Je trouve que dans ce débat on a quand même un peu tendance à schématiser excessivement. En gros, le monde se partagerait entre:
- des "players", qui ne fonctionneraient que sur la base de techniques plus ou moins pertinentes et qui seraient des sortes de robots sociaux.
- des gens qui se comporteraient de manière naturelle et qui n'auraient rien à faire de plus qu'aller parler à des filles pour chopper un max.
Je trouve tout ça quand même un peu caricatural.
Partons d'une idée générale. Pour commencer, il faut, me semble-t-il oublier l'idée (l'idéal ?) selon laquelle la séduction serait innée et qu'il suffit de laisser libre cours à ses pulsions pour créer un lien amoureux ou sexuel. Ceci pour la simple et bonne raison que la séduction associe en elle désir ET codes sociaux. Il suffit, pour s'en rendre compte, de penser à un acte aussi simple que le fait d'offrir une rose, Le geste est chargé de symbolisme. La séduction se présente ainsi comme un processus fortement codifié, de même d'ailleurs que l'ensemble des relations sociales: l'homme ne se réduit en aucun cas à sa dimension animale: il associe naturellement - si je puis dire - ses pulsions (qui relèvent de l'instinct) aux codes qui organisent la vie sociale (qui relèvent de la culture).
Maintenant, si on part de cette idée, il apparaît assez facilement qu'en fait, presque tout, dans le domaine de la séduction, relève du code social, de la norme, du comportement appris et non inné. Aussi, et particulièrement, des comportements qui semblent les plus naturels du monde.
Pour expliquer cette idée, oublions un instant le domaine de la séduction pour considérer simplement celui des relations sociales en général. Ce domaine aussi se trouve complètement investi par des codes implicites et d'autant plus importants qu'ils permettent l'échange et donc, la vie en société. Parmi les exemples...
- la manière de s'habiller (et d'ailleurs, le fait même qu'on s'habille). Acte très précisément codifié par la société.
- la politesse. Dire "Bonjour" (ou "Salut", selon le contexte). Dire "Merci", dire "Je t'en prie". Ce ne sont pas des comportements "naturels". Ce sont autant de codes sociaux, appris, puis acquis et intériorisés. Au bout du processus, ils paraissent "naturels", alors qu'il n'en est rien. Ce sont des attitudes, gestes, phrases, comportements intégrés par imprégnation. Ils constituent ce que Bourdieu appelle l'
habitus.
Maintenant, si on transpose ça au monde de la séduction, ça donne quoi ? De la même manière, l'échange est fortement codifié. J'ai donné plus haut l'exemple de la rose, qui n'était qu'une illustration particulièrement frappante d'un phénomene bien plus général: le fait que le rapport de séduction est pétri de codes. On peut en donner plein d'exemples:
- ce que l'on se dit ou pas lors d'une rencontre. On n'aborde pas une inconnue en lui expliquant qu'on a envie de la prendre en levrette - même si c'est effectivement le cas. On respecte là aussi des normes. Certains diront "c'est normal, ça va de soi, c'est la moindre des politesse." En réalité, il n'en est rien: rien, dans le domaine de l'échange, "va de soi", ça relève, là encore, de l'acquis, de l'appris.
- l'échange de messages: là encore, il y a beaucoup de codes implicites, dont on n'a pour l'essentiel pas conscience. Fréquence de l'échange, contenus, longueur... Aucun hasard là-dedans.
- gestes: il va en général de soi que - par exemple - on ne glisse pas sa main dans la culotte de mademoiselle alors qu'on ne l'a même pas embrassée. Certes, certains diront "En fait, figure-toi que dans certains contextes, ça peut très bien passer !" Chose que par ailleurs, je sais parfaitement, pour l'avoir expérimenté moi-même. Il demeure que c'est là relativement rare... C'est en fait l'exception qui confirme... la règle. Dans tout ça, une fois encore, rien de "naturel", mais plutôt, des codes.
So what ?
À partir de là, ça n'a pas grand sens de vouloir opposer un comportement prétendument "naturel", à un comportement "artificiel" (les techniques, quoi...), pour la simple et bonne raison que l'essentiel de ce que nous voyons comme naturel n'est en fait que le résultat d'un véritable apprentissage. À l'origine, ce comportement naturel n'est, en réalité, pas moins artificiel. C'est juste que nous n'en avons que très peu conscience, car cet apprentissage se fait de manière essentiellement inconsciente (par l'observation du monde, des parents, des amis, de films et ainsi de suite...). Sur cette base, l'unique distinction qui tienne, n'est pas tellement celle qui opposerait des comportements naturels à des comportements artificiels, mais plutôt entre :
- des comportements acquis et intériorisé, au point de paraître parfaitement naturels (mais ce n'est là qu'impression)
- des comportements que l'on décide consciemment, "artificiellement", pourrait-on dire, d'acquérir. À noter que ces dernier sont susceptibles de devenir, avec le temps, eux-mêmes des attitudes naturelles.
Maintenant, revenons aux dites "techniques". Ici, on a maintenant tendance à voir dans ces techniques un ensemble de manières de faire et de parler qui, par leur caractère artificiel, seraient en opposition avec des manières de faire plus naturelles. Or, ces manières de faire ne sont en aucun cas plus naturelles: c'est juste que leur apprentissage a été oublié. On en tire la conclusion que n'est pas moins dans la technique celui qui - par exemple - évite d'écrire trois messages à une fille pour lui proposer d'aller prendre un verre (sachant qu'il paraîtrait rapidement lourd) - comportement qu'on verra ici comme "naturel" - que celui qui fait du DHV dans un bar car il en a découvert l'intérêt en lisant Mystery - comportement qu'on tendra ici à voir comme "artificiel".
La suite après la douche
