[Film] Black Snake Moan (2007)
Posté : 07.06.07
...du blues, du blues, du blues !

Ce mercredi matin, apres un petit footing, je me suis décidé à poser mes fesses (que les femmes aiment tant
) dans un fauteuil de cinéma d'art et essai. Je suis allé voir Black Snake Moan (la complainte du serpent noir).
J'avais déjà lu quelques critiques très positives sur l'oeuvre et vu le précédent long métrage du réalisateur Craig Brewer : Hustle & Flow (2005), Film qui traitait du proxénetisme (You're a fuckin' Pimp, man !) et du Hip-hop.

Ici point de proxénétisme ni de hip-hop (sauf la presence de David Banner en mac' bodybuildé) mais plutot de Nymphomanie et de Blues. Vous me direz que ça y ressemble un peu. Et bien OUI bande de petit coquins. D'ailleurs en introduction du film, on a le droit à un extrait d'une interview d'un des papes du Blues,Son House, qui décrit fort bien le Blues et les racines de cette musique : une histoire d'amour qui finit mal entre un homme et une femme.
Et ce sont ces termes ainsi que la Blaxploitation qui inspirent ce film. Cependant, le label Blaxploitation ne constitue que l’écume de Black Snake Moan, pari excitant et vrai-faux film de genre totalement surprenant d’un bout à l’autre. Avec son serpent du désir échappé du jardin d’Eden, son geôlier gourou et son héroïne nympho en plein dénuement zinzin, ce long métrage de Craig Brewer part de formules éprouvées pour expérimenter avec panache et retourner comme des crêpes tous les préjugés. Le film que vous ne devez pas manquer.
Black Snake Moan, titre inspiré d’un morceau culte de Blind Lemon Jefferson, poursuit la révolution Black et Plot. En surface, Craig Brewer joue avec les codes de la blaxploitation, genre des années 70 dont l’initiateur reste Melvin Van Peebles avec son réjouissant Sweet Sweetback’s Baadasssss Song (1971). C’est la première fois dans l’histoire du cinéma qu’un black tue un flic blanc. Le succès est si retentissant que les majors d’Hollywood découvrent une nouvelle manière de faire un cinéma subversif qui inverse les tendances, les archétypes et les courants. Certaines déclinaisons ont fait des ravages dans les drive-in de l’époque. Parmi les films les plus célèbres, on distinguera Foxy Brown (1974), Dolemite, The Black Gestapo, The Human Tornado, Wattstax, Superfly, Black Caesar(avec une bande-son signée James Brown) en passant par le "rah-lovely" Shaft (1971). Ces films sont motivés par l’envie de donner aux acteurs noirs d’autres rôles que ceux de violeurs ou de dealers, défendus ou traqués par un héros blanc.

En pleine révolution des Black Panthers, un nouveau genre se met en place avec suffisamment de violence, de sexe et de «bon mauvais goût» pour attirer les cinéphiles curieux. La blaxploitation génère une nouvelle mode de fictions délirantes où les blacks portent des costards classieux, où les personnages se distinguent par leurs excentricités et où les bandes-sons sont souvent à tomber (le thème de Shaft est aujourd’hui un standard). Historiquement, socialement, politiquement, on peut considéré ça comme un signe fort de rebellion. Souvent, les films de blaxploitation traitent des abandonnés du rêve américain (prostituées, dealers, tueurs) et se situent dans le ghetto (dans la majorité des cas, un Harlem grouillant). Progressivement, le genre s’est étendu de manière exceptionnelle à travers des genres annexes: la pornographie, l’horreur et la comédie musicale. La mode a dépassé le stade purement cinématographique pour envahir la bande dessinée et la musique. Aujourd'hui, on conserve des traces de cette sous-culture: certains stéréotypes groove sont repris par des groupes de rap et Tarantino (jackie Brown) l'a érigée en modèle. Détail important, les films de Blaxploitation sont réalisés par des Blancs, produits par des Blancs; ces conditions ont poussé certaines associations afro-américaines à les fustiger et à entraîner leur disparition. Malin et doué, Craig Brewer respecte en apparence les conventions de la Blaxploitation: réalisateur blanc, sexualité débordante, bande-son divine, transgression latente, célébration des marginaux, importance de la culture black. Mais assimiler Black Snake Moan à un exercice de pastiche référentiel serait terriblement réducteur. Le film aux accents nostalgiques est suffisamment déviant pour contenir tout plein d’autres trésors cachés comme par exemple jouer sur les poses lascives et la nudité de Christina Ricci.


Christina, ne te mets pas en petite tenue, tu risques de te faire séquestrer très fort. Il y a un an, on aurait pu croire que Craig Brewer allait rester avec Hustle and Flow et son prix du public au festival de Sundance en 2005. La décharge Black Snake Moan prouve qu'il n’en est rien. Cœur enchaîné, Christina Ricci incarne une nymphomane qui cherche l’amour dans le regard de tous les mecs machos. Un matin, elle est recueillie puis séquestrée par Samuel L. Jackson, bluesman et peut-être démon rédempteur. Deux mondes s’affrontent et également deux bêtes d’acteur, l’un revenu de ses serpents dans l’avion
et l’autre des loups-garous de tonton Craven (re
). Comme Des serpents dans l'avion, Black Snake Moan fait partie de ces films qui ont eu envie de jouer la carte du e-marketing. (L'été dernier, Paramount avait d’ailleurs proposé aux internautes de réaliser la bande-annonce du film en offrant aux gagnants un pass VIP pour le festival de Sundance 2007)

Le résultat? Un uppercut nourri de rencontres imprévues et d’introspections déchirantes. Et contrairement à ce que sous-tend l’affiche, ce film où on swingue sur Blind Lemon Jefferson ne s’intéresse que partiellement aux rapports de domination entre la belle shootée et la bête généreuse. En réalité, il privilégie une dimension plus humaine, à la fois originale, spontanée et ambiguë. Sans exception, tous les personnages présentés sont englués dans une rouille existentielle et cherchent une rédemption sentimentalo-morale. Graduellement, le désir pénètre cet enfer terrestre par le pouvoir transcendantal et cathartique du blues, musique des états d’âme. Alors que Hustle & flow était sur le monde du crunk (variété de rap musclée propre au Sud des Etats Unis), Brewer visite désormais un autre courant musical, plus vintage, pour retranscrire avec fièvre sa dualité : son spleen inconsolable et en même temps sa chaleur sensuelle. Et? Et c’est délicieux.
Concluons en distinguant un vrai moment de grâce: lorsque soudainement, la fiction Black snake moan s’arrête et que tout plein de gens mélomanes oublient les griefs et afflictions dont ils sont prisonniers pour faire swinguer l’électricité de leurs corps magnétiques sur le long morceau de blues terriblement enivrant de Blind Lemon Jefferson. A cet instant, Samuel L. Jackson renaît, Christina Ricci revit. On a envie de les rejoindre et de succomber à cette étreinte romantique. Cette audace inattendue, à l’image de la fausse conclusion moralisatrice, confirme l’intelligence de ce film remarquable qui représente ce que le cinéma indépendant US fait de mieux.
un conseil: procurez-vous la B.O d'urgence, elle est excellente, ça sent le Sud bien profond et tourne deja en boucle chez moi.

cheers

Ce mercredi matin, apres un petit footing, je me suis décidé à poser mes fesses (que les femmes aiment tant

J'avais déjà lu quelques critiques très positives sur l'oeuvre et vu le précédent long métrage du réalisateur Craig Brewer : Hustle & Flow (2005), Film qui traitait du proxénetisme (You're a fuckin' Pimp, man !) et du Hip-hop.

Ici point de proxénétisme ni de hip-hop (sauf la presence de David Banner en mac' bodybuildé) mais plutot de Nymphomanie et de Blues. Vous me direz que ça y ressemble un peu. Et bien OUI bande de petit coquins. D'ailleurs en introduction du film, on a le droit à un extrait d'une interview d'un des papes du Blues,Son House, qui décrit fort bien le Blues et les racines de cette musique : une histoire d'amour qui finit mal entre un homme et une femme.
Et ce sont ces termes ainsi que la Blaxploitation qui inspirent ce film. Cependant, le label Blaxploitation ne constitue que l’écume de Black Snake Moan, pari excitant et vrai-faux film de genre totalement surprenant d’un bout à l’autre. Avec son serpent du désir échappé du jardin d’Eden, son geôlier gourou et son héroïne nympho en plein dénuement zinzin, ce long métrage de Craig Brewer part de formules éprouvées pour expérimenter avec panache et retourner comme des crêpes tous les préjugés. Le film que vous ne devez pas manquer.
Black Snake Moan, titre inspiré d’un morceau culte de Blind Lemon Jefferson, poursuit la révolution Black et Plot. En surface, Craig Brewer joue avec les codes de la blaxploitation, genre des années 70 dont l’initiateur reste Melvin Van Peebles avec son réjouissant Sweet Sweetback’s Baadasssss Song (1971). C’est la première fois dans l’histoire du cinéma qu’un black tue un flic blanc. Le succès est si retentissant que les majors d’Hollywood découvrent une nouvelle manière de faire un cinéma subversif qui inverse les tendances, les archétypes et les courants. Certaines déclinaisons ont fait des ravages dans les drive-in de l’époque. Parmi les films les plus célèbres, on distinguera Foxy Brown (1974), Dolemite, The Black Gestapo, The Human Tornado, Wattstax, Superfly, Black Caesar(avec une bande-son signée James Brown) en passant par le "rah-lovely" Shaft (1971). Ces films sont motivés par l’envie de donner aux acteurs noirs d’autres rôles que ceux de violeurs ou de dealers, défendus ou traqués par un héros blanc.


En pleine révolution des Black Panthers, un nouveau genre se met en place avec suffisamment de violence, de sexe et de «bon mauvais goût» pour attirer les cinéphiles curieux. La blaxploitation génère une nouvelle mode de fictions délirantes où les blacks portent des costards classieux, où les personnages se distinguent par leurs excentricités et où les bandes-sons sont souvent à tomber (le thème de Shaft est aujourd’hui un standard). Historiquement, socialement, politiquement, on peut considéré ça comme un signe fort de rebellion. Souvent, les films de blaxploitation traitent des abandonnés du rêve américain (prostituées, dealers, tueurs) et se situent dans le ghetto (dans la majorité des cas, un Harlem grouillant). Progressivement, le genre s’est étendu de manière exceptionnelle à travers des genres annexes: la pornographie, l’horreur et la comédie musicale. La mode a dépassé le stade purement cinématographique pour envahir la bande dessinée et la musique. Aujourd'hui, on conserve des traces de cette sous-culture: certains stéréotypes groove sont repris par des groupes de rap et Tarantino (jackie Brown) l'a érigée en modèle. Détail important, les films de Blaxploitation sont réalisés par des Blancs, produits par des Blancs; ces conditions ont poussé certaines associations afro-américaines à les fustiger et à entraîner leur disparition. Malin et doué, Craig Brewer respecte en apparence les conventions de la Blaxploitation: réalisateur blanc, sexualité débordante, bande-son divine, transgression latente, célébration des marginaux, importance de la culture black. Mais assimiler Black Snake Moan à un exercice de pastiche référentiel serait terriblement réducteur. Le film aux accents nostalgiques est suffisamment déviant pour contenir tout plein d’autres trésors cachés comme par exemple jouer sur les poses lascives et la nudité de Christina Ricci.






Christina, ne te mets pas en petite tenue, tu risques de te faire séquestrer très fort. Il y a un an, on aurait pu croire que Craig Brewer allait rester avec Hustle and Flow et son prix du public au festival de Sundance en 2005. La décharge Black Snake Moan prouve qu'il n’en est rien. Cœur enchaîné, Christina Ricci incarne une nymphomane qui cherche l’amour dans le regard de tous les mecs machos. Un matin, elle est recueillie puis séquestrée par Samuel L. Jackson, bluesman et peut-être démon rédempteur. Deux mondes s’affrontent et également deux bêtes d’acteur, l’un revenu de ses serpents dans l’avion



Le résultat? Un uppercut nourri de rencontres imprévues et d’introspections déchirantes. Et contrairement à ce que sous-tend l’affiche, ce film où on swingue sur Blind Lemon Jefferson ne s’intéresse que partiellement aux rapports de domination entre la belle shootée et la bête généreuse. En réalité, il privilégie une dimension plus humaine, à la fois originale, spontanée et ambiguë. Sans exception, tous les personnages présentés sont englués dans une rouille existentielle et cherchent une rédemption sentimentalo-morale. Graduellement, le désir pénètre cet enfer terrestre par le pouvoir transcendantal et cathartique du blues, musique des états d’âme. Alors que Hustle & flow était sur le monde du crunk (variété de rap musclée propre au Sud des Etats Unis), Brewer visite désormais un autre courant musical, plus vintage, pour retranscrire avec fièvre sa dualité : son spleen inconsolable et en même temps sa chaleur sensuelle. Et? Et c’est délicieux.
Concluons en distinguant un vrai moment de grâce: lorsque soudainement, la fiction Black snake moan s’arrête et que tout plein de gens mélomanes oublient les griefs et afflictions dont ils sont prisonniers pour faire swinguer l’électricité de leurs corps magnétiques sur le long morceau de blues terriblement enivrant de Blind Lemon Jefferson. A cet instant, Samuel L. Jackson renaît, Christina Ricci revit. On a envie de les rejoindre et de succomber à cette étreinte romantique. Cette audace inattendue, à l’image de la fausse conclusion moralisatrice, confirme l’intelligence de ce film remarquable qui représente ce que le cinéma indépendant US fait de mieux.
un conseil: procurez-vous la B.O d'urgence, elle est excellente, ça sent le Sud bien profond et tourne deja en boucle chez moi.


cheers