Questionnements sur l'amour, l'existence et la parentalité

Note : 17

le 05.04.2021 par Saori

16 réponses / Dernière par Dragon le 12.04.2021, 11h23

Etat d'esprit / psychologie / dev perso / vie intérieure.
Un forum pour celles et ceux qui s'intéressent au dev perso, à l'équilibre intérieur, à la psychologie. Surmonter ses blocages, ses croyances limitantes, nourrir et développer ses forces, etc.
Bonjour,

Me livrer, ici ou ailleurs, n’est pas un exercice facile. Habituellement, écrire est une manière de rendre mon intériorité plus intelligible pour moi-même. Mais je crois qu’il est temps de sortir de cette forme d’autisme qui m’a toujours plus ou moins caractérisée, et qui pourrait peut-être résumer à elle seule ma problématique ici.
Je vais essayer de synthétiser du mieux que je peux, mais ça risque quand même d’être long. D’avance merci aux personnes qui prendront le temps de lire jusqu’au bout.

Mon meilleur ami va bientôt devenir père, "par accident" comme on dit. Un plan cul à l'étranger, la fille s'emballe, il est franc avec elle, elle tombe enceinte et garde le bébé. Tout ce qu'il y a de plus incroyablement ordinaire entre homme et femme en ce bas monde.
Il a mis du temps à m'annoncer la nouvelle, je sentais bien que quelque chose le tracassait mais je n'imaginais pas que ses ennuis pouvaient être aussi graves. Cette nouvelle m'affecte beaucoup. Je n'ai personne à qui je pourrais me confier librement à ce sujet, qui semble réveiller chez moi un désarroi existentiel dont je m’accommodais plutôt bien jusque là.

Il n'est pas juste un ami, il est sans doute mon seul véritable ami et celui qui me connaît le mieux depuis plus d'une décennie. Il est aussi ma dernière longue histoire, et nous n'avons jamais perdu le contact depuis notre rupture. Je l'aime, c’est une évidence. Je l’aime aujourd’hui comme un ami et comme un frère. Lui comme moi chérissons ce lien fait d'affection et de respect, qui ne cesse de nous faire grandir ensemble même à plusieurs milliers de kilomètres loin de l'autre.

Jusque là, les sentiments amoureux qu'il continuait de nourrir à mon égard - il m'en avait parlé de lui-même en exprimant le souhait de ne pas gâcher notre amitié - n'avaient aucune incidence sur notre relation. Non pas que j'ai fait mine de ne pas entendre ce qu'il avait sur le cœur (étant donné les circonstances de notre rupture, je me doutais que ses sentiments n'avaient pas changé), mais je lui ai exposé mon point de vue sur notre relation amicale que je ne voulais pas gâcher non plus, car bien plus enrichissante et plus saine à mes yeux qu'une relation amoureuse telle qu’on l’a vécue. Il a très bien pris ma réaction et nous sommes peut-être devenus encore plus proches par la suite.

Aujourd'hui, j’éprouve un réel malaise depuis l’annonce de cette paternité non désirée. Elle ne m’a pas choquée comme il le craignait, mais plutôt prise au dépourvu, un peu comme si j’apprenais que j’étais moi-même enceinte. Je ne suis jamais tombée enceinte à ma connaissance, donc j’ignore ce qu’une femme peut ressentir à ce moment là, mais j’ai l’impression d’être personnellement impliquée dans cette histoire.

A cette sensation nauséeuse s’ajoutent ses sentiments, qu’il m’a renouvelés (sans attente de réciprocité) alors que je ne lui avais rien demandé. Il me dit également de manière à peine voilée que cet accident ne se serait pas produit si nous étions restés en couple. J’ai vraiment mal pour lui à cause de la tournure que sa vie est en train de prendre. Je me demande aussi quelle part de responsabilité j’ai pu avoir dans la survenue de ce point de basculement. Sans le savoir, il me renvoie aux causes de notre séparation et notamment à mon inaptitude persistante à me dévouer totalement, passionnément, aux personnes que j’aime.

Pour avoir éprouvé l’amour-passion une ou deux fois, je suis convaincue (comme Denis de Rougemont dans L’Amour et l’Occident), qu’elle est une construction mortifère. J’ai fini par ne la tolérer qu’à dose homéopathique dans mes relations, où la prépondérance du pragmatisme (dans le sens qu’en donne John Alan Lee dans Colours of Love: An Exploration of the Ways of Loving) constituait le prolongement naturel d’un partage de valeurs communes et d’objectifs réalistes.

Je n'ai jamais voulu avoir d'enfant, lui non plus. Cela dit quand nous étions ensemble, il s'était montré moins inflexible que moi en ajoutant très sérieusement qu'il accepterait probablement d'en avoir un jour, si l’envie me prenait. Comment oublier un discours pareil, quand on sait d’une part le sacrifice lourd de conséquences qu’une telle décision représente, et d’autre part que l’on ne consentirait jamais soi-même à un tel sacrifice pour l’autre ?

Je n’avais plus pensé à ces questions depuis un moment, mon positionnement étant de mon côté dénué d’ambiguïté. Mais voilà qu’elles refont jour à l’aube du bouleversement de la vie de mon ami. Qui est-il au fond, pour moi ? Quelle place aurai-je dans sa vie et dans la vie de son enfant ? Suis-je bien certaine de ne pas vouloir d’enfant ? Pourquoi ai-je la pensée irrationnelle que cet enfant devrait être le mien ?

Je lui ai redit mon amitié qu’il craignait ouvertement de perdre. Je lui ai donné des conseils, qu’il ne m’avait même pas demandés d’ailleurs. J’ai aussi laissé s’exprimer ma profonde tristesse vis-à-vis de lui et de l’enfant, ainsi que ma déception vis-à-vis de moi-même car j’ai le sentiment prégnant d’avoir échoué à le protéger. S’il existait chez moi un "instinct maternel" à l’état latent, on pourrait dire qu’il est l’unique être humain à l’avoir éveillé et à en avoir fait l’objet jusqu’ici.

Je me suis abstenue en revanche de lui faire part de mon malaise qu’il valait mieux d’après moi mettre de côté pour me concentrer sur le soutien que je pouvais apporter. Je pensais que ce malaise ne reflétait qu’un trouble de mon ego, car objectivement je suis mise de côté dans cette histoire, et qu’il passerait aussi vite qu’il est apparu. Mais c’est maintenant un vertige plus profond qui me gagne, et la mélancolie qui me tend les bras. Sans doute parce que cette histoire me rappelle que :
- lui comme moi n’avons pas été désirés par nos pères respectifs,
- mon père a fait un enfant à une autre femme, alors qu’il était à l’étranger et marié à ma mère.

J’ai dépassé depuis longtemps le stade de la colère vis-à-vis de mes parents, j’accepte sereinement leur histoire, leurs choix et les circonstances de ma venue au monde. Nous ne sommes que des êtres humains après tout, et mon ami est un être humain comme un autre. Nous sommes peut-être condamnés à répéter inlassablement les mêmes histoires (erreurs ?) de génération en génération. Je ne serais sûrement pas moi-même épargnée par l’absurdité de la vie malgré toute ma volonté de contrôle. C’est peut-être même l’affirmation de cette volonté de contrôle qui est absurde en elle-même.

Mes questions :
Comment puis-je soutenir moralement mon ami ?
Comment me soutenir moi-même ?
J’essaie de m’ouvrir des horizons en relisant les pensées de Nietzsche, Camus, Spinoza, mais je pense avoir davantage besoin de retours d’expérience concrète. Y a-t-il des parents ou futurs parents qui pourraient apporter ici leur témoignage ?
Il n'a pas besoin de soutien, il t'a égoïstement jeté un cas de conscience et des regrets au visage, comme un "contexte" à sa conduite et sa connerie avec cette femme.
Si c'était un plan cul, il n'aurait jamais dû lui ouvrir la porte à plus. Au lieu de ça elle a dû sentir le pigeon (Qui prouve d'ailleurs qu'il est bien de lui? Encore un cocu qui va élever le gosse d'un autre, ou un mec qu'on aura retenu malgré ses sentiments en lui faisant un gosse dans le dos...)
Il s'en veut de ses erreurs, de n'avoir pas su te passionner, te retenir, et vivre avec toi, et maintenant "c'est de ta faute" parce que ça ne serait jamais arrivé s'il avait été avec toi.
Oui, c'est une évidence.
Mais il te révèle ça comme un grand secret.
Forcément ça te perturbe, avec ton histoire personnelle, ta difficulté à être dans des relations impliquées mais pas destructrices, et quoi que tu en penses, un choix rationnel concernant les enfants qui est anti naturel* et qui te demande de maîtriser un instinct qui se fait toujours plus fort tant qu'il peut s'exprimer.
(*biologiquement parlant en terme d'espèce et non socialement. Vous êtes bien libres de faire ce que vous voulez, mais là nature est têtue, cf "le gène égoïste").
Pour avoir été aux premières loges de certaines situations proches si ce n'est sur scène, à mon avis tu dois te détacher de ce type.
Vous avez une relation qui n'a rien de saine, ce n'est pas platonique, vous vous sauteriez dessus si vous ne saviez pas que ça finirait par exploser (là il y a l'éloignement mais c'est pareil). En plus si l'un veut une relation normale, que l'autre continue de lui renouveler ses sentiments c'est juste du travail de sape.
Attendre que l'autre cède.
D'un autre côté, tu dois aussi t'interroger sur ton refus d'enfants. Tu dis avoir fait la paix avec tes parents mais tu dois être sûre de faire la part entre ton envie réelle et ton histoire personnelle. Savoir si ton rationnel à ce sujet n'est pas construit sur des éléments plus subjectifs aussi.
Histoire de ne pas avoir de regrets une fois l'heure passée parce que tu ne pourras rien y changer et ça n'a rien à voir avec ce mec ou tes parents.
Et que ça trouve un écho si fort en toi me fait dire que tu as peut-être "mélangé les choses"; malgré ce que tu crois (après tout comme tu dis tu n'as jamais vu la situation autrement que d'un point de vue interne et c'est très possible que tu aies manqué de considérer certains points).
Tout dépend de ce qu'il compte faire. A t-il l'intention de s'occuper de son enfant ? De retourner vivre à l'étranger, auprès ou avec la maman ? Veut-il s'investir ou pas en tant que père ?

Peut-etre qu'il n'a pas encore pris de décision car il attend de voir comment tu te positionnes vis-à-vis de ça et que sa décision dépendra de ta réaction.
Comme dit plus haut, il me semble que tu dois bien distinguer : la part de responsabilité qu'il essaye de rejeter sur toi ("ça ne serait pas arrivé si on était resté ensemble") et ton propre questionnement autour de la parentalité.
Et sur le deuxième point, tu n'es pas visiblement pas aussi certaine de ton choix.
D'ailleurs, ce choix est-il bien le tien et pas celui des auteurs que tu cites (et qui sont des hommes par ailleurs :mrgreen: ) ? Es-tu prête à assumer une éventuelle envie de maternité, même si elle va à l'encontre des schémas que tu as vécus jusqu'ici ?
Quelques pistes en vrac...
Courage Saori et merci, grâce à ton message, j'ai quelques nouveaux livres sur ma liste "à lire".

Pour revenir au sujet. Cette situation est difficile pour lui (sa partenaire est enceinte, va-t'il rester avec elle?), le schéma de ses parents se répète peut-être aussi...

Mais si cette situation est si difficile pour toi, elle est bienvenue car elle va t'amener à clarifier certains points:
-ta relation avec cet ex: il a toujours des sentiments pour toi et toi a priori non... Il espère sans doute te retrouver: votre relation est peut-être légèrement toxique
- comme Onmyoji l'a fait remarqué, la démarche de ton ami n'est ni saine ni honnête: te reprocher indirectement le fait que son plan cul soit tombée enceinte est vraiment malhonnête.
-par ailleurs, il dit qu'il craignait de perdre ton amitié... Pourquoi? si vous êtes juste amis, cela ne devrait rien changer.
-quelqu’un que tu as aimé va avoir un enfant, cela te permet de repeser ton désir ou non d'avoir un enfant. Apparemment tes convictions ne sont pas aussi fortes que tu le croyais


Ces phrases ont retenu mon attention:
Saori a écrit : 05.04.21 Je lui ai donné des conseils, qu’il ne m’avait même pas demandés d’ailleurs.
=> tu te sens toujours responsable de lui, mais "tu n'es pas sa mère" et c'est un adulte. Tu ne l'as pas totalement lâché
Saori a écrit : 05.04.21 Il n'est pas juste un ami, il est sans doute mon seul véritable ami et celui qui me connaît le mieux depuis plus d'une décennie. Il est aussi ma dernière longue histoire
=> il va falloir clarifier cela. Cela fait combien de temps que vous n'êtes plus ensemble? Et ne penses tu pas que ta proximité avec lui inhibe ton envie d'une nouvelle histoire longue (cf as tu vraiment tourné la page sentimentalement parlant)
=> par ailleurs, je dis ça sans jugement car mon ex est aussi une de mes meilleures amies, ne crois tu pas que tu devrais "chercher" d'autres véritables amis, sans un tel passif?
Saori a écrit : 05.04.21 Pourquoi ai-je la pensée irrationnelle que cet enfant devrait être le mien ?
=> car cela te donne envie d'avoir un enfant ou car tu "voudrais" avoir un enfant avec lui?

Je ne sais pas si cela t'a fait avancer, mais bonne réflexion et bonne chance
Bonjour Saori,

À te lire, on sent que tu en as gros sur le cœur. Il va avoir un enfant avec une autre, c’est sûrement le plus colossal « suis moi je te fuis » qui puisse exister.

Saori a écrit : 05.04.21 Jusque là, les sentiments amoureux qu'il continuait de nourrir à mon égard - il m'en avait parlé de lui-même en exprimant le souhait de ne pas gâcher notre amitié - n'avaient aucune incidence sur notre relation.

Prends-le bien mais cette affirmation sonne faux. Vous semblez plutôt vivre une sorte de relation par procuration, donc moins risquée.

Saori a écrit : 05.04.21 J’essaie de m’ouvrir des horizons en relisant les pensées de Nietzsche, Camus, Spinoza, mais je pense avoir davantage besoin de retours d’expérience concrète. Y a-t-il des parents ou futurs parents qui pourraient apporter ici leur témoignage ?

Gaffe aux lectures « trop » intellectuelles, ça risque de te couper des autres ( c’est un ex très gros lecteur qui le dit).

Pour le retour concret, je suis un homme sans enfants donc pas le mieux placé pour y répondre ni susciter ton empathie. Mais j’ai eu de très forts sentiments pour 2 femmes au cours de ma vie. Ça n’a pas marché. Les 2 se sont mariées et ont eu des enfants. Je l’ai mal vécu.

Renoncer à ces personnes, c’est renoncer à une partie de soi, de sa jeunesse, de ses rêves. C’est aussi ce qui fait de nous des adultes.
Bonjour et merci pour vos messages.

Je ne voulais vraiment pas mettre le coup de projecteur sur sa conduite. Il n’avait pas l’intention de me reprocher quoi que ce soit, il a maladroitement voulu me faire part de sa certitude quant à ses sentiments. Je n’ai pas tout de suite compris d’ailleurs ce que ses sentiments venaient faire dans l’histoire, il voulait peut-être juste insister sur la place particulière que je garderais pour lui quoi qu’il arrive, même si je décidais de rompre notre amitié. Je suppose qu’il craignait de perdre cette amitié parce qu’il a trop honte de lui et qu’il ne s’en sent pas digne en quelque sorte.

Il est expatrié et les opportunités professionnelles peuvent l’obliger à rester ou changer de pays cette année. Donc l’avenir proche est complètement flou pour lui. Tout ce qu’il sait, c’est qu’il devra faire en sorte que l’enfant soit en bonne santé et heureux. Mais il est résigné et en parle comme d’un fardeau et, même si je le comprends, ça me fait penser qu’il y a peu de chances pour que l’enfant soit heureux.

Le premier conseil que je lui ai donné est de vérifier qu’il est bien le père. C’est naturel de vouloir protéger quelqu’un qu’on aime, ce qui l’est moins pour moi c’est de vouloir protéger l’enfant, de vouloir m’en occuper et lui donner de l’amour. Je n’ai pas envie qu’il connaisse ce sentiment d’être un boulet dont l’existence n’aura eu d’utilité que de rapprocher deux adultes incapables de se respecter l’un l’autre. Mais je suis totalement impuissante, je peux juste donner des conseils pour espérer influencer un peu les choses.

Je ne sais pas si j’ai raison de vouloir prévenir une possible souffrance, parce que dans le fond ce sont mes blessures d’enfant qui se réveillent et que je tente de guérir. Or s’il y a bien une chose que j’ai comprise en grandissant, c’est qu’on ne guérit pas ce genre de blessure, on ne fait que s’habituer à la douleur. Elle continue à vivre en nous, on doit apprendre à l’accepter, à la faire sienne, et c’est souvent elle qui alimente notre moteur interne. Elle développe notre sensibilité, nous rend parfois vulnérable mais par là même plus riche d’humanité.
En tout cas, j’espère sincèrement qu’ils apprendront à se connaître et à s’aimer, pour leur bien à tous. Oui, j’ai tourné la page sentimentalement parlant, je peux même dire que j’ai arraché depuis longtemps le reste des pages blanches.

Pour ce qui est de mon désir d’enfant, j’y ai encore réfléchi sérieusement. Contrairement à pas mal de personnes avec qui j’ai pu en discuter, je ne tiens pas à transmettre mon patrimoine génétique. Ensuite, donner la vie n’est pas nécessaire à mon bonheur actuel, même si je supprimais les sources de mon bonheur et les activités dans lesquelles je peux faire preuve d’attitude maternelle. Et si jamais avoir un enfant devenait un jour nécessaire à mon bonheur, je ferais sans ou j’adopterais, voilà mon positionnement depuis que je suis en âge d’y penser. Je ne peux pas dire exactement quelle part d’histoire personnelle (je sais un peu ce que c’est que d’élever un enfant adopté et différent) et d’irrationnel contribue à cette idée. De toutes façons, je ne suis plus certaine que l’on soit capable de choix tout à fait "libres et éclairés", d’où ma référence aux philosophes cités.

Aussi, la décision de faire un enfant ne relève pas que de moi puisqu’il m’est arrivé une fois d’envisager vaguement la possibilité de faire un enfant, mais c’était avec quelqu’un en particulier qui réunissait pour moi toutes les qualités d’un bon futur père. En comparaison, il est clair pour moi que je n’ai, et n’ai jamais eu, aucun désir d’enfant avec mon meilleur ami. C’est sûrement de cette dissonance que vient mon malaise : l’envie de m’occuper de son enfant comme si c’était le mien alors que je n’en ai jamais voulu avec lui. Ça semble dérisoire mais ça m’affecte car je vois à quel point je peux moi-même être irrationnelle, alors que j’ai presque toujours été dans le contrôle dans la manière générale dont je conduis ma vie d’adulte.

Et pour continuer dans le schéma de pensée qui me perturbe aujourd’hui : si mon père à l’instar de tant d’autres personnes rationnelles n’a pas été capable de se contrôler, ni mon meilleur ami, ni moi-même ne serait-ce que par rapport au désir que je ressens aujourd’hui, y a-t-il vraiment un sens à vouloir se contrôler ?
J’ai passé ces dix dernières années à contrôler mes rapports amicaux, amoureux, professionnels, et on en vient au côté autiste qui est le mien et qui me fait péniblement admettre de nouvelles personnes dans mon monde.

Je n’ai pas de problème majeur pour socialiser mais j’aime être seule et beaucoup de gens ne comprennent pas que mon besoin de solitude n’a rien à voir avec eux. Ils ont besoin d’attention, de toujours plus d’attention. J’ai longtemps remis en question ma façon d’aimer (et amicale et amoureuse) face à l’incompréhension de mes proches, je me suis même demandée à une époque si j’étais vraiment capable d’aimer. J’ai cherché des réponses dans des livres, des tests, des films, et ma conclusion est que oui j’en suis capable mais pas de la façon dont la plupart des gens voudrait l’être.

Je me réjouis de peu tandis que l’autre en souffre. C’est peut-être juste un problème culturel ou temporel, toujours est-il que la seule solution que j’ai trouvée est de maintenir les autres à distance pour ne pas qu’ils s’attachent et finissent par souffrir à cause de ce que je suis. Je ne me plains pas de cette situation car elle m'offre une certaine "liberté". Mais aujourd'hui j'en viens à me demander si je ne devrais pas complètement changer ma façon d'être ou de voir les choses, et me laisser aller à l'irrationalité pour embrasser "la vie" aussi absurde soit-elle.
@Saori, connais-tu la théorie des styles d'attachement ?
  • Remettre du sens dans les mots : le jugement

Trouver quelqu'un arrogant et sec de coeur, c'est fondamentalement un jugement sur l'autre.
En même temps, quand on expose sa situation aux autres, et si on veut comme l'explique Saori sortir d'une écriture autiste, on s'expose et même on espère le jugement des autres.
A mon sens, tu juges donc en exprimant ta subjectivité qui est géniteur du jugement, mais c'est ce qui est attendu et tant que celui-ci se veut bienveillant (ce qui me semble être le cas de ton message), on devrait l'assumer.

  • Deux modèles de vie : La circonscription d'un soi où la fusion avec l'autre


J'ai parlé dans un autre message de deux approches ancestrales de la vie et de l'Autre : Celle de Moïse avec l'approche de la pureté, et celle de Jésus avec celle du don. Et ça me semble encore une fois primordial ici.
Face à l'Autre et ce qu'on y trouve "impur" ou dans des termes plus actuels "mauvais", on peut soit le circonscrire et s'en prémunir, à la façon de Moïse, soit l'accompagner et l'aimer pour le transcender, façon Jésus. Où pour le dire comme le Dmitri Karamazov de Dostoïevski s'en exclame dans un accès de fièvre : Nous sommes tous responsable de tous et de tout!

Quand on étudie les livres anciens, on découvre qu'ils sont eux mêmes des paraboles de ce que peut vivre chaque humain, et sont construits suivant l'idée que dans un atome réside tout l'univers.
Moïse peut donc être vu comme une métaphore de la première individuation de soi, qui s'affirme en séparant ce qu'il estime bon et ce qu'il estime mauvais et qui construit son individualité par contraste par rapport au monde. C'est l'Ancienne alliance (comprendre alliance entre soi et Dieu, donc entre soi et le monde).

Et Onmyoji sera le meilleur défenseur de cette théorie. Il y a la bonne science et la mauvaise, et tu avais explicitement fixé tes limites face aux enfants, que l'autre, ton meilleur ami, essaie de brutalement pénétrer, te sentant responsable de ce envers quoi tu t'étais prémuni. Evidemment, il a raison. Rien ne justifie ce sentiment chez ton ami. Il l'a, pourtant, mais c'estthéoriquement son problème. Le problème de cette pensée, c'est que tu te coupes de ton meilleur ami, ou l'expose à aller tenir ce genre de raisonnement à celle qu'il a fécondé, la laissant seule face à ses choix. L'enfant? Il subira les actions de sa génitrice.

C'est un développement essentiel pour ne pas sombrer dans une relativisation de tous les comportements, et pouvoir déterminer (et aiguiser son bon sens pour savoir ) lesquels sont porteurs et lesquels doivent être proscrits. C'est définir de ce qu'on veut et ce qu'on ne veut pas, ce que l'on estime bon et mauvais, et donc de qui on est.
Mais le problème, c'est qu'inévitablement, ça assèche le coeur, fait potentiellement rompre avec nos amis et notre famille Si en plus de lire Spinoza tu connais sa biographie, tu vois qu'encore dans les communautés juives du XVIIème siècle, renier celui qui s'écarte du droit chemin n'est pas un crève-coeur même quand il s'agit de ses amis où de sa famille : c'est un impératif. On circonscrit les responsabilités, on s'assure d'être du bon côté de la ligne, fait pénitence et assume les conséquences quand on a fauté et se désintéresse de l'autre quand on s'est suffisamment prémuni.
Cela marche quand on est constitué en tant que communauté, mais aujourd'hui, j'ai bien peur que cela conduise une grande partie de l'humanité qui suit ce chemin à se murer dans son appartement, à écrire son journal intime que personne ne lit, et à mourir seul, condamnant ce qui reste de notre civilisation. (Peut être à raison).

L'alternative donnée par les textes anciens, c'est d'accepter que nous sommes tous faillibles, et que plutôt que de circonscrire le mal que l'on remarque dans l'autre en s'aveuglant sur celui que l'on héberge en son sein, on peut vivre avec amour; endosser les erreurs des autres comme si elles étaient nôtres, faire le deuil d'un idéal de pureté que l'on atteindra jamais pour vivre en lien avec tous et chacun. Se sentir responsable de tous et de tout (de ceux que l'on aime).
Mais c'est accepter que notre destinée nous échappe, et, comme tu dis "se laisser aller à l'irrationalité pour embrasser la vie aussi absurde (et incontrôlable) soit-elle". C'est la nouvelle alliance, nouveau rapport de soi à Dieu (au monde).
En faisant ainsi et en ne cherchant pas à contrôler ni notre destin ni celui des autres, on privilégie à chaque instant le lien avec l'autre, quelle qu'en soit les conséquences pour nous, qui heureusement aujourd'hui n'iront pas jusqu' à la crucifixion.

  • Ton choix


Je n'avais pas répondu jusque là parce que tu sembles avoir bien compris que ce sont les deux alternatives que l'histoire de ton ami et de cet enfant imminent provoque. A toi de voir ce qui te convient.
Je ne défendrai qu'une chose, et certainement pas des projections hasardeuses dont l'interprétation t'est toute personnelle (au passage, plutôt ironique de se reporter aux livres saints quand on se donne l'image du Dragon, souvent vu comme l'Ennemi, le Diable, la personnification de l'Impiété. Cela dit, même le Diable tord les écritures, donc il y a une forme de cohérence).
Aussi, pour moi, ces personnages ne représentent personne, car bien trop détachés de la réalité pour que leurs actions comptent vraiment
(On ne prend pas vraiment sur soi la souffrance des autres quand on est une part d'un dieu et qu'on est immortel, quand on vit plusieurs vies d'hommes ou que quoi qu'on fasse la divine providence nous favorisera toujours tant qu'on fait ses rites de bon petit croyant sans un mot plus haut que l'autre. La réalité est bien loin de ça. Ce n'est que de l'espoir à bas prix et de l'explication du monde pour humains encore peu civilisés. Pas sûr qu'il faille y voir toute la sagesse du monde et une explication aux profonds maux humains que ces humains n'ont pu connaître, ne vivant pas des vies et des dilemmes semblables).

Je pense que la bulle dans laquelle tu t'es enfermée, Saori, prend l'eau, mais que la fissure vient de tout autre chose que ce que tu avais finalement mis sous cloche. J'ai vécu longtemps dans un univers organisé, avec une vision du monde très biaisée, peu d'expérience et un sens de la responsabilité suraigu. Le problème c'est qu'au bout d'un moment la logique que l'on bâtit et qui vise à se renforcer pour justifier notre solitude recontre un gain de sable imprévu qui fait éclater cet ensemble soigneusement, trop soigneusement taillé, de choses qui n'étaient pas faites pour tenir ensemble et qui ne le faisait que par un effort surhumain de contrôle et de volonté.

Le fait que tu te poses la question de cette ouverture est déjà un point de non retour. Tu as senti que quelque chose ne va pas dans ta manière d'être et de vivre. Retourner dans ta bulle, colmater tant bien que mal la brèche, ne pourra pas te faire oublier que tu l'as vue. Il n'y a pas de possibilité de retourner dans la matrice, d'effacer ce sentiment, de se réveiller comme si de rien n'était. Et même si c'était le cas, ce n'est pas ton instinct, ce que tu souhaites.
Il ne faut pas t'accabler de regrets car tu n'as pas perdu ce temps, tu en as fait autre chose. Mais maintenant tu dois aborder une nouvelle étape.

Quant à cette histoire, c'est pour moi un autre problème même s'il est révélateur.
Cet homme t'aime, mais il a un comportement malhonnête, manipulateur ou incorrect vis-à-vis de toi. Que tu aies envie de protéger l'enfant des incuries de ses parents au vue de ton histoire personnelle est tout à fait normal, même sans en vouloir un. C'est un écho du passé. Tu n'es pas guérie et tu projettes. C'est normal et personne ne peut contrôler tout et moins encore ce qui vient de ses propres fondations.
Ça ne doit pas t'empêcher de te protéger. Tu n'es pas la responsable de cette histoire de merde, entre ce mec qui ne te dit pas tout et qui peut-être avait une histoire plus sérieuse que ce qu'il veut bien le dire avec cette femme (même s'il est peut-être en train de regretter), ou qui a été suffisamment stupide pour se mettre dans une telle situation: s'il se sent vraiment prisonnier et que c'est un accident, et qu'il n'a aucune envie de cet enfant, plutôt que de le maudire par cette attitude et en lui donnant un tel départ dans la vie il faudrait mieux qu'il soit franc avec elle et qu'elle en tire les conséquences. Au lieu de ça monsieur vient jouer les jolis coeurs auprès de toi en essayant de te faire vaciller par jalousie, instinct maternel, appel au passé...
Ce n'est peut-être pas mal intentionné mais il y a une part égoïste et égocentrique dans sa démarche. Comme s'il était à la croisée des chemins et qu'il ne pouvait échapper à sa situation qu'en se donnant bonne conscience et bonne excuse en fuyant ses responsabilités par "amour pour toi".
Un lâche qui n'a pas la colonne vertébrale pour t'avouer qu'il t'aime plus que platoniquement depuis tout ce temps et que votre rupture n'a jamais été digérée.
Si tu lui demandais ce qu'il attend de toi, que répondrait-il?
Si tu lui demandais ce qu'il ferait si tu lui disais que les sentiments qu'il t'a exprimés sont réciproque, que ferait-il?
Ce ne sont pas des questions que tu dois te poser. Il ne sert à rien de te mettre martel en tête. Pose les lui, juge le par ses actes, et ne sois pas douce en souvenir du passé.
Répondre