
Pour moi le personnage de Cyrano est le prototype de la mauvaise influence pour les jeunes. Et tout le monde s’en fout car en termes de mauvaises influences ça se bouscule sous le nez des ados, alors un inoffensif personnage de fiction, paré de toutes les vertus par-dessus le marché, qui donc irait perdre son temps à lui demander des comptes ?
Moi !
Cyrano est un perdant. Un vrai, pas quelqu'un qui galère, non, quelqu'un qui VEUT perdre. Il a été créé pour perdre de la manière la plus spectaculaire et émouvante possible, avec en prime une rage de vaincre qui force l’admiration, mais c’est criminel à mes yeux. Se battre de toutes ses forces pour perdre, c’est péché ! Vraiment pas un exemple à suivre.
Vous n’accomplirez rien en vous comportant comme lui! D’ailleurs au final il n’a rien accompli à part s’illustrer à la guerre, faire l’entremetteuse et s’enfermer dans la solitude.
Pour revenir sur la notion de panache, c’est une arme diabolique et rare qu’il a entre ses mains, mais il en fait un jouet inutile, entièrement consacré à une fierté mal placée.
Nous avons tous une fierté mais ce n’est qu’un outil. La manière dont on l’utilise fait souvent la différence entre la réussite et l’échec, entre le bonheur et le malheur, entre une personne adorable et un sinistre connard, entre supporter l’insupportable ou au contraire déclencher des guerres totales pour des broutilles. A méditer. Qu’est-ce que les gens font de leur fierté ? De la merde, le plus souvent.
La pièce demeure très agréable à voir ou à lire, pour le style, mais si on veut faire le plein d’alphatitude, on préfèrera un bon gros Michel Strogoff. Les exemples de héros alpha sont légion, mais je trouve que Michel Strogoff fait très fort. Et comme par hasard il ne fait pas le malin au fil de son aventure. Au contraire il avale son lot de couleuvres, mais il garde le cap et rien ne l’arrête, surtout pas une fierté mal placée.
J’ai écrit ce post pour le plaisir et aussi avec une certaine condescendance face à l’éducation nationale qui, je n’en doute pas, traite ce livre comme tous les autres, à savoir un outil joli et banal pour faire exécuter aux élèves une fiche de lecture plus ou moins pompée à droite à gauche, et surtout pas pour leur apprendre à penser. (Cette corvée a été exclusivement assignée aux profs de philo, ce qui permet aux élèves de ne pas réfléchir de toute leur scolarité et de se taper des siestes homériques pendant toute leur année de terminale…)
Le fait est que l’auteur a tout fait pour rendre son héros sympathique et admirable, c’est un parti-pris qui n’est pas critiquable et qui fait tout le piquant de son œuvre, mais ça donne au lecteur et à ses professeurs des gros thèmes de réflexion, qui à mon avis ne sont pas abordés en classe, faute de temps.
Je vous parlerais bien également de la princesse de Clèves, le porte-étendart de la superlose au féminin, mais j’ai la flemme. Désolé pour la parité homme-femme.
Un petit quatrain pour la fin, afin de régler mes comptes avec ce cher Cyrano que j’aimais bien quand j’étais ado :
Désolé l’ami j’en ai fini avec toi
Ton côté Don Quichotte a cessé de faire mouche
Je suis plus réaliste et vraiment ça me va
A la fin de l’envoi, je couche