Strange Days

Note : 7

le 13.02.2012 par Edvard Dolokhov

107 réponses / Dernière par Edvard Dolokhov le 21.06.2014, 13h32

La vie est faite de virages, d'obstacles à surmonter, d'audace, de surprises et de rencontres décisives. Racontez votre histoire, entrez dans la légende; partagez vos cheminements, vos interrogations, vos rencontres, vos aventures - foirées ou réussies, c'est pas le plus important - et recevez les avis et conseils des autres membres.
Edvard Dolokhov a écrit : Elles me prennent peut-être pour un connard. Ou un loser. Ou les deux. Elles ne sont qu’à quelques centimètres de moi, et je ne peux pas tendre la main pour les toucher. Il y a cette putain de ligne qui nous sépare, qui me coupe l’accès à leurs pensées, aux femmes en général, à la société, au monde. Cette saloperie de démarcation qui me poursuit depuis des années. C’est sa faute, à cette salope. A cause d’elle, je me sens en permanence décalé, les autres me trouvent marrants, mais un peu bizarres. Nous n’appartenons pas au même monde. C’est cette même ligne qui m’empêche de regarder au loin et qui dessine un fossé infranchissable entre moi et les trois déesses qui me côtoient, maintenant. Qui m’empêche de regarder Violette dans les yeux. Je ne l’aime pas, cette ligne à la con, vraiment pas, mais elle fait partie de moi, et on éprouve toujours un peu de tendresse pour ce qui nous appartient. Du coup, je lui ai donné un nom. La diagonale du vide.

E. Dolokhov
C'est drôle, je me pose souvent cette même question de ce que les femmes peuvent penser de moi. Et j'ai parfois cette même impression de décalage, de diagonale, de démarcation. Parfois je ne sais même pas quoi dire à des personnes que je vois tous les jours :?

Nous avions prévus d’assister à un concert de Hardteck le soir même, avec au programme « L’enculeur d’arbre » de Darktek et autres joyeusetés.
Sinon, je sur-kiffe cette musique :wink: [youtube][/youtube]
    Notes et commentaires reçus par ce post :
  • [0] Fuyez, pauvres fous ! le 18.03.13, 21h28 par Edvard Dolokhov
  • [0] Lol le 18.03.13, 21h33 par Raven
« So we beat on, boats against the current, born back ceaselessly into the past. »
-Francis Scott Fitzgerald

La frustration est l’un des piliers de la condition humaine. Elle est notre compagne de tous les instants. Fidèle comme pas deux, indéfectible, elle ne vous laisse jamais tomber, la chienne. Pardon, je deviens offensant. Il faut dire que la fidélité suscite rarement la reconnaissance. Au contraire. On aimerait que ceux qui nous collent au fion comme des sangsues troquent leur place avec ceux qui nous intéressent vraiment, mais qui ont l’indélicatesse de nous ignorer. La nature est mal faite, n’en déplaise à Jean-Jacques. Tenez, par exemple. Elle est peuplée de créatures lascives, délicieusement bandantes, dans lesquelles on ne pourra jamais fourrer son membre. Terrible, comme situation. Je m’étonne que l’humanité n’en souffre pas d’avantage. Qu’il n’y ait pas plus d’émeutes, de révoltes, de révolutions. « Lutte pour la paix du slip », « Terrorisme pour l’égalité sexuelle », ou encore « Collectif des losers qui veulent sauter des canons ». Pour corriger le manque d’hospitalité de Tantale, qui avait eu l’indécence de leur servir les membres de son propre fils à bouffer, les dieux lui infligèrent jadis un supplice atroce. Ils l’affligèrent d’une faim et d’une soif perpétuelles et le placèrent pour l’éternité au bord d’un fleuve, sous un arbre fruitier. Et sa gorge le brule, mais les eaux du fleuve reculent chaque fois qu’il se penche pour boire. Son bide le tiraille, mais le vent éloigne les branches quand il tente de saisir les fruits de l’arbre. Je passe au présent parce que, sa condamnation valant pour l’éternité, j’imagine que ce pauvre Tantale est toujours là, quelques part sous terre, à crever de faim et de soif.


Camus voyait dans le mythe de Sisyphe une allégorie de la condition humaine. Je suis d’accord avec lui. Mais l’image est incomplète. Et le mythe de Tantale la renforce à merveille. Chaque fois que je contemple discrètement l’une des gazelles qui galope autour de moi, la queue dressée et le crâne fourmillant de fantasmes inavouables, je songe à mon ami Tantale qui partage mon calvaire, quelque part, je ne sais pas où. Chaque fois que j’aimerais tendre la main pour caresser une paire de seins, ou avancer le visage pour embrasser à pleine bouche ces lèvres à la pulpe indécente, je vois un fleuve qui s’évapore sous mes yeux, une branche d’arbre qu’éloigne un souffle de brise.


Si l’on consomme de plus en plus d’antidépresseurs, j’imagine que les délocalisations, la libéralisation du marché du travail, les tractations technico-financières et autres termes économiques compliqués dont le sens m’échappe sont en cause. Mais pas seulement. Je crois surtout qu’à l’heure où le marché sexuel n’a jamais été aussi libéralisé, les gens veulent baiser. Et ils ne baisent pas. Ou pas assez. Ou pas ce qu’ils veulent. Les rues sont matraquées de panneaux publicitaires géants garnis de gonzesses à moitié à poil, le web abrite des millions de clips pornos, les rues sont envahies de nymphettes aux jambes bronzées, ballerines noires et minijupes, et pourtant le commun des mortels ne baise pas tant que ça. Comme sur la plupart des marchés, certains trustent la majorité de l’offre tandis que les damnés se partagent les restes. Je parle uniquement de baise par souci de concision, et sans doute un peu par conformisme. N’allez surtout pas croire que j’y vois la quintessence des relations hommes/femmes. Au contraire. La baise pour la baise, je m’en fous.


Ce que j’aime, c’est m’envoyer en l’air après un diner aux chandelles, dans un bon restau, après avoir, bouffé, fumé et bu plus que de raison, l’esprit embrumé et les sens en éveil. Et se réveiller à côté à ses côtés avec une énorme barre dans le crâne, l’entendre ronfler et la réveiller en la chatouillant, pour la faire chier. Baiser un soir de semaine, après le taffe, presque machinalement, me réveiller dans la nuit, sentir sa poitrine se soulever et se coller contre la mienne à intervalles réguliers. Qu’elle ait froid aux pieds et qu’elle les mette entre mes jambes pour les réchauffer, avant de s’endormir. Je n’ai lu qu’un bouquin de Kundera, en seconde, et je n’ai quasiment rien compris. Un récit obscur sur le communisme, la frigidité et les illusions perdues. Mais j’adhère totalement à l’une de ses phrases les plus connues : « L'amour ne se manifeste pas par le désir de faire l'amour (ce désir s'applique à une innombrable multitude de femmes) mais par le désir du sommeil partagé. » Rien de plus déprimant que de dormir seul dans un lit à deux places. C’est sans doute pourquoi le couple parait si attrayant : comment expliquer que tant d’hommes acceptent ainsi de renoncer à tout un océan de chattes potentielles pour se consacrer (en théorie) à une seule d’entre elles, autrement ? Je n’ai dormi avec personne depuis Violette, il y a deux mois de cela. Ça me manque beaucoup plus que la baise. La branlette offre un substitut passager à celle-ci, tandis que dormir avec une poupée gonflable ne rend pas le lit à deux places moins vide. C’est très probablement pour ça que je me suis récemment pris de passion pour le reboisement intensif du massif du Makaï, à Madagascar et que je bouffe autant de légumes verts. Je n’aime pas dormir seul et, à en croire leur consommation exponentielle d’anxiolytiques, mes contemporains non plus.


Je n’ai quasiment rien lu de Schopenhauer, seulement quelques textes de commentateurs, et pourtant sa doctrine éclaire considérablement mon quotidien. « L’existence s’apparente à un pendule qui oscille entre la souffrance et l’ennui. » Pas convaincus ? Songez donc à tous vos compatriotes qui squattent les rames de métro et arpentent les trottoirs, le matin à 8h et le soir à 18h, la mine blafarde et le regard morose. Songez comme il s’emmerde, le français moyen, dans son deux pièces-témoin, avec ses meubles Ikéa à la con, sa libido frustrée, ses surgelés Picard et ses vacances au Cap d’Agde. Songez aux bouquins de Houellebecq, aux chiffres d’audience de la téléréalité, aux putes et aux sites de rencontre. Et maintenant, pensez à ses cousins du Tiers-Monde (ou des pays sous-développés, j’adore cette expression qui squattait encore les manuels d’histoire il y a vingt ans), qui crèvent de faim, du SIDA, de conflits ethnico-religieux ou de répression dictatoriale. Songez comme ils souffrent, ceux-là. Certains n’ont ni l’eau courante, ni l’électricité, ni le net, évidemment. Leur monde diffère complètement du nôtre. Pourtant, c’est nous les pessimistes, pas eux. Paradoxal ? Que nenni. Ces gars-là ont le cœur rempli d’espoir, parce qu’ils s’imaginent qu’une fois que la dictature sera à terre, que tout le monde mettra des capotes, que la croissance sera galopante et que chacun pourra conduire sa propre bagnole, la vie sera merveilleuse. Et nous, qui avons déjà tout ça, nous savons qu’ils se trompent. Le grand mâle blanc occidental a beau ne pas savoir où s’achève l’autoroute du progrès, il sait que passé un cap, on s’y emmerde sévère, sur cette putain de ligne de bitume. Du haut de son gratte-ciel, il contemple l’horizon d’un regard vide, où l’on peut lire ce qui attend l’humanité au prochain carrefour.


Quand je m’emmerde, que je ne picole pas et que je n’ai pas envie de bouquiner, je mate des films. Récemment, j’ai vu une série-documentaire consacrée au terroriste Carlos. Célèbre pour avoir pris en otage les membres de l’OPEP dans les années 1970, l’animal a aussi dessoudé bon nombre de suppôts du grand capital et de l’impérialisme yankee en Europe occidental, au nom de la lutte des classes et du saint Karl Marx. Il a un moment projeté d’assassiner Sadate, avant de se faire coiffer au poteau par les Frères Musulmans, butté deux flics français dans le quartier latin, et autres joyeusetés. Carlos n’est pas mort : il est en tôle, à Poissy, dans les Yvelines. J’aimerais beaucoup le rencontrer. J’ignore si c’est possible. Je pense que non. Pourquoi dont, me direz-vous ? Pourquoi diable vouloir m’entretenir avec un vénézuélien aviné coupable d’un nombre incalculable de meurtres ? Eh bien, je trouve Carlos proprement fascinant. Jugez plutôt. L’homme était plutôt beau gosse, malin, doué d’un bon sens de la débrouille et d’une certaine intelligence sociale. Il aurait pu grimper la hiérarchie sociale, vivre en bourgeois hédoniste, culbuter des nanas, mener un travail pépère, s’acheter un appart’ dans le 8e et partir en vacances dans le Sud. Il serait mort à 75 ans d’un infarctus, et je ne serais pas en train de parler de lui. Mais non. Carlos a choisi autre chose. Oh, bien sûr, l’homme ne s’est pas assis sur les plaisirs que lui offrait l’existence. Il a culbuté un nombre de nanas tout à fait correct, profité de sa tune et picolé comme un kosovar pendant des années.
Mais ces plaisirs-là n’étaient pour lui qu’un à-côté, une suite de délassements nécessaires mais dérisoires face au véritable but de son existence : la lutte armée contre le monde capitaliste. Des années durant, il a accepté de pouvoir mourir du jour au lendemain, de vivre caché, dans des conditions matérielles souvent déplorables, de dézinguer des innocents à la pelle, de faire passer sa nana et sa fille au second plan. Et tout ça pour quoi ? Pour une cause incertaine, un but chimérique. Car l’homme a échoué sur toute la ligne : sa prise d’otage des membres de l’OPEP a foiré, la plupart de ses actions n’ont été suivies d’aucun résultat. Au début des années 90, le bloc de l’Est s’est effondré et le monde dans son ensemble est venu embrasser la société de consommation de masse. Les quelques années précédant son arrestation, Carlos a erré, hagard, dans un monde qui n’était plus le sien, où l’antagonisme rouge/bleu n’avait plus de sens. Chassé de Syrie, puis de Libye, pays qui l’accueillaient jadis comme un héros, il s’est péniblement trainé en Iran, puis au Soudan, où les Français ont fini par l’arrêter.


Un courage exemplaire, une absence totale de pitié, une détermination sans faille, une vie tout entière consacrée à une idéologie bancale, un combat sans espoir, une fin pathétique et misérable. Carlos est sans doute l’un des derniers romantiques. Oui, Carlos est fascinant.
Surtout, moi qui suis persuadé que Carlos s’est planté à la fois dans le choix de son idéologie et dans les moyens d’action mis en œuvre pour lutter, moi qui sait quelle triste fin fut la sienne, je suis forcé de reconnaitre une chose : je ne lui arrive pas à la cheville. J’aurais de la chance si je baise un centième des nanas que ce type a baisé, si je me montre un jour à moitié aussi brave qu’il l’a été durant toute son existence, si j’endure une infime partie de ce qu’il a été capable d’endurer. Et je ne parlerais même pas de renommée. J’ai beau avoir raison contre lui, je perds sur toute la ligne. Si j’étais face à lui, j’aurais tout juste droit de m’écraser, et de fermer ma gueule. Il est bon de savoir fermer sa gueule, de temps à autre.


Moi, je suis un minable, Ou un vaurien. Je cours d’un larcin à l’autre, d’une beuverie à la suivante, d’une chatte à l’autre, avec plus ou moins de succès, sans jamais m’arrêter. Que ma course s’arrête demain, que je finisse la gueule en sang sur un trottoir parisien, et vous ne trouverez pas grand monde pour me regretter. Peu de femmes voudront vous décrire les délicieux moments qu’elles ont jadis passé en ma compagnie : la plupart me peindront comme un connard, un emmerdeur, un abruti. Certaines ne se souviendront même pas de moi. Vous pensez que je m’apitoie sur mon sort ? Détrompez-vous. Je vis très bien cette situation. Je suis libre. Je ne dois rien à personne, et l’avenir m’est ouvert. Je sais qu’il ne sera probablement pas heureux, mais le bonheur est une illusion, un mythe fabriqué par le marketing de masse destiné à vous faire acheter la dernière Peugeot et l’Iphone 5.2. En revanche, j’ignore ce qu’il me réserve, et cette incertitude est grisante. Elle abrite une myriade de vies en devenir, dont une seule se réalisera. En attendant, j’aimerais beaucoup boire un verre avec Emeline, mais elle semble avoir beaucoup mieux à foutre. J’ignore ce qu’elle peut bien se dire quand je lui propose une rencontre : « Hon nan, encore cet emmerdeur ? » ; « Bordel, mais tu veux pas me lâcher la touffe toi un peu ? » ou peut-être « Héhé, laissons le mijoter encore un peu. » ? J’aimerais revoir Violette, aussi, mais je n’ose pas lui proposer, j’ai peur qu’elle dise non. C’est mon côté faible. J’y travaille. A part ça, il ne s’est pas passé grand-chose dans le Sud-Est. Les chats boivent de l’eau de pluie et le temps reste variable, surtout en soirée. Risque de précipitations : 70%.

E. Dolokhov
    Notes et commentaires reçus par ce post :
  • [0] La suite, vite ! le 09.04.13, 00h52 par Mr.Smooth
  • [0] Like ! le 09.04.13, 01h47 par tibdeconne
  • [0] Like ! le 09.04.13, 13h32 par TheMista
  • [0] Like ! le 10.04.13, 01h21 par paladium
Je commençai à m'inquiéter mais ça valait le coup d'attendre. Ce style si particulier, j'adore ! Que ce soit pour les références bien placées, le vocabulaire maîtrisé...

D'ailleurs grâce à toi j'ai pu découvrir Limonov et je t'en suis extrêmement reconnaissant (mais je vois que tu lui a trouvé un nouveau substitut: Carlos).

A défaut de satisfaire tout tes désirs les plus primaires (voir notre ami Maslow et sa charmante pyramide foure tout) tu as le mérite de nourrir notre intellect.

En ce qui concerne ta petite analyse sur la civilisation occidentale je crois que nous avons atteint une phase de stagnation(voir le cycle de vie d'un produit qui peut aussi bien s'appliquer à un pays, qu'à une civilisation). L'enjeu étant désormais de conserver tout ce que l'on a acquis.
Et les pays en voie de développement(ex Tiers-Monde) risquent bien de nous surprendre dans les annèes à venir...

P.S: Est-ce que tu as lu San'kia de Zakhar Prilepine?
    Notes et commentaires reçus par ce post :
  • [0] Merci ! :) le 10.04.13, 15h28 par Edvard Dolokhov
Haha, content que tu ais aimé Limonov ! Le seul souci c'est que seule une partie de ses bouquins a récemment été rééditée en Français... faudrait que j'apprenne le russe.
Non je n'ai pas lu San'kia mais il figure en bonne place sur ma liste, je sens que je vais adorer.
Appelle Emeline et Violette. Et si elles te disent non, appelles-en d'autres.

Quant au désir du sommeil partagé, je trouve que c'est une jolie expression (d'ailleurs, il y a la version "moderne" de cette citation dans les Amours imaginaires où l'héroïne nous dit que ce qui compte, ce n'est pas le sexe, mais de dormir en cuillère, de s'imaginer que l'autre sera là si on a un problème, même si ce n'est qu'une illusion) mais j'admets volontiers que je n'en ai jamais fait l'expérience. Il n'y en a pas dont j'ai souhaité qu'ils restent dormir à mes côtés une fois la chose faite.
J'ai adoré ce film.
Ha bon ? J'espère que ça t'arriveras, il y a peu de moments plus gratifiants, je trouve.
« Gaby j’t’ai déjà dit qu’t’es bien plus belle que Mauricette, T’es belle comme un pétard qu’attend plus qu’une allumette. »
Alain Bashung


Je ne suis pas vraiment sensé écrire, ce soir, j’ai bien d’autres choses à foutre, mais je n’ai malheureusement pas le choix. Si je n’écris pas maintenant, toutes les saloperies qui bouillonnent dans mon crâne vont entrer en effervescence, me causant des migraines et un mal-être atroce suivis d’une interminable insomnie en guise de bouquet final. Et curieusement, le fait de balancer tous ces trucs qui me flinguent le crâne sur une page word police 11 est un putain d’antidote. Le clavier comme remède au trop-plein de pensées. Je viens pourtant de passer une journée de branlette plus que jouissive. Je me suis arrosé copieusement la peau de monoï avant d’aller glander sur les pelouses du Central Park grenoblois (y a pas à chier, dès qu’on tente d’importer du patrimoine yankee au terroir, ça sonne tout de suite ridicule). J’ai passé plusieurs heures à ne rien foutre, si ce n’est griller sous le soleil. Ma peau a des accents méridionaux, maintenant. Je l’aime beaucoup mieux ainsi. Ça boost considérablement mon capital physique. Ensuite, j’ai bouffé mexicain en éclusant de la Corona avec les Gipsy King en fond sonore. J’ai acheté la Corona chez l’indien du coin, dont le fils (10 ans environ) bosse à la boutique le dimanche. Ça lui fournit un avantage concurrentiel certain sur les grandes surfaces locales. Hégémonie du marché.


Mais avec les beaux jours, une légion d’emmerdes a surgi de nulle part. Galvanisées par l’éclat de l’astre scintillant dans un ciel impeccable, des hordes de jeunes femmes en ballerines/minijupe ont envahi les rues et les parcs. Y en a partout. Impossible de passer à côté. Un vrai cauchemar. Oh, il y en a sans doute que cette perspective réjouit. Je les vois venir. Ces petits vicelards peuvent se contenter de lorgner de loin, l’écume aux lèvres, avant de rentrer chez eux se tirer frénétiquement sur la tige. Ou peut-être, au contraire, sont-ils suffisamment doués pour en niquer à la pelle. Bande de veinards. Ce n’est pas vraiment mon cas. Je pourrais, pourtant, Mais j’ai un talent incroyable pour me vautrer au dernier moment. Le Karma, très probablement.


Vendredi, par exemple. Emeline a miraculeusement accepté de se bourrer la gueule en ma compagnie. Très honnêtement, je m’attendais à ce qu’elle annule au dernier moment, ou qu’elle se barre au bout d’une heure pour rejoindre des copines. Pour rappel, Emeline écrit dans le plus prestigieux des quotidiens nationaux, a bien évidemment un visage magnifique, et possède surtout une sorte de classe innée, une aura envoutante qui la rend délicieusement enivrante. Elle semble tout droit sortie d’une chanson de Bashung, d’un film de Terry Gilliam ou d’un comte haussmanien. De son côté, Eddie écrit des articles pour vieux riches que personne ne lit. Bref, sur le papier, c’était pas gagné. Heureusement, la bière était à 8 degrés, et le barre était bondé, avec des rugbymen qui foutaient un joyeux boxon. On devait gueuler comme des putois pour s’entendre. J’ai pas mal déconné là-dessus. Ça l’a fait rire. Au bout d’une heure, elle n’avait toujours pas manifesté la moindre envie de se barrer (vous me trouvez sûrement parano, mais j’ai connu une belle salope qui me faisait le coup fois sur deux), et a même accepté de reprendre une tournée. On sortait fumer entre deux pintes. Notre démarche se faisait chaque fois un peu plus hésitante. D’après elle, j’ai la réputation d’être un pineur fini dans sa promo. Quelle grosse blague. Ceci dit, ça me convient très bien. Je dois avoir des talents d’acteur insoupçonné. J’ai raté ma vocation. J’ai fini par être passablement bourré et j’ai balancé quelques conneries. J’aurais pu m’abstenir. Je me souviens lui avoir dit grosso modo qu’elle me fascinait, qu’elle devait être du genre à ne pas porter de soutif, et que j’étais membre donateur de la WWF, section « SOS grands singes » (véridique). J’en ai profité pour suggérer pernicieusement un crochet vers mon appart afin de lui faire visiter les lieux, de lui en mettre plein la vue avec mes performances en cuisine et éventuellement de fumer un pétard. A ma grande surprise, elle a pas dit non. Pour un peu, je me voyais déjà culbuter la future Florence Aubenas.



J’ai exigé qu’elle me donne son bras sur le chemin du retour. Elle a tenu 5 minutes et a fini par se détacher. « Elle aime être libre de ses mouvements ». Femme libérée. Je lui ai fait un sandwich au pesto, au chèvre et au miel liquide. Coup de pot, elle adore le chèvre et le pesto. Et tout le monde aime le miel. Banco. J’ai mis du Bashung. Son chanteur préféré. Je l’ignorais totalement. Décidément, Eros veillait sur moi, ce soir. Du coup, ça devenait un peu flippant. Elle a peut-être cru que je m’étais rencardé à fond sur elle afin de lui déballer le grand jeu, de la niquer, de profiter de son sommeil pour l’attacher et la bâillonner, avant de la livrer à mes comparses du Front indépendantiste dauphinois qui auraient eux-mêmes exigé une forte rançon pour sa libération, rançon destinée à acheter des explosifs, du viagra et des boites de chocapic. Fort heureusement, elle semblait ne se douter de rien. Un poil naïve, la petite. Je lui ai dit que « Gaby » me faisait beaucoup penser à elle. De même que la scène où Gainsbourg et Greco dansent la Javanaise dans le film de Joan Sfar. Du coup, on a maté la scène. Ensuite, j’ai malheureusement commis l’énorme connerie de lui dire que j’écrivais, et pire, de lui montrer un de mes textes. Quel abruti. Je sais pas ce qui m’a pris. Je n’aborde jamais le sujet, d’ordinaire. Un mec qui écrit se retrouve aussitôt catalogué tarlouze romantique, éternel ado qui se branlait sur la roll’s royce de la classe en 4e, qui écrivait des poèmes étouffants de niaiseries aux meufs pendant que ceux qui ont une vraie paire de couilles les tringlaient dans les chiottes du collège. Bref, j’ai sacrément déconné. Heureusement, elle était bien beurrée. Elle m’a promis de me montrer des poèmes qu’elle a écrits il y a quelques années, mais elle n’en fera rien. Elle est beaucoup moins conne que moi. On a fumé un petit peu, bu du vin, et joué au ping pong. Oui, je possède une table de ping pong chez moi. Classieux, non ? Je lui ai flanqué une sacrée rouste. Visiblement, elle n’aime pas perdre, vu la tronche qu’elle tirait. Ensuite, elle est partie. 1h20. Elle était censée rester jusqu’à minuit. Pas si mal. Je voulais lui rouler un patin sur le pas de la porte, mais j’ai pas osé. Le Monde, sa tignasse brune, sa jupe à fleurs, ses mocassins, sa voix, ça me flanquait les jetons. Je me suis contenté d’une bise bien appuyée. Je l’ai serrée un peu trop fort, aussi. Et puis elle s’est barrée. Echec. J’ai donc eu droit à une branlette en bonne et due forme. Fuck it. Si j’avais été Marlon Brando… oh, et puis merde.


Le lendemain, après m’être copieusement raboté le crâne à un festoch de raggae dub, j’ai atterri à une sauterie chez Violette aux environs d’une heure du mat’. Curieusement, elle avait l’air plutôt contente de me voir. Elle n’arrêtait pas de me demander pourquoi j’arrivais à une heure pareille, ce que j’avais fait avant, et elle s’est collée contre moi à une ou deux reprises. Elle était bien attaquée, elle aussi. Elle avait toujours le même parfum, celui du gala, celui qui a imprégné mon gilet en grosse maille pendant des jours. Je n’osais plus le remettre, de peur de faire disparaitre cette précieuse réminiscence. Elle s’était lissé les cheveux. Je l’ai complimentée là-dessus, elle était ravi, personne n’avait remarqué avant moi. Tu gagnes des points, Eddie. Elle tenait absolument à ce qu’on danse un rock. Je me suis exécuté tant bien que mal, réalisant comme d’habitude une contre-performance spectaculaire. Combien de nanas j’aurais emballé si j’avais su esquisser ne serait-ce que trois pas de danse ? Après ce brève interlude burlesque, nous avons discuté sur un canap, je ne sais plus trop ce que je lui disais mais je devais la draguer comme un chacal, encaissant une ou deux remarques de ses vicelardes de colocs au passage. Tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes, si ce n‘est qu’un pote à moi issu de la bourgeoisie rennoise demeurait obstinément planté à côté de nous, m’empêchant d’aller plus loin. Un type plutôt cool, bien que déconsidéré par la majorité de son entourage pour son caractère fantasque, un peu intello sur les bords et carrément vieille France. J’ai toujours tendance à m’attacher aux losers, je me sens proche d’eux, mais là, il me faisait un peu chier. Je commençais à élaborer un plan pour m’éclipser peinard en compagnie de mon aristo préféré lorsque le gong sonna sans prévenir, retentissant, imparable. Mon arrêt de mort. « Tiens, tu sais danser le rock toi ? ». Elle l’avait superbement ignoré jusque-là, et venait de lui balancer cette question sur un ton parfaitement innocent. Bien sûr qu’il savait danser le rock, comme elle, ce gonze a dû passer une bonne partie de son adolescence dans des rallyes bretons, à siroter du champagne, dragué de la bourgeoise et bouffer du caviar. Il s’est pas fait prier. Il s’en est donné à cœur joie, le salaud. Ils ont entamé une danse, puis une autre, puis encore une autre. Le cul posé sur un canap, je le pinais sans aucun problème, mais là, impossible de rivaliser. Il était brillant, l’enfoiré. Il exécutait à la perfection tous les mouvements qu’on voit dans les films ricains des années 50, façon American Graffiti, allant jusqu’à la faire sauter dans ses bras.


J’étais baisé. Impuissant. Un tableau digne d’un feuilleton californien. Je m’escrimais bêtement à dragouiller une princesse égarée sur un bord de route, m’efforçant de la convaincre de monter faire un tour dans ma deux chevaux en carton, quand cet enculé a surgi dans sa buick décapotable. « Tu montes, poulette ? ». Sans hésitation, elle a sauté dans sa bagnole en gloussant d’enthousiasme, il a rajusté ses raybans, et au son d’un « See you in hell, mothafucka ! » a démarré en faisant crisser les pneus dans une avalanche de swag, me laissant comme un péquenaud au sud de nulle part. N’allez surtout pas croire que je lui en voulais. La jalousie m’est parfaitement inconnue. Je ne crois pas l’avoir jamais ressentie. Je ne vois aucune raison de détester un mec qui a ce que je n’ai pas. Ni de lui en vouloir. Bien au contraire, dans un cas pareil, c’est sur moi que je rejette la faute. Je m’en voulais à mort de ne pas être foutu d’enchainer trois pauvres mouvements de rock à la con, de ne pas être un minimum à la hauteur. Fuck it. Game Over. Dasvidania, Eddichka.


« Ptain, incroyable, ce tocard va emballer Violette ! » la nana qui m’a balancé ça à la gueule ne me voulait sûrement aucun mal, n’empêche que j’aurais préféré me manger un gnon dans la mâchoire. Salope. La quasi-totalité de l’assemblée ayant les yeux rivés sur ce merveilleux couple, les réserves de gnole étant à sec, et mon taux d’alcoolémie beaucoup trop élevé, j’ai décidé de mettre les voiles sans demander mon reste. Il me restait une clope. Je l’ai fumée sur le chemin du retour. Je pensais à Hank Moody, au milieu de la saison 1 de Californication, ayant perdu sa meuf et venant de se faire chourer du même coup son manuscrit fraîchement rédigé et sa caisse flambant neuve. Même là, il reste de marbre, et se contente de scruter le lointain en s’allumant une Camel. Bel exemple de résilience. J’en prends note. Je n’ai jamais su ce qui s’est passé par la suite, à vrai dire je m’en fous. Je ne pense pas qu’il l’ait emballée. Ma réaction était un peu stupide et disproportionnée, tout bien réfléchi. Mais j’étais sacrément pété et j’ai une fâcheuse tendance à baisser les bras dès que ma poule fait de l’œil à un autre coq. La bonne nouvelle, c’est que j’ai miraculeusement obtenu un rencard avec elle. Demain soir. Il est prévu qu’on boive un coup en ville, puis que je lui fasse à bouffer. Je ne sais pas trop à quoi elle s’attend. J’imagine que vu ma réput’ et nos antécédents, elle doit bien s’imaginer qu’il ne s’agit pas d’une invitation à jouer au bridge. Mais sait-on jamais, les méandres du cerveau féminin me sont affreusement opaques. Si je la baise, je serai le roi du monde. Dont acte.


Aujourd’hui, j’ai passé une partie de la journée à errer dans les rues, en plein cagnard. J’étais sapé d’un pantalon et d’un tee shirt blanc. Avec mon bronzage qui commençait à s’affirmer, j’étais plutôt satisfait de ma dégaine. Je devais réaliser une interview d’un postier. J’ai fini par en trouver deux. Deux nanas. La plus jeune était pas mal du tout. On a discuté un moment. C’était bien. Un éclair de rapprochement avec deux parfaites inconnues que je ne reverrai jamais. Pureté de l’instant.


Je quitte Grenoble dans dix jours, et ça me fout un sacré cafard. Oh certes, je serai de retour en septembre, mais alors plus de Violette, ni d’Emeline, ni d’Emmanuelle. Je vais sacrément me faire chier. D’autant qu’une bonne partie de mes potes se fait la malle, elle aussi. Je n’ai jamais aimé les départs. Quand on part, c’est souvent le signe qu’un monde se termine. Un microcosme, un univers d’individus habitués à se fréquenter régulièrement va surement se dissoudre. Toutes ces femmes qui ont tant compté pour moi ces derniers temps, je ne les reverrai sans doute plus. Peut-être dans une autre vie, dans un autre monde, à une autre époque. Mais pas de sitôt, hélas. Je ne les oublierai pas, moi, car je n’oublie jamais personne, et surtout pas celles qui ont compté à un moment ou un autre. Je me souviens à la perfection de toutes celles que j’ai désiré, et ce depuis mon plus jeune âge. Elles, en revanche, j’ignore si elles se souviendront de moi. En tout cas, le fait de les maintenir vivante dans mon esprit ne me suffit pas. Il me faut du concret, un témoignage matériel. C’est en partie pour ça que j’écris tant sur elle. Je vois ça comme un édifice à leur mémoire, un monument élevé à leur gloire dans le plus grand secret, dont elles ne sauront jamais l’existence. Mais on raconte qu’il existe une certaine alchimie entre les êtres qui échappe à la science. Qu’un jumeau peut parfois savoir comment va son frère alors qu’il se trouve à l’autre bout du globe. Une nuit, alors qu’elle avait une quarantaine d’année, ma grand-mère s’est réveillée en sursaut, avec une pensée en tête : « Maman est morte ». Sa mère était morte dans la nuit, à l’heure précise où elle s’est réveillée. De vieillesse, dans un lit d’hôpital. Une mort que je ne trouve pas triste, plutôt belle. Eh bien j’aime à m’imaginer que le fait de tant écrire sur ses nanas créé une connexion invisible entre nous, que de temps à autre, lorsque j’aurais une pensée pour elles, dans ma chambre berlinoise, parmi les vertes collines d’Afrique ou dans une datcha en Sibérie, elles se remémoreront un instant l’image d’Edouard, de sa casquette de prolo, de ses manières un peu étranges, de la façon dont il se noyait dans leurs yeux.

E. Dolokhov
Je voulais lui rouler un patin sur le pas de la porte, mais j’ai pas osé. Le Monde, sa tignasse brune, sa jupe à fleurs, ses mocassins, sa voix, ça me flanquait les jetons. Je me suis contenté d’une bise bien appuyée.
C'est vraiment trop dommage ! Tout était là : elle passe une bonne soirée avec toi, vous vous retrouvez chez toi, vous vous amusez. Ne manquait que le baiser de la fin et la nuit de folie. Je pense que ton plus gros souci est ton manque de confiance en toi. En te lisant, on sent que tu plais aux femmes que tu rencontres mais on sent aussi que tu n'y crois pas. Si tu veux que ça arrive, il faut aussi que tu te dises que c'est possible. Se convaincre que tu leur plais c'est le meilleur moyen de leur plaire.

Et sinon j'aime beaucoup ta façon d'écrire, on a vraiment le sentiment de lire un véritable roman.
    Notes et commentaires reçus par ce post :
  • [0] Merci ! :) le 17.04.13, 10h11 par Edvard Dolokhov
Dommage pour les filles.

Je pense que tu as le même "problème" que moi. Tu t'étonnes de réussir à plaire à des filles, et tu t'étonnes même qu'Emeline vienne à ta date, et accepte d'aller chez toi.
J'ai envie de te poser deux questions: 1) est ce qu'à certains moments il arrive que tu ne saches pas vraiment où te mettre?
2) est ce que parfois tu n'as pas l'impression qu'un tel mérite plus que toi de plaire à Emeline ou Violette? Un peu comme si tu pensais ne pas les "mériter".

Si la réponse est oui, tu as certainement un défaut d'estime de toi-même :wink:
Snow : petite précision quand même, elle est censée avoir un mec (qui est actuellement à Pékin d'après ce que j'ai compris). Alors certes, je suis le premier à dire qu'on s'en branle, que c'est pas parce qu'y a un gardien qu'on peut pas marquer de but, mais je me suis rétamé tellement de fois l'an dernier avec des meufs en couple que maintenant ça me bloque un peu. Sans ça j'aurais été beaucoup plus agressif.
Et pour répondre à la fois à toi et à tibdeconne, je pense que j'ai à la fois un ego surdimensionné et sous-dimensionné. Globalement, je pense que j'ai beaucoup de potentiel, mais la moindre désillusion me blesse énormément et je m'en veux à mort quand je ne suis pas à la hauteur de mes attentes. J'ai du mal à gérer l'échec. C'est aussi parce que je suis beaucoup pus émotif que la moyenne. C'est particulièrement le cas avec les femmes, en effet : d'un côté je me dis que je pourrais avoir n'importe laquelle, mais j'ai toujours du mal à y croire quand ça arrive. J'ai toujours du mal à savoir si elles sont vraiment intéressées.
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