Comprendre et s'affranchir de la jalousie
Posté : 18.09.12
La jalousie n’est pas un sujet à balayer du revers de la main telle une évidence un peu encombrante. Il s’agit d’une puissante émotion qui s’invite dans nos relations les plus intimes pour y instaurer un climat délétère propice aux pires drames. Combien de couples vivent des relations tourmentées pour ne s’être pas penchés sur la question ? Si vous êtes vous-même sûr de votre fait au point de ne pas souhaiter poursuivre cette lecture, vous péchez probablement par excès de certitude et cet article est pour vous.
Nous aborderons tout d’abord (1) les fondements biologiques de cette émotion pernicieuse et ainsi que son rôle supposé dans l’évolution de l’espèce. Puis nous continuerons là où d’autres s’arrêtent, pour nous aventurer sur le terrain socio-culturel. Nous y verrons que (2) la jalousie est pour une large part une construction culturelle qui peut et doit-être comprise et déconstruite afin de vivre sereinement son rapport à l’Autre et à soi-même. Dans un prochain article, nous verrons (3) différentes façons concrètes de se libérer de son emprise au quotidien.
1 / Aux origines biologiques de la Jalousie
Les théories évolutionnistes considèrent la jalousie comme une émotion liée à la reproduction. La jalousie assure la survie des unions pour permettre aux couples d’assurer protection et subsistance aux nouveau-nés.
La jalousie : un sentiment universel
Les études transculturelles sur le sujet par Bram Buunk et Ralph Kupka des Universités de Groningen et Nijmegen révèle l’universalité du sentiment de jalousie : les individus ont exprimé des niveaux moyens de jalousie similaires d’un pays à l’autre, que ce soit au Mexique, aux Pays-Bas ou en Russie.
Son utilité dans la compétition génétique
Un truc aussi universel doit bien avoir une utilité quelconque pour l’espèce, non ?
Pour certains chercheurs, la jalousie peut être considérée comme le ciment du couple. Les résultats d’une étude menée par Eugene Mathes de l’Université de l’Illinois semblent aller dans ce sens. Dans cette expérience, un questionnaire fut distribué à des hommes et femmes se déclarant amoureux. Sept ans plus tard, les mêmes personnes acceptèrent de répondre à quelques questions. Les 25% de personnes du groupe ayant décidé de vivre ensemble ou de se marier étaient ceux dont le score initial de jalousie était élevé. Les 75% s’étant séparés entre temps avait initialement reporté un score de jalousie relativement plus bas.
S’il est aisé de croire qu’une jalousie ‘raisonnable’ peut être le ciment du couple, on ne manque pas non plus d’exemples pour nous rappeler qu’il peut aussi en être le poison.
Son cortège de conséquences funestes
La jalousie est évoquée dans la moitié des cas de violences conjugale. C’est également le sentiment qui prédomine chez beaucoup de jeunes couples. Selon une enquête de Dr David Riggs de la Medical Faculty of Pennsylvania, la jalousie représente un grave problème pour 1/3 des étudiants vivant en couple. Celle-ci conduit à divers abus : insultes, violences physiques, harcèlement moral etc.
Un tiers des jeunes étudiants en couple reconnaissent que la jalousie est très problématique dans leur couple.
Comment ignorer ce chiffre ?
Cette classe d’âge de jeunes mecs, beaucoup de vous en font partie et les nombreux sujets du forum ayant trait à ces questions sont révélateurs.
Prenez un instant pour vous poser la question : avec déjà souffert de la jalousie de quelqu’un ou d’être jaloux ?
Comment cela-a-t-il affecté votre relation ?
Avez-vous vraiment envie de revivre ce sentiment ?
Ce qui encore plus étonnant c’est le fait que la plupart de ces mecs peinent à être fidèles. Voilà qui dessine un problème assez curieux quand on y réfléchit deux secondes : 68% des étudiants américains de premier cycle ont déjà trompé leur copine en en embrassant une autre , 49% en couchant avec une autre (Wiederman, Hurd, 1999).
Là où cela devient encore plus intéressant c’est que Wiederman et Hurd pendant leurs entretiens avec les participants ont été abasourdis par la proportion qui n’imaginait même pas l’existence d’une alternative à la monogamie.
De toute évidence, la jalousie produit des effets dont on se passerait volontiers. Afin d’éviter ou minimiser ces effets, il est important d’élargir notre compréhension du phénomène.
C’est à mon sens ce qui mérite de sortir la jalousie du musée d’Histoire Naturelle. Il s’agit donc de dépoussiérer nos croyances à son sujet pour l’étudier au microscope de la critique sociologique.
C’est dans cette direction en tout cas que s’orientent des recherches récentes en sciences sociales (Stenner Stainton-Rogers,1998 ; Sharpsteen, 1993, Gergen and Gergen, 2002).
2/ La jalousie en tant que mécanisme de pouvoir
L’argument biologique couramment mentionné dans les publications grand public contribue à donner l’impression que la jalousie est une donnée naturelle et par conséquent inattaquable. Cela rend difficile l’identification de la part culturelle et stratégique des comportements de jalousie.
Ainsi, celui qui ne ressent pas ou peu de jalousie sera tenu pour suspect, anormal et son amour sera considéré comme ‘défectueux’ par sa partenaire. En somme : « Si tu n’es pas jaloux, c’est que tu ne m’aimes pas. »
Remise en cause de l’universalité de la jalousie
Pourtant, les exemples ne manquent pas de couples qui ont su dépasser cette émotion pour inventer un amour moins jaloux : les poly-amoureux, les échangistes et d’autres encore qui se sont affranchis du mono-normativisme sans pour autant se revendiquer d’aucune communauté.
Notons aussi que les variations culturelles d’un pays à l’autre, même géographiquement proches sont suffisantes pour mettre en lumière la part culturelle de ce sentiment prétendument universel. Ainsi un Hongrois supportera de voir sa partenaire flirter avec un autre alors qu’un Yougoslave trouvera cela inacceptable. Ce dernier en revanche sera moins enclin à s’offusquer de quelques baisers volés alors que le Hongrois y verra un douloureux affront (Buunk, Hupka, 1987). Si des faits similaires provoquent des réactions différentes suivant les pays, on peut imaginer que la jalousie soit une construction culturelle plutôt qu’une donnée biologique.
Dès lors la jalousie peut être définie comme une relation conceptuelle permettant d’instaurer des mécanismes de pouvoir. En cela elle s’apparente à une relation de pouvoir à la Foucault (1977). Cette relation est nécessairement triangulaire car elle fait intervenir trois acteurs : le jaloux, son/sa partenaire et un tiers.
Les trois mécanismes de pouvoir de la jalousie
1/ Le suspect doit réparer le tort même s’il est innocent
Il est généralement admis que l’on peut « rendre » quelqu’un jaloux. Par conséquent, c’est le comportement inapproprié du partenaire qui est la cause du sentiment de jalousie. La responsabilité d’y remédier incombe donc à celui des deux qui est suspecté, que ce soit à tort ou à raison.
Le jaloux tire de là sa légitimité au moment de formuler des demandes aussi extrêmes que de se couper de tout ou partie de son cercle social ou d’interdire les sorties en boîte de nuit à son/sa partenaire. La jalousie permet donc d’instaurer différents modes de contrôle et de surveillance : surveillance des déplacements, des moyens de communication (téléphone portable, email etc.), limitation des contacts sociaux (interdiction fréquente au sein des couples de l’amitié H/F)… Ces comportements sont, de toute évidence, antisociaux voire illégaux. Vous imagineriez difficilement engager un détective pour enquêter sur le passé de votre meilleur ami n’est-ce-pas ? Dans une société mono-normative cependant ces comportements sont souvent tolérés dans le cadre d’une relation amoureuse.
2/ Jouer sur l’imprécision de la frontière entre jalousie raisonnable et déraisonnable.
Ce mécanisme est un mécanisme de résistance au sens Foucaldien. La relation de pouvoir est donc ici inversée : en accusant le jaloux de faire preuve d’une jalousie excessive (ou ‘déraisonnable’) on sape ses arguments afin qu’il relâche son contrôle et qu’on puisse jouir de plus de liberté.
3/ Rendre l’autre jaloux à dessein
Afin de tester la solidité de leur relation, d’aucuns n’hésiteront pas à provoquer la jalousie de leur partenaire par leur comportement. Une fois encore, il s’agit d’un renversement des mécanismes de pouvoir et donc d’une forme de résistance.
Le coût des relations de pouvoir en termes de bien-être affectif
Ce type de relation peut être interprété en termes d’Analyse Transactionnelle comme un rapport Parent Normatif à Enfant Adapté. Les conditions y sont réunies pour que les deux partenaires se livrent à des jeux psychologiques (E. Berne, 1964). Ces jeux psychologiques sont des jeux de pouvoir qui lèsent toujours l’un ou l’autre des participants. Ils sont considérés par Eric Berne comme toxiques car ils nuisent à notre bien-être. L’auteur préfère à ces jeux psychologiques les contacts francs, sincères, authentiques et spontanés qu’il appelle « Intimité ». L’intimité, aussi épanouissante qu’elle soit, est souvent perçue comme difficile à atteindre et ressentie comme dangereuse car on s’y livre sans calcul ni protection.
Pour y parvenir, il est nécessaire de se libérer de l’emprise qu’exerce nos habitudes culturelles pour maîtriser voire éradiquer la jalousie de nos relations. Nous verrons dans une suite à cet article quelques moyens concrets d’y parvenir. En attendant, bonne lecture et je répondrai volontiers à vos questions ici ou par MP.
Nous aborderons tout d’abord (1) les fondements biologiques de cette émotion pernicieuse et ainsi que son rôle supposé dans l’évolution de l’espèce. Puis nous continuerons là où d’autres s’arrêtent, pour nous aventurer sur le terrain socio-culturel. Nous y verrons que (2) la jalousie est pour une large part une construction culturelle qui peut et doit-être comprise et déconstruite afin de vivre sereinement son rapport à l’Autre et à soi-même. Dans un prochain article, nous verrons (3) différentes façons concrètes de se libérer de son emprise au quotidien.
1 / Aux origines biologiques de la Jalousie
Les théories évolutionnistes considèrent la jalousie comme une émotion liée à la reproduction. La jalousie assure la survie des unions pour permettre aux couples d’assurer protection et subsistance aux nouveau-nés.
La jalousie : un sentiment universel
Les études transculturelles sur le sujet par Bram Buunk et Ralph Kupka des Universités de Groningen et Nijmegen révèle l’universalité du sentiment de jalousie : les individus ont exprimé des niveaux moyens de jalousie similaires d’un pays à l’autre, que ce soit au Mexique, aux Pays-Bas ou en Russie.
Son utilité dans la compétition génétique
Un truc aussi universel doit bien avoir une utilité quelconque pour l’espèce, non ?
Pour certains chercheurs, la jalousie peut être considérée comme le ciment du couple. Les résultats d’une étude menée par Eugene Mathes de l’Université de l’Illinois semblent aller dans ce sens. Dans cette expérience, un questionnaire fut distribué à des hommes et femmes se déclarant amoureux. Sept ans plus tard, les mêmes personnes acceptèrent de répondre à quelques questions. Les 25% de personnes du groupe ayant décidé de vivre ensemble ou de se marier étaient ceux dont le score initial de jalousie était élevé. Les 75% s’étant séparés entre temps avait initialement reporté un score de jalousie relativement plus bas.
S’il est aisé de croire qu’une jalousie ‘raisonnable’ peut être le ciment du couple, on ne manque pas non plus d’exemples pour nous rappeler qu’il peut aussi en être le poison.
Son cortège de conséquences funestes
La jalousie est évoquée dans la moitié des cas de violences conjugale. C’est également le sentiment qui prédomine chez beaucoup de jeunes couples. Selon une enquête de Dr David Riggs de la Medical Faculty of Pennsylvania, la jalousie représente un grave problème pour 1/3 des étudiants vivant en couple. Celle-ci conduit à divers abus : insultes, violences physiques, harcèlement moral etc.
Un tiers des jeunes étudiants en couple reconnaissent que la jalousie est très problématique dans leur couple.
Comment ignorer ce chiffre ?
Cette classe d’âge de jeunes mecs, beaucoup de vous en font partie et les nombreux sujets du forum ayant trait à ces questions sont révélateurs.
Prenez un instant pour vous poser la question : avec déjà souffert de la jalousie de quelqu’un ou d’être jaloux ?
Comment cela-a-t-il affecté votre relation ?
Avez-vous vraiment envie de revivre ce sentiment ?
Ce qui encore plus étonnant c’est le fait que la plupart de ces mecs peinent à être fidèles. Voilà qui dessine un problème assez curieux quand on y réfléchit deux secondes : 68% des étudiants américains de premier cycle ont déjà trompé leur copine en en embrassant une autre , 49% en couchant avec une autre (Wiederman, Hurd, 1999).
Là où cela devient encore plus intéressant c’est que Wiederman et Hurd pendant leurs entretiens avec les participants ont été abasourdis par la proportion qui n’imaginait même pas l’existence d’une alternative à la monogamie.
De toute évidence, la jalousie produit des effets dont on se passerait volontiers. Afin d’éviter ou minimiser ces effets, il est important d’élargir notre compréhension du phénomène.
C’est à mon sens ce qui mérite de sortir la jalousie du musée d’Histoire Naturelle. Il s’agit donc de dépoussiérer nos croyances à son sujet pour l’étudier au microscope de la critique sociologique.
C’est dans cette direction en tout cas que s’orientent des recherches récentes en sciences sociales (Stenner Stainton-Rogers,1998 ; Sharpsteen, 1993, Gergen and Gergen, 2002).
2/ La jalousie en tant que mécanisme de pouvoir
L’argument biologique couramment mentionné dans les publications grand public contribue à donner l’impression que la jalousie est une donnée naturelle et par conséquent inattaquable. Cela rend difficile l’identification de la part culturelle et stratégique des comportements de jalousie.
Ainsi, celui qui ne ressent pas ou peu de jalousie sera tenu pour suspect, anormal et son amour sera considéré comme ‘défectueux’ par sa partenaire. En somme : « Si tu n’es pas jaloux, c’est que tu ne m’aimes pas. »
Remise en cause de l’universalité de la jalousie
Pourtant, les exemples ne manquent pas de couples qui ont su dépasser cette émotion pour inventer un amour moins jaloux : les poly-amoureux, les échangistes et d’autres encore qui se sont affranchis du mono-normativisme sans pour autant se revendiquer d’aucune communauté.
Notons aussi que les variations culturelles d’un pays à l’autre, même géographiquement proches sont suffisantes pour mettre en lumière la part culturelle de ce sentiment prétendument universel. Ainsi un Hongrois supportera de voir sa partenaire flirter avec un autre alors qu’un Yougoslave trouvera cela inacceptable. Ce dernier en revanche sera moins enclin à s’offusquer de quelques baisers volés alors que le Hongrois y verra un douloureux affront (Buunk, Hupka, 1987). Si des faits similaires provoquent des réactions différentes suivant les pays, on peut imaginer que la jalousie soit une construction culturelle plutôt qu’une donnée biologique.
Dès lors la jalousie peut être définie comme une relation conceptuelle permettant d’instaurer des mécanismes de pouvoir. En cela elle s’apparente à une relation de pouvoir à la Foucault (1977). Cette relation est nécessairement triangulaire car elle fait intervenir trois acteurs : le jaloux, son/sa partenaire et un tiers.
Les trois mécanismes de pouvoir de la jalousie
1/ Le suspect doit réparer le tort même s’il est innocent
Il est généralement admis que l’on peut « rendre » quelqu’un jaloux. Par conséquent, c’est le comportement inapproprié du partenaire qui est la cause du sentiment de jalousie. La responsabilité d’y remédier incombe donc à celui des deux qui est suspecté, que ce soit à tort ou à raison.
Le jaloux tire de là sa légitimité au moment de formuler des demandes aussi extrêmes que de se couper de tout ou partie de son cercle social ou d’interdire les sorties en boîte de nuit à son/sa partenaire. La jalousie permet donc d’instaurer différents modes de contrôle et de surveillance : surveillance des déplacements, des moyens de communication (téléphone portable, email etc.), limitation des contacts sociaux (interdiction fréquente au sein des couples de l’amitié H/F)… Ces comportements sont, de toute évidence, antisociaux voire illégaux. Vous imagineriez difficilement engager un détective pour enquêter sur le passé de votre meilleur ami n’est-ce-pas ? Dans une société mono-normative cependant ces comportements sont souvent tolérés dans le cadre d’une relation amoureuse.
2/ Jouer sur l’imprécision de la frontière entre jalousie raisonnable et déraisonnable.
Ce mécanisme est un mécanisme de résistance au sens Foucaldien. La relation de pouvoir est donc ici inversée : en accusant le jaloux de faire preuve d’une jalousie excessive (ou ‘déraisonnable’) on sape ses arguments afin qu’il relâche son contrôle et qu’on puisse jouir de plus de liberté.
3/ Rendre l’autre jaloux à dessein
Afin de tester la solidité de leur relation, d’aucuns n’hésiteront pas à provoquer la jalousie de leur partenaire par leur comportement. Une fois encore, il s’agit d’un renversement des mécanismes de pouvoir et donc d’une forme de résistance.
Le coût des relations de pouvoir en termes de bien-être affectif
Ce type de relation peut être interprété en termes d’Analyse Transactionnelle comme un rapport Parent Normatif à Enfant Adapté. Les conditions y sont réunies pour que les deux partenaires se livrent à des jeux psychologiques (E. Berne, 1964). Ces jeux psychologiques sont des jeux de pouvoir qui lèsent toujours l’un ou l’autre des participants. Ils sont considérés par Eric Berne comme toxiques car ils nuisent à notre bien-être. L’auteur préfère à ces jeux psychologiques les contacts francs, sincères, authentiques et spontanés qu’il appelle « Intimité ». L’intimité, aussi épanouissante qu’elle soit, est souvent perçue comme difficile à atteindre et ressentie comme dangereuse car on s’y livre sans calcul ni protection.
Pour y parvenir, il est nécessaire de se libérer de l’emprise qu’exerce nos habitudes culturelles pour maîtriser voire éradiquer la jalousie de nos relations. Nous verrons dans une suite à cet article quelques moyens concrets d’y parvenir. En attendant, bonne lecture et je répondrai volontiers à vos questions ici ou par MP.