SUITE
Je suis l'homme de la nature avant d'être celui de la société. Cette citation du Marquis de Sade me vient soudainement en tête durant la marche. Il est vrai que les embruns maritimes me fouettant le visage au gré des vents sont curieusement un bon remède pour une évasion de l’esprit ; on dit aussi que le sel de mer cicatrise les blessures.
Une semaine qu’elle ne m’a pas rappelé la vilaine.
Les promenades sur ces jetées désertes dans l’intense froid de la matinée, me font rencontrer de rares passants essentiellement des petits pecheurs locaux, ces espèces de gens qui font que la France se réveille chaque matin en se disant qu’elle n’a pas encore perdu le sens des réalités.
7 foutues journées et pas un seul message.
Le restaurateur obèse du quartier, entre deux cuissons et son tablier venant souvent s’échouer sur son front dégoulinant de sueurs, me jure que jamais sa terre ne paiera pour ces foutus salopards de Bruxelles qui viennent sucer les ressources de son « pays ». Un consommateur isolé au fond de la salle acquiesce d’un signe de la tête.
Elle veut jouer au plus fin avec moi ? D’accord mais on sera deux !
Juste avant de quitter la région, la bonne femme me tend du beurre salé dans un joli emballage doré. Comme je reste coi face à ce présent elle s’empresse de me rajouter que ça vient du terroir et que les ancetres ont toujours dit que le sel matinal est le secret de leur longévité.
Et c’est bien à cela que je suis en train de gouter en ce moment meme : le sel de la vie. Heureusement que ces 7 jours suivant notre dernière rencontre ont été efficacement occupé par un séjour en Armorique. Et tous ces bretons attachés à faire vivre la terre m’ont rappelé combien mes préoccupations demeurent futiles.
Le jour meme de mon retour sur Paris, un SMS m’invite pour le lendemain à une petite soirée dans le 15ème arrondissement pour feter le retour d’un ami de Chine où il y a passé 1 an. L’auteur est Anouchka.
J’accepte l’invitation.
Présupposant la composition du « gratin » autour de cette soirée, je choisis volontairement d’adopter un code vestimentaire décalé, d’aucun dirait outrancier : jeans et chaussures de sport casual, complété par un basique tee-shirt blanc moulant le corps.
Je respecte néanmoins certains protocoles et contribue à la soirée en ramenant de quoi célébrer dignement l’apéritif.
Je sonne sur le perron de la porte d’entrée… Anouchka m’ouvre et après une bise expéditive s’en va retourner à la cuisine préparer la table du diner.
Livré à moi-meme, je fais toujours la meme opération quand je suis chez une nana : scanner son domicile. Et c’est intéressant de voir à quel point l’aménagement d’un lieu d’habitation donne des indices sur la personnalité de son occupant. Après avoir parcouru le patio, je me dirige vers sa salle de séjour : spacieuse, bien éclairé, la pièce n’est pourtant que très peu équipée en accessoires de décorations et tous les codes de la bourgeoisie qui s’affiche sont absents : pas de sculptures africaines ou autres, aucun objet désign contemporain ou attaché à une période historique précise. Meme ses meubles et la table principale restent à l’image de tout le reste de l’appartement : propre, classe mais sobre et finalement simple.
A l’exception notoire d’un tableau assez trash mis bien vue dans la salle de séjour, la fantaisie n’est qu’à trouver dans sa bibliothèque fournie et très variée dans les styles.
Les minutes passant, l’appartement d’Anouchka commence à s’emplir de bruits de rires, de pas sonores insistant sur le parquet puis bien vite tout ce beau monde se retrouve réuni dans le salon.
Nous devons etre une petite dizaine composée assez équitablement d’autant de femmes que d’hommes. Toutes et tous sont chichement vetus. Les mecs sont désespérément les clones des uns et des autres, en chemises noires ou grises avec le col ouvert sur le haut et les cheveux mi-longs gominés dans le style BHL. Montres en vues sur leur poignet, dès qu’ils ouvrent la bouche leur propos font autorité et une escouade de jeunes femmes endimanchées gloussent alors de rire pour montrer qu’elles comprennent la spiritualité des propos vociférés.
Quant à moi, je sens que je vais m’emmerder comme une momie dans son sacorphage enterré dans la 4ème chambre souterraine d’un temple toujours enfouie sous les dunes du vaste désert du Nil. Personne ne prete attention à moi. Il me semble à ce moment là etre aussi important que l’abat-jour qui traine là bas dans le coin.
Anouchka malgré le retour d’un de ses amis, est la reine de la soirée et les regards fusent autour d’elle. Je dirai que ce n’est pas la plus jolie des invitées mais sa vivacité d’esprit ajoutée à son sourire explosif fait pencher les cœurs.
Oyé, oyé brave gens ! Le gueux de la flamboyante cité médiévale est là pour vous rappeler la misère que vous vomissez de toutes vos forces. Il est là silencieux et écoute le béni oui oui puant que vous lui faites subir !! Un peu de grace mesdames et messieurs les opulents ! Accordez lui audience, peut etre qu’il saura faire vaciller votre vie trop confortable et linéaire.
Bon faisons le bilan rapide : charisme : 0.
Look : 0.
Séduction : 0.
Alpha attitude : -10.
Confiance : en baisse.
Détermination : + 100.
On attaque !
A la faveur d’une discussion artistico-érotique sur les tableaux contemporains, j’allume la mèche et prends la parole sur le sujet :
- Tu vois Anouchka, moi je dirai que tu es une perverse refoulée. Ton attitude d’ange contraste avec tes pulsions les plus interdites. Je sais cela parce que je te connais et surtout parce que ce tableau que tu affiches au dessus de nous, représentant le corps nu d’une femme avec une tete de cheval est l’expression meme de tes fantasmes…
Silence de mort dans l’assemblée ( je kiffe !)
-…tu devrais en ta qualité de femme intelligente et audacieuse aller jusqu’au bout. Moi je proclame que notre prochaine réunion se fasse tout nu pour respecter la valeur artistique du tableau. Par contre par souci de pudeur les hommes apporteront des cravates ou nœuds papillons !
Un seul rire crispé de l’assistance. Anouchka est la seule à se marrer vraiment. Pour le reste il n’y a que des sourires polis de circonstances. 2 minutes après, excepté Anouchka, je suis encore plus ignoré qu’auparavant. Mais j’ai gagné mon pari, quelques femmes de temps à autres me lancent des regards meles de mepris et de curiosités et j’EXISTE enfin.
Néanmoins cette soirée me met mal à l’aise et j’ai du mal à placer des mots.Je garde tant bien que mal un BL ferme. Puis au détour d’une conversation Anouchka me tend un petit album photo où on la voit seule en position assez suggestive dans différents endroits de son appartement. Les photos sont en noirs et blancs et ornés d’un bel encadrement… J’avais vu juste !!
Des miss viennent à ce moment essayer de regarder par-dessus mon épaule ces photos personnelles. Mais Anouchka referme immédiatement le book à l’étonnement de ses amies. Je viens encore de gagner un point crucial, meme si cela a mis du temps.
Désormais à ce stade avancé de la soirée on me considère et je sens bien que je représente l’excitation potentielle de ces demoiselles enlovés dans l’amour sans épices du sexe petit bourgeois. Mais Marx serait peut etre content de voir que leur instinct de classe l’a emporté sur le désir charnel et que leurs mépris à mon égard désormais cohabitant avec la jalousie ne m’a jamais quitté.
Donc malgré quelques coups d’éclats, la soirée n’a pas brillé pour moi mais je suis en train de ferrer ma relation avec Anouchka et c’était mon objectif principal. Comme par hasard le leader de la soirée est un gars intéressé par Anouchka qui s’est laissée prendre au jeu de la séduction. Les convives quittent progressivement l’appartement d’Anouchka et le type qui est à l’ouvrage sur ma belle slave est toujours en lice.
Je prends alors Anouchka par le bras et lui chuchote à l’oreille que j’ai besoin de parler avec seul à seule sur un ton très solennel et grave
- Mais de quoi veux tu parler ? me dit elle la mine dépitée.
- C’est à propos de tes photos , elles font jaser certaines de tes copines qui l’ont vu.
- Bon ok tu vas me raconter.
Puis sans dire au revoir à tous ces gens qui m’ont ignoré je m’installe volontairement en évidence sur le canapé pour montrer que je reste chez elle. Un bouquin sur les chiennes de garde à la main (le premier que j’ai pris au hasard dans sa bibliothèque ! C’est pas un signe ça ? ) je fais semblant de lire tout en guettant derrière moi, les oreilles tendues comme un fauve si ce nabab va quitter lui aussi ma proie.
Boum,boum…boum,boum…boum,boum… les battements de mon cœur s’affolent. Bon sang mais dégagez tous !
Crac,crac…crrrrr cette fois c’est le parquet qui prends le relais, je ne perçois plus que des voix étouffées et ce * d’animal en rut qui est en discussion animée avec Anouchka sur le perron de sa porte…allez un petit effort fous le camp bon sang… suis-je en train de marmonner les dents serrées.
Il finit enfin par quitter l’appart avec je suppose un numéro de téléphone et une promesse de se revoir par la suite, mais je m’en fous , pour le moment je veux etre le gagnant de cette soirée.
Anouchka revient vers moi et me demande si je souhaite un autre verre ; je réponds par la favorable puis nous nous asseyons tous les deux sans prudence sur la table de verre comme pour souffler de cette soirée éreintante.
Les murs de la maison relaient maintenant nos paroles posées et complices. Je n’ai pas d’efforts à faire avec elle pour créer une dynamique, les mots coulents tout seuls de nos lèvres et les regards sont accrochés l’un vers l’autre. Je ne suis pas amoureux de cette femme (elle que cela m’arrivera un jour d’ailleurs ?) mais je me dis que je pourrais faire ma vie avec elle.
Elle me questionne à propos de ces photos, mais a elle a de toutes façons compris que ce n’était qu’un prétexte pour nous isoler.
Nous partons très vite sur une analyse pansexualiste de son tableau, et partage mon point de vue sur l’esthétisme du sexe à condition qu’il soit intime et non public. Elle remplit son verre de champagne et je sais que c’est un indice pour se laisser aller d’avantage.
Bien vite la température monte et Anouchka me passe son appareil photo pour que je la photographie nue partiellement ou totalement. Elle se débrouille à merveille pour la pose et son corps mise à nu s’offre à moi dans toute sa splendeur. La suite se doit d’etre protégée par pudeur mais ce fut de la folie en tout sens.
Au lendemain matin, on se regarde comme pour dire : et la suite ?
Je n’ai pas confiance en elle, parce que belle, jolie, intelligente et connaissant des hommes de situation, je ne suis pas sur que j’aurai compté longtemps pour elle. Elle n’a pas confiance en moi car elle connait mon amour pour les femmes et sait que je peux aller voir ailleurs au gré de mes rencontres.
Je l’ai quitté le vague à l’ame, mais ce bouquet de fleurs déposé sur le pas de sa porte par un de ces AFC au compte en banque aussi lourd que leur inexpérience des femmes, m’a étrangement redonné le sourire et l’envie plus féroce encore de poursuivre la dangereuse mais exaltante conquete des femmes…pour combien de temps encore ?
FIN.