Aujourd’hui, il pleut, et je ne bosse pas. D’ailleurs, je ne bosserai plus avant quelques semaines. Contrairement à bon nombre de gens, la pluie ne me dérange pas outre mesure. Se sentir déprimé à cause du ciel ma toujours semblé puéril, et le fait d’être mouillé ne me gêne pas. En revanche, je déteste sa propension à ruiner quelques soirées en plein air chaque été, et surtout, je déteste qu’elle me prenne à l’improviste. Si je n’ai pas pu prévoir le coup, je me retrouve sous la flotte sans chapeau ni parapluie, et ça me mouille les cheveux. Je déteste avoir les cheveux mouillés. Ça ruine mon visage. En temps normal, mes cheveux sont coiffés légèrement relevés sur le devant, et inclinés à 45 degrés sur la gauche. Cela confère une certaine harmonie à mes traits et rend mon visage plutôt agréable. En revanche, les cheveux trempés, je ne ressemble à rien, mes traits deviennent difformes et ma peau prend une couleur dégueulasse. Je déteste quand je ne me sens pas fier de mon apparence. Moi, il m’arrive fréquemment d’aller me mater dans le miroir, pour vérifier que tout est en ordre, et pouvoir jouir intérieurement de la correction de ma plastique. Je suis très fier de mes fringues, aussi. Oui, je suis un peu dingue, je ne vous l’avais pas dit ?
Malgré tout, j’avais envie de claquer de la tune. Je suis sorti en ville, j’ai acheté un coffret consacré à David Lynch, des bâtonnets d’encens, du thé vert, une boîte pour mettre le thé vert, du pain, et un mille-feuille. En rentrant, j’ai mangé le mille-feuille en buvant du thé et du smoothie maison. C’est à ce moment-là que les idées ont commencé à s’agiter furieusement dans ma tête, ne me laissant qu’un moyen d’échapper à la migraine en latence. Ecrire. Chaque fois que je me sens proche de l’overdose de réflexion, je me pose devant une feuille, je balance tout ce que j’ai en tête, et ça se calme. J’imagine que les musiciens font pareil avec leur instrument. Moi, j’aurais voulu être doué au piano, mais j’ai arrêté il y a une quinzaine d’année. Et le taffe nécessaire me décourage de m’y remettre.
Ce soir, je vois ma meuf. Oui, la rouquine de la dernière fois, désormais, je peux la désigner comme faisant partie de mes possessions. J’ai dormi trois fois avec elle. La première fois, je me pissais littéralement dessus. La première fois m’a toujours terrifié. Il y a peu, j’ai lu pas mal de trucs sur Dali, et j’ai ainsi appris qu’il avait une peur phobique de la pénétration. Sans aller jusque-là, l’acte me terrifie plus que de raison. J’ai toujours psychoté pour de nombreux trucs. Par exemple, quand on me demandait d’aller au tableau, à une période, j’avais la phobie d’avoir envie de pisser à ce moment-là, du coup je me forçais à aller pisser avant chaque nouvelle heure de cours. A une période, j’avais aussi peur d’avoir envie de pisser en bagnole. Bref, je ne suis pas à une névrose près. En prévision de cette première nuit, donc, j’avais arrêté de me branler durant les trois jours précédents. En général, je me branle deux fois par jour, et je voulais être sûr d’arriver à bander sans aucun problème. Non pas que j’ai des problèmes d’impuissance, mais il m’est déjà arrivé de ne pas réussir à bander sous le coup du stress. Dans le même ordre d’idée, j’avais acheté du vin. Saoul, je me pose beaucoup moins de questions. On a bu, fumé et écouté du jazz. Puis on s’est couché. Je me suis foutu à poil tout de suite, elle a gardé ses fringues parce qu’elle avait froid. Je l’ai déshabillée tout en la bécotant et en la caressant un peu partout. Une fois l’effeuillage terminé, j’ai approché ma main droite de son con tout en continuant de l’embrasser. Je l’ai massé un petit peu, puis j’y ai foutu mon doigt et j’ai commencé à faire des va et vient. J’avais l’impression de ne pas trop mal me démmerder, mais elle ne gémissait pas. Ça ne m’a pas semblé très grave, parait qu’elles ne s’expriment pas toutes de la même manière. Après quelques minutes à ce rythme-là, j’ai commencé à lui embrasser les seins, puis le ventre, et mon visage s’est mis à descendre en direction de sa chatte. Je me préparais mentalement pour le cuni du siècle, jusqu’à ce qu’elle vienne ruiner mes préparatifs en m’annonçant qu’elle n’était pas encore prête pour ça et qu’elle s’était toujours arrêté aux préliminaires. Moi, enivré autant par le vin que par la perspective de baise toute proche, j’ai dû lui faire répéter trois fois avant de comprendre qu’elle était vierge. J’ai donc tout arrêté, elle s’est blottie dans mes bras, on a parlé un peu, et on s’est endormi. Le lendemain, elle s’est barrée tôt pour aller en cours.
Elle est revenue chez moi quelques jours plus tard. La soirée s’est déroulée sur un schéma plus ou moins identique, sauf que cette fois j’ai pu aller jusqu’au cuni. La dernière fois, ma compagne d’un soir avait été ravie par l’agilité avec laquelle je me servais de ma langue, ce qui avait suffi à convaincre mon égo facilement influençable que j’étais un expert en la matière. Ce coup-là, elle n’a émis quasiment aucun son, mais visiblement c’est sa marque de fabrique. Elle m’a d’ailleurs dit un peu plus tard qu’elle n’était pas très expressive. Après ça, je l’ai massée, elle s’est re-blottie dans mes bras, on a re-dormi et elle s’est re-levée tôt le lendemain pour aller en cours.
On a encore dormi ensemble une fois. Elle avait un dîner en début de soirée et elle était censée passer chez moi après. Ce soir-là, j’étais complètement mort, et j’ai failli annuler au dernier moment, mais elle a pas mal insisté, alors j’ai fini par dire oui. On a maté un film assez étrange avec Romain Duris et on s’est pieuté sans rien faire. J’étais beaucoup trop claqué.
Je vis un truc assez indescriptible depuis le début de cette relation. Ces derniers temps, j’avais un besoin d’amour énorme. Ma vie amoureuse se réduisait à une collection de chopes sans lendemain, là où je désirais avant tout que l’une d’entre elle s’occupe de moi, fasse la bouffe avec moi, me détourne de mes angoisses existentielles et m’offre l’occasion de tester plein de trucs au pieu. Je clamais en permanence que le drame de ma vie était d’être foncièrement monogame tout en étant incapable de trouver quelqu’un avec qui vivre pleinement cette monogamie. Alors là ! Là ! Avoir trouvé une nana qui non seulement m’aime, mais qui me ressemble sur pas mal de points, lit Baudelaire, ne trouve pas sa place dans le monde, a des goûts d’une autre époque, qui avec ça n’a pas d’expérience (un stress en moins), et qui, cerise sur le gâteau, peut se targuer d’un physique plutôt avenant, ça aurait du être la consécration ! Un festival d’endorphines, de dopamines et autres hormones de plaisir. Un fix de félicité.
Mais non. Je la vois ce soir, et je n’en ai strictement rien à foutre. C’est horrible de parler comme ça, je me suis longtemps trouvé indigne de recevoir la moindre dose d’amour de la part d’une belle femme et le jour où ça m’arrive, je n’en ai plus rien à cirer, mais malheureusement, c’est la vérité. Je recommence à fantasmer sur les nanas de mon entourage que je pourrais potentiellement me taper. J’ai le sentiment d’être prisonnier. Ça remet tout mon univers intellectuel en question. Le but de ma vie n’est plus de me trouver une meuf aussi tarée que moi et de me coller à elle. C’est ce que j’ai fait, et ça n’est manifestement pas ça. J’ai échafaudé un tas d’hypothèses relatives à cet état d’insatisfaction.
La première pourrait résulter de la peur de la baiser, ou plutôt de tenter de la baiser et de ne pas y arriver. Face à cette peur, mon cerveau aurait donc trouvé une excuse parfaite en intimant à mon corps de ne plus la désirer. Bref, pure lâcheté de ma part. Avec cette hypothèse en tête, je me suis dit qu’il fallait impérativement que je la baise. Après ça, j’aviserais, mais pas question de prendre une décision avant.
Seconde hypothèse : je suis atteint du syndrome Don Juan. Ce qui m’intéresserait, ce serait la quête, le chemin à parcourir pour réussir à me faire aimer d’une nana, mais une fois que je me serais attiré ses faveurs, elle ne m’intéresserait plus. Je me sentais tellement aux antipodes de cette attitude il y a encore à peine deux semaines que ça me parait peu probable. Mais sait-on jamais.
Dernière hypothèse : la rouquine n’est pas mon type de femme. Je ne sais pas si je vous l’ai déjà dit, mais j’ai toujours été attiré par les grandes gueules. Les meufs sûres d’elle me font totalement chaviré. Je crois que j’aime par-dessus tout les dominatrices. Je n’ai encore jamais baisé l’une d’entre elles, il faudrait impérativement que je le fasse pour en avoir le cœur net. Je ne pense pas avoir la moindre pulsion gay, l’idée de pomper une queue ne m’excite absolument pas, pas plus que celle de me faire sodomiser. Mais j’adorerais faire l’amour avec une dominatrice. Je ne sais pas ce qui m’exciterait le plus : la soumettre elle, ou me faire soumettre ? Bref, je m’égare, pardonnez-moi. Tout ça pour dire que ma meuf est peut-être un peu (beaucoup) trop réservé et coincée pour moi. A voir.
Dans tous les cas, la seule conclusion que j’ai tiré de tout ce bordel, c’est qu’l fallait que je reste avec elle coûte que coûte histoire d’en apprendre un peu plus. Et de voir où ça me mène.
Un bon point, quand même : tout cela ne m’empêche pas d’aller plutôt bien, ou tout du moins beaucoup mieux que d’ordinaire. C’est sans doute assez difficile à comprendre, mais je suis en quelque sorte affranchi de mon état victimaire. J’ai passé pas mal de temps à me lamenter sur mon sort (je n’en parlais jamais à personne, heureusement, j’étais donc le seul à en subir les conséquence) en désespérant de n’être pas foutu comme tout le monde et de ne pas réussir à garder une meuf, cette chose si simple à laquelle tout le monde parvenait et qui était censée me rendre tellement heureux. Maintenant que cet illusoire horizon est dépassé, c’est comme si tout un champs de possible s’ouvraient à moi. Que vais-je faire de ma vie ? Je l’ignore, mais dans tous les cas je ne la passerai plus à courir après des chimères.
E. Dolokhov