Questionnements sur l'amour, l'existence et la parentalité
Posté : 05.04.21
Bonjour,
Me livrer, ici ou ailleurs, n’est pas un exercice facile. Habituellement, écrire est une manière de rendre mon intériorité plus intelligible pour moi-même. Mais je crois qu’il est temps de sortir de cette forme d’autisme qui m’a toujours plus ou moins caractérisée, et qui pourrait peut-être résumer à elle seule ma problématique ici.
Je vais essayer de synthétiser du mieux que je peux, mais ça risque quand même d’être long. D’avance merci aux personnes qui prendront le temps de lire jusqu’au bout.
Mon meilleur ami va bientôt devenir père, "par accident" comme on dit. Un plan cul à l'étranger, la fille s'emballe, il est franc avec elle, elle tombe enceinte et garde le bébé. Tout ce qu'il y a de plus incroyablement ordinaire entre homme et femme en ce bas monde.
Il a mis du temps à m'annoncer la nouvelle, je sentais bien que quelque chose le tracassait mais je n'imaginais pas que ses ennuis pouvaient être aussi graves. Cette nouvelle m'affecte beaucoup. Je n'ai personne à qui je pourrais me confier librement à ce sujet, qui semble réveiller chez moi un désarroi existentiel dont je m’accommodais plutôt bien jusque là.
Il n'est pas juste un ami, il est sans doute mon seul véritable ami et celui qui me connaît le mieux depuis plus d'une décennie. Il est aussi ma dernière longue histoire, et nous n'avons jamais perdu le contact depuis notre rupture. Je l'aime, c’est une évidence. Je l’aime aujourd’hui comme un ami et comme un frère. Lui comme moi chérissons ce lien fait d'affection et de respect, qui ne cesse de nous faire grandir ensemble même à plusieurs milliers de kilomètres loin de l'autre.
Jusque là, les sentiments amoureux qu'il continuait de nourrir à mon égard - il m'en avait parlé de lui-même en exprimant le souhait de ne pas gâcher notre amitié - n'avaient aucune incidence sur notre relation. Non pas que j'ai fait mine de ne pas entendre ce qu'il avait sur le cœur (étant donné les circonstances de notre rupture, je me doutais que ses sentiments n'avaient pas changé), mais je lui ai exposé mon point de vue sur notre relation amicale que je ne voulais pas gâcher non plus, car bien plus enrichissante et plus saine à mes yeux qu'une relation amoureuse telle qu’on l’a vécue. Il a très bien pris ma réaction et nous sommes peut-être devenus encore plus proches par la suite.
Aujourd'hui, j’éprouve un réel malaise depuis l’annonce de cette paternité non désirée. Elle ne m’a pas choquée comme il le craignait, mais plutôt prise au dépourvu, un peu comme si j’apprenais que j’étais moi-même enceinte. Je ne suis jamais tombée enceinte à ma connaissance, donc j’ignore ce qu’une femme peut ressentir à ce moment là, mais j’ai l’impression d’être personnellement impliquée dans cette histoire.
A cette sensation nauséeuse s’ajoutent ses sentiments, qu’il m’a renouvelés (sans attente de réciprocité) alors que je ne lui avais rien demandé. Il me dit également de manière à peine voilée que cet accident ne se serait pas produit si nous étions restés en couple. J’ai vraiment mal pour lui à cause de la tournure que sa vie est en train de prendre. Je me demande aussi quelle part de responsabilité j’ai pu avoir dans la survenue de ce point de basculement. Sans le savoir, il me renvoie aux causes de notre séparation et notamment à mon inaptitude persistante à me dévouer totalement, passionnément, aux personnes que j’aime.
Pour avoir éprouvé l’amour-passion une ou deux fois, je suis convaincue (comme Denis de Rougemont dans L’Amour et l’Occident), qu’elle est une construction mortifère. J’ai fini par ne la tolérer qu’à dose homéopathique dans mes relations, où la prépondérance du pragmatisme (dans le sens qu’en donne John Alan Lee dans Colours of Love: An Exploration of the Ways of Loving) constituait le prolongement naturel d’un partage de valeurs communes et d’objectifs réalistes.
Je n'ai jamais voulu avoir d'enfant, lui non plus. Cela dit quand nous étions ensemble, il s'était montré moins inflexible que moi en ajoutant très sérieusement qu'il accepterait probablement d'en avoir un jour, si l’envie me prenait. Comment oublier un discours pareil, quand on sait d’une part le sacrifice lourd de conséquences qu’une telle décision représente, et d’autre part que l’on ne consentirait jamais soi-même à un tel sacrifice pour l’autre ?
Je n’avais plus pensé à ces questions depuis un moment, mon positionnement étant de mon côté dénué d’ambiguïté. Mais voilà qu’elles refont jour à l’aube du bouleversement de la vie de mon ami. Qui est-il au fond, pour moi ? Quelle place aurai-je dans sa vie et dans la vie de son enfant ? Suis-je bien certaine de ne pas vouloir d’enfant ? Pourquoi ai-je la pensée irrationnelle que cet enfant devrait être le mien ?
Je lui ai redit mon amitié qu’il craignait ouvertement de perdre. Je lui ai donné des conseils, qu’il ne m’avait même pas demandés d’ailleurs. J’ai aussi laissé s’exprimer ma profonde tristesse vis-à-vis de lui et de l’enfant, ainsi que ma déception vis-à-vis de moi-même car j’ai le sentiment prégnant d’avoir échoué à le protéger. S’il existait chez moi un "instinct maternel" à l’état latent, on pourrait dire qu’il est l’unique être humain à l’avoir éveillé et à en avoir fait l’objet jusqu’ici.
Je me suis abstenue en revanche de lui faire part de mon malaise qu’il valait mieux d’après moi mettre de côté pour me concentrer sur le soutien que je pouvais apporter. Je pensais que ce malaise ne reflétait qu’un trouble de mon ego, car objectivement je suis mise de côté dans cette histoire, et qu’il passerait aussi vite qu’il est apparu. Mais c’est maintenant un vertige plus profond qui me gagne, et la mélancolie qui me tend les bras. Sans doute parce que cette histoire me rappelle que :
- lui comme moi n’avons pas été désirés par nos pères respectifs,
- mon père a fait un enfant à une autre femme, alors qu’il était à l’étranger et marié à ma mère.
J’ai dépassé depuis longtemps le stade de la colère vis-à-vis de mes parents, j’accepte sereinement leur histoire, leurs choix et les circonstances de ma venue au monde. Nous ne sommes que des êtres humains après tout, et mon ami est un être humain comme un autre. Nous sommes peut-être condamnés à répéter inlassablement les mêmes histoires (erreurs ?) de génération en génération. Je ne serais sûrement pas moi-même épargnée par l’absurdité de la vie malgré toute ma volonté de contrôle. C’est peut-être même l’affirmation de cette volonté de contrôle qui est absurde en elle-même.
Mes questions :
Comment puis-je soutenir moralement mon ami ?
Comment me soutenir moi-même ?
J’essaie de m’ouvrir des horizons en relisant les pensées de Nietzsche, Camus, Spinoza, mais je pense avoir davantage besoin de retours d’expérience concrète. Y a-t-il des parents ou futurs parents qui pourraient apporter ici leur témoignage ?
Me livrer, ici ou ailleurs, n’est pas un exercice facile. Habituellement, écrire est une manière de rendre mon intériorité plus intelligible pour moi-même. Mais je crois qu’il est temps de sortir de cette forme d’autisme qui m’a toujours plus ou moins caractérisée, et qui pourrait peut-être résumer à elle seule ma problématique ici.
Je vais essayer de synthétiser du mieux que je peux, mais ça risque quand même d’être long. D’avance merci aux personnes qui prendront le temps de lire jusqu’au bout.
Mon meilleur ami va bientôt devenir père, "par accident" comme on dit. Un plan cul à l'étranger, la fille s'emballe, il est franc avec elle, elle tombe enceinte et garde le bébé. Tout ce qu'il y a de plus incroyablement ordinaire entre homme et femme en ce bas monde.
Il a mis du temps à m'annoncer la nouvelle, je sentais bien que quelque chose le tracassait mais je n'imaginais pas que ses ennuis pouvaient être aussi graves. Cette nouvelle m'affecte beaucoup. Je n'ai personne à qui je pourrais me confier librement à ce sujet, qui semble réveiller chez moi un désarroi existentiel dont je m’accommodais plutôt bien jusque là.
Il n'est pas juste un ami, il est sans doute mon seul véritable ami et celui qui me connaît le mieux depuis plus d'une décennie. Il est aussi ma dernière longue histoire, et nous n'avons jamais perdu le contact depuis notre rupture. Je l'aime, c’est une évidence. Je l’aime aujourd’hui comme un ami et comme un frère. Lui comme moi chérissons ce lien fait d'affection et de respect, qui ne cesse de nous faire grandir ensemble même à plusieurs milliers de kilomètres loin de l'autre.
Jusque là, les sentiments amoureux qu'il continuait de nourrir à mon égard - il m'en avait parlé de lui-même en exprimant le souhait de ne pas gâcher notre amitié - n'avaient aucune incidence sur notre relation. Non pas que j'ai fait mine de ne pas entendre ce qu'il avait sur le cœur (étant donné les circonstances de notre rupture, je me doutais que ses sentiments n'avaient pas changé), mais je lui ai exposé mon point de vue sur notre relation amicale que je ne voulais pas gâcher non plus, car bien plus enrichissante et plus saine à mes yeux qu'une relation amoureuse telle qu’on l’a vécue. Il a très bien pris ma réaction et nous sommes peut-être devenus encore plus proches par la suite.
Aujourd'hui, j’éprouve un réel malaise depuis l’annonce de cette paternité non désirée. Elle ne m’a pas choquée comme il le craignait, mais plutôt prise au dépourvu, un peu comme si j’apprenais que j’étais moi-même enceinte. Je ne suis jamais tombée enceinte à ma connaissance, donc j’ignore ce qu’une femme peut ressentir à ce moment là, mais j’ai l’impression d’être personnellement impliquée dans cette histoire.
A cette sensation nauséeuse s’ajoutent ses sentiments, qu’il m’a renouvelés (sans attente de réciprocité) alors que je ne lui avais rien demandé. Il me dit également de manière à peine voilée que cet accident ne se serait pas produit si nous étions restés en couple. J’ai vraiment mal pour lui à cause de la tournure que sa vie est en train de prendre. Je me demande aussi quelle part de responsabilité j’ai pu avoir dans la survenue de ce point de basculement. Sans le savoir, il me renvoie aux causes de notre séparation et notamment à mon inaptitude persistante à me dévouer totalement, passionnément, aux personnes que j’aime.
Pour avoir éprouvé l’amour-passion une ou deux fois, je suis convaincue (comme Denis de Rougemont dans L’Amour et l’Occident), qu’elle est une construction mortifère. J’ai fini par ne la tolérer qu’à dose homéopathique dans mes relations, où la prépondérance du pragmatisme (dans le sens qu’en donne John Alan Lee dans Colours of Love: An Exploration of the Ways of Loving) constituait le prolongement naturel d’un partage de valeurs communes et d’objectifs réalistes.
Je n'ai jamais voulu avoir d'enfant, lui non plus. Cela dit quand nous étions ensemble, il s'était montré moins inflexible que moi en ajoutant très sérieusement qu'il accepterait probablement d'en avoir un jour, si l’envie me prenait. Comment oublier un discours pareil, quand on sait d’une part le sacrifice lourd de conséquences qu’une telle décision représente, et d’autre part que l’on ne consentirait jamais soi-même à un tel sacrifice pour l’autre ?
Je n’avais plus pensé à ces questions depuis un moment, mon positionnement étant de mon côté dénué d’ambiguïté. Mais voilà qu’elles refont jour à l’aube du bouleversement de la vie de mon ami. Qui est-il au fond, pour moi ? Quelle place aurai-je dans sa vie et dans la vie de son enfant ? Suis-je bien certaine de ne pas vouloir d’enfant ? Pourquoi ai-je la pensée irrationnelle que cet enfant devrait être le mien ?
Je lui ai redit mon amitié qu’il craignait ouvertement de perdre. Je lui ai donné des conseils, qu’il ne m’avait même pas demandés d’ailleurs. J’ai aussi laissé s’exprimer ma profonde tristesse vis-à-vis de lui et de l’enfant, ainsi que ma déception vis-à-vis de moi-même car j’ai le sentiment prégnant d’avoir échoué à le protéger. S’il existait chez moi un "instinct maternel" à l’état latent, on pourrait dire qu’il est l’unique être humain à l’avoir éveillé et à en avoir fait l’objet jusqu’ici.
Je me suis abstenue en revanche de lui faire part de mon malaise qu’il valait mieux d’après moi mettre de côté pour me concentrer sur le soutien que je pouvais apporter. Je pensais que ce malaise ne reflétait qu’un trouble de mon ego, car objectivement je suis mise de côté dans cette histoire, et qu’il passerait aussi vite qu’il est apparu. Mais c’est maintenant un vertige plus profond qui me gagne, et la mélancolie qui me tend les bras. Sans doute parce que cette histoire me rappelle que :
- lui comme moi n’avons pas été désirés par nos pères respectifs,
- mon père a fait un enfant à une autre femme, alors qu’il était à l’étranger et marié à ma mère.
J’ai dépassé depuis longtemps le stade de la colère vis-à-vis de mes parents, j’accepte sereinement leur histoire, leurs choix et les circonstances de ma venue au monde. Nous ne sommes que des êtres humains après tout, et mon ami est un être humain comme un autre. Nous sommes peut-être condamnés à répéter inlassablement les mêmes histoires (erreurs ?) de génération en génération. Je ne serais sûrement pas moi-même épargnée par l’absurdité de la vie malgré toute ma volonté de contrôle. C’est peut-être même l’affirmation de cette volonté de contrôle qui est absurde en elle-même.
Mes questions :
Comment puis-je soutenir moralement mon ami ?
Comment me soutenir moi-même ?
J’essaie de m’ouvrir des horizons en relisant les pensées de Nietzsche, Camus, Spinoza, mais je pense avoir davantage besoin de retours d’expérience concrète. Y a-t-il des parents ou futurs parents qui pourraient apporter ici leur témoignage ?