[A] L'orgasme féminin : un vestige de l'évolution
Posté : 10.01.10
L’orgasme féminin : un vestige de l’évolution
in « Cerveau &psycho » n°15 ( 05-06/2006 ), pp80-81
« Pourquoi certaines femmes ont-elles des orgasmes, et d’autres non ? Dans un livre récent, la biologiste Elisabeth Lloyd défend une thèse controversée : comme les femmes n’ont pas besoin d’éprouver du plaisir pour avoir des enfants, cette capacité, qui n’est pas indispensable à la survie de l’espèce, se serait raréfiée chez elles ».
- Les hommes et les femmes sont inégaux face à l’orgasme : tous les hommes ( ou presque ) connaissent cette sensation de plaisir culminant, alors que certaines femmes n’y gouttent jamais.
- La fonction de reproduction occupe une place centrale dans l’évolution des espèces, dont elle est à la fois le substrat et le moteur :
* substrat : les individus les plus aptes à se reproduire ont une plus grande descendance, descendance sur laquelle s’exerce la sélection naturelle
* moteur : pour que les mutations génétiques aléatoires ( induisant de légères variations inter-individuelles porteuses d’avantages adaptifs ) soient transmises des parents aux enfants, elles doivent toucher les ovules et les spermatozoïdes
- Hypothèse avancée par l’anthropologue Donald SYMONS ( 1979 ) : puisque les femmes « anorgasmiques » sont tout aussi fécondables que les autres, l’orgasme féminin n’est pas une adaptation conférant un avantage évolutionniste ( il s’agirait d’un sous-produit de l’évolution de l’orgasme chez l’homme ).
Cette hypothèse est-elle fondée ? Chez les mammifères, l’émission des spermatozoïdes coïncide avec le plaisir, dont la recherche est le principal moteur de l’acte de reproduction. Les évolutionnistes ont envisagé plusieurs hypothèses attribuant à l’orgasme la même valeur adaptive dans les deux sexes. Dans son livre, E. Lloyd révèle les failles d’un tel raisonnement : selon diverses enquêtes, une proportion notable de femmes ne ressentiraient ( presque ) jamais un orgasme ( = contraction réflexe des muscles pelviens accompagnée d’une sensation d’intense plaisir lors d’un rapport sexuel ). Et ces femmes n’auraient jamais dû naître si l’on s’en tient à la stricte interprétation darwinienne.
- Il faut aller trouver une explication biologique à l’orgasme lié au coït chez les femmes : explication d’ordre embryologique. Le pénis et le clitoris se développent à partir d’une même ébauche tissulaire qui commence à croître de façon disproportionnée chez l’embryon mâle quand ses testicules sécrètent de la testostérone ( vers la 8e semaine de grossesse ). Avant ce stade, les deux sexes ont la même constitution. Selon E. Lloyd, tout ce qui pré-existe chez l’embryon indifférencié et qui, en présence de testostérone, se différenciera en pénis possède nécessairement en essence les caractéristiques érotogènes d’un pénis. Pour elle, cette faculté n’est pas éliminée chez les femmes par la sélection naturelle car elle n’a pas eu d’effets négatifs. Le plaisir féminin serait un vestige de l’évolution, tout comme les dents de sagesse.
La stimulation du protopénis
- En conséquence, le plaisir féminin serait essentiellement lié à la stimulation du protopénis embryonnaire ( clitoris ), et n’a rien à voir avec la fonction de réception du pénis procréateur. Il n’y aurait donc pas eu co-évolution du plaisir et de l’acte reproducteur chez la femme.
- Reproches à la théorie d’E. Lloyd :
* la physiologie de l’orgasme féminin est mal connue, et l’ignorance de la part prise par l’organe réceptif dans son déclenchement doit inciter à des interprétations prudentes
* importance de l’aspect psychologique évoqué par les femmes, mais cet aspect est difficilement quantifiable, tant il est développé de subjectivité
* si l’orgasme coïtal n’avait pas de valeur adaptive, il devrait être distribué au hasard dans la population. S’il en avait une, positive ou négative, il serait concentré dans certaines lignées génétiques Or, deux équipes de généticiens ont récemment suggéré que la capacité d’atteindre l’orgasme aurait une composante génétique et ne serait pas seulement due à des influences culturelles
- Ce qui manque, en définitive, c’est une histoire de la sexualité de nos ancêtres. Les données concernant nos proches cousins les singes sont encore assez contradictoires. Les études les plus fiables attestent que les femelles de certains singes présentent tous les signes physiologiques et comportementaux de l’orgasme, mais le plus souvent lors de jeux homosexuels, alors que ces réactions sont plus difficiles à observer lors d’accouplement, qui peut être bref.
- Chez de nombreuses espèces de mammifères, la phase de réceptivité du comportement sexuel de la femelle est un réflexe, caractérisé par une rigidité posturale stéréotypée, déclenchée par la présence du mâle. La capacité d’expression de ce réflexe dépend de l’ovaire qui, prêt à pondre, libère de fortes concentrations d’hormones dans le sang. Ces hormones sexuelles programment temporairement la femelle à accepter l’accouplement durant la période des chaleurs. La recherche du plaisir par la femelle n’apparaît pas ici comme un facteur déterminant pour la pérennité de l’espèce.
- Chez l’être humain, le comportement sexuel est devenu indépendant des hormones et n’est donc plus strictement lié à la fonction de reproduction. De plus, dans les sociétés modernes, l’aspect récréatif de l’acte l’emporte sur l’aspect procréatif.
Par Philippe CIOFI ( neuro-anatomiste )
Le livre d’Elisabeth Lloyd : « L’affaire de l’orgasme féminin : des biais dans l’étude de l’évolution ».
in « Cerveau &psycho » n°15 ( 05-06/2006 ), pp80-81
« Pourquoi certaines femmes ont-elles des orgasmes, et d’autres non ? Dans un livre récent, la biologiste Elisabeth Lloyd défend une thèse controversée : comme les femmes n’ont pas besoin d’éprouver du plaisir pour avoir des enfants, cette capacité, qui n’est pas indispensable à la survie de l’espèce, se serait raréfiée chez elles ».
- Les hommes et les femmes sont inégaux face à l’orgasme : tous les hommes ( ou presque ) connaissent cette sensation de plaisir culminant, alors que certaines femmes n’y gouttent jamais.
- La fonction de reproduction occupe une place centrale dans l’évolution des espèces, dont elle est à la fois le substrat et le moteur :
* substrat : les individus les plus aptes à se reproduire ont une plus grande descendance, descendance sur laquelle s’exerce la sélection naturelle
* moteur : pour que les mutations génétiques aléatoires ( induisant de légères variations inter-individuelles porteuses d’avantages adaptifs ) soient transmises des parents aux enfants, elles doivent toucher les ovules et les spermatozoïdes
- Hypothèse avancée par l’anthropologue Donald SYMONS ( 1979 ) : puisque les femmes « anorgasmiques » sont tout aussi fécondables que les autres, l’orgasme féminin n’est pas une adaptation conférant un avantage évolutionniste ( il s’agirait d’un sous-produit de l’évolution de l’orgasme chez l’homme ).
Cette hypothèse est-elle fondée ? Chez les mammifères, l’émission des spermatozoïdes coïncide avec le plaisir, dont la recherche est le principal moteur de l’acte de reproduction. Les évolutionnistes ont envisagé plusieurs hypothèses attribuant à l’orgasme la même valeur adaptive dans les deux sexes. Dans son livre, E. Lloyd révèle les failles d’un tel raisonnement : selon diverses enquêtes, une proportion notable de femmes ne ressentiraient ( presque ) jamais un orgasme ( = contraction réflexe des muscles pelviens accompagnée d’une sensation d’intense plaisir lors d’un rapport sexuel ). Et ces femmes n’auraient jamais dû naître si l’on s’en tient à la stricte interprétation darwinienne.
- Il faut aller trouver une explication biologique à l’orgasme lié au coït chez les femmes : explication d’ordre embryologique. Le pénis et le clitoris se développent à partir d’une même ébauche tissulaire qui commence à croître de façon disproportionnée chez l’embryon mâle quand ses testicules sécrètent de la testostérone ( vers la 8e semaine de grossesse ). Avant ce stade, les deux sexes ont la même constitution. Selon E. Lloyd, tout ce qui pré-existe chez l’embryon indifférencié et qui, en présence de testostérone, se différenciera en pénis possède nécessairement en essence les caractéristiques érotogènes d’un pénis. Pour elle, cette faculté n’est pas éliminée chez les femmes par la sélection naturelle car elle n’a pas eu d’effets négatifs. Le plaisir féminin serait un vestige de l’évolution, tout comme les dents de sagesse.
La stimulation du protopénis
- En conséquence, le plaisir féminin serait essentiellement lié à la stimulation du protopénis embryonnaire ( clitoris ), et n’a rien à voir avec la fonction de réception du pénis procréateur. Il n’y aurait donc pas eu co-évolution du plaisir et de l’acte reproducteur chez la femme.
- Reproches à la théorie d’E. Lloyd :
* la physiologie de l’orgasme féminin est mal connue, et l’ignorance de la part prise par l’organe réceptif dans son déclenchement doit inciter à des interprétations prudentes
* importance de l’aspect psychologique évoqué par les femmes, mais cet aspect est difficilement quantifiable, tant il est développé de subjectivité
* si l’orgasme coïtal n’avait pas de valeur adaptive, il devrait être distribué au hasard dans la population. S’il en avait une, positive ou négative, il serait concentré dans certaines lignées génétiques Or, deux équipes de généticiens ont récemment suggéré que la capacité d’atteindre l’orgasme aurait une composante génétique et ne serait pas seulement due à des influences culturelles
- Ce qui manque, en définitive, c’est une histoire de la sexualité de nos ancêtres. Les données concernant nos proches cousins les singes sont encore assez contradictoires. Les études les plus fiables attestent que les femelles de certains singes présentent tous les signes physiologiques et comportementaux de l’orgasme, mais le plus souvent lors de jeux homosexuels, alors que ces réactions sont plus difficiles à observer lors d’accouplement, qui peut être bref.
- Chez de nombreuses espèces de mammifères, la phase de réceptivité du comportement sexuel de la femelle est un réflexe, caractérisé par une rigidité posturale stéréotypée, déclenchée par la présence du mâle. La capacité d’expression de ce réflexe dépend de l’ovaire qui, prêt à pondre, libère de fortes concentrations d’hormones dans le sang. Ces hormones sexuelles programment temporairement la femelle à accepter l’accouplement durant la période des chaleurs. La recherche du plaisir par la femelle n’apparaît pas ici comme un facteur déterminant pour la pérennité de l’espèce.
- Chez l’être humain, le comportement sexuel est devenu indépendant des hormones et n’est donc plus strictement lié à la fonction de reproduction. De plus, dans les sociétés modernes, l’aspect récréatif de l’acte l’emporte sur l’aspect procréatif.
Par Philippe CIOFI ( neuro-anatomiste )
Le livre d’Elisabeth Lloyd : « L’affaire de l’orgasme féminin : des biais dans l’étude de l’évolution ».