Ma modeste expérience (et qui pèse pas lourd par rapport aux deux premiers messages je pense, notamment celui de The Pop qui a une réelle expérience aboutie du sujet donc prends chaque mot qu'il te donne et digère-le);
- plusieurs projets de startup avortés / fausse couche; principalement parce que j'étais trop orienté produit et technique, et pas assez commercialisation / go-to market. Mes idées étaient réellement bonnes, mais pas le timing, pas le plan, et pas moi. Lancer un produit from scratch, qui plus est si tu dois bâtir / éduquer ton marché parce que trop early, et que tu démarres sans financements ni réseau, c'est pas impossible mais c'est comme essayer de traverser l'Atlantique à la rame avec un bateau que tu as fabriqué dans ton garage. C'est chaud, et l'univers ne t'a pas particulièrement à la bonne (et t'as pas un réseau HEC / ENSAM / Poly / FM) donc tu vas sans doute pas y'arriver sauf alignement rare et providentiel des planètes.
- quelques très (très) beaux coups néanmoins, et quelques projets bien menés néanmoins à cette époque, suffisament pour me dire que j'avais ce qu'il fallait pour au moins essayer d'accéder à l'étape d'après;
- ma tentative de vivre de FTS : échec là aussi, parce que grosse dissonance cognitive de mon côté entre ce qui se vendait que j'assumais pas (à raison), et mes valeurs; les attentes morales du marché, la réalité commerciale, et l'impossibilité de designer/concrétiser une vision synthèse efficace de ces contradictions. Grosse dépression car constat d'échec personnel (et aussi parce que la dissonance cognitive t'empoisonne l'esprit, c'est radioactif dans ta tête) + remise à zéro du compteur de l'égo, alors que sortant moi aussi d'école de commerce (et des vraies; la première, major de promo et toute la reconnaissance professorale et de mes potes qui allait avec; la seconde, pas major mais entré après avoir terminé 13e sur 8000 candidats au concours d'entrée, et déjà plusieurs dizaines de milliers d'euros de CA réalisés via mes projets persos, donc autant te dire que j'avais confiance dans mes capacités, et un égo surgonflé); la réalité post-école s'est chargée d'aplanir tout ça et de me remettre 2m sous le niveau de la mer.
- suite à quoi j'ai racheté la petite boite d'IT d'un pote (qui vendait car il avait l'opportunité de reprendre une énorme boite, d'un pote de son beau-père qui partait à la retraite). Je l'ai rachetée pour 20k, sur un coup de tête car sans perspectives à cette époque post-FTS. Le projet était de 1. assainir la boite (négligée / mal gérée par mon pote et son associé depuis des mois déjà) et 2. développer commercialement, via l'axe sauvegarde data / résilience technique. Rien ne s'est passé comme prévu sur le papier. Déjà parce que la boite n'était pas négligée, c'était un quasi-cadavre. Compta dégueulasse / mal faite (je ne m'explique pas que le cabinet comptable ait laissé passer ça; j'aurais du les virer), clients mal accompagnés / mal fidélisés, le produit que je voulais développer était en réalité à chier et pas adapté pour des pros; l'associé de mon pote, qui devait rester et assurer le côté technique / clientèle, pendant que je développais, s'est barré au bout de 2 mois (je savais qu'il l'envisageait, j'ai juste refusé d'accepter qu'il allait se barrer, déni de réalité). Il s'est barré (en me cédant ses parts à 1€ heureusement pour moi, et sans réclamer ses impayés, heureusement pour moi). Je me suis alors retrouvé seul aux commandes d'une boite d'IT, et donc non plus en mode biz dev, mais en mode artisan qui doit aller dès 7h30 à l'autre bout de la métropole pour aller rebooter des routeurs, brancher des imprimantes et expliquer à la cliente que si si, son ordi fonctionne, il faut juste allumer l'écran. Environ 40% des clients ne sont pas restés avec moi (normal, ils ne me connaissaient pas, et aucun lien fort n'était entretenu par mon pote), donc le chiffre d'affaire attendu s'est trouvé amputé. C'est à cette période que j'ai commencé à faire de l'eczéma, sur les paupières : le simple fait de cligner des yeux me mettait les paupières en sang, good times.
C'est là aussi que je me suis découvert, à ma grande surprise, une réelle facilité à inspirer confiance et respect, alors même que je débarquais souvent de nulle part, auprès de clients méfiants voire mécontents (passation dégueulasse, pas de présentations, situation technique merdique avec plein de trucs à régler et de chantiers mal gérés). J'ai su, via ma capacité d'écoute et mon discours rassurant (jamais de fausses promesses, "je sais pas / je vais checher une solution" quand je savais pas), et une dispo maximale, gagner le respect et la confiance de quelques uns. J'ai aussi fait le choix de dire au revoir à mon plus gros client, car lui-même grossissait et ses besoins commençaient à excéder mes compétences : il y avait un réel risque technique que je ne pouvais assumer, j'ai préférer le relâcher dans la nature que de risquer de le foutre dans la merde et moi aussi du coup.
Environ 1 an à sillonner les routes départementales et à poireauter dans les bouchons à l'heure de pointe pour livrer des ordis / déplanter des imprimantes, pour environ 20k de CA; sans réelles perspectives de biz dev car j'étais écrasé par le quotidien et à 1 cheveu de l'effondrement physique et mental, rongé (littéralement) par le stress.
C'était aussi une époque où d'énormes nuages pesaient sur ma famille proche et où l'on vivait dans un sentiment d'insécurité profond, le genre qui te fait dormir avec une batte de baseball à proximité, et sortir de chez toi avec une gazeuse dans la poche. Je rentrerai pas dans les détails, mais en plus du stress, on était dans la peur et aux abois. Good times (ça va infiniment mieux depuis, le problème est neutralisé pour le moment).
C'est alors que j'ai
- commencé à discuter avec un mec en vue de lui vendre ma clientèle & liquider la boite. Accord de principe, mais il avait besoin de temps / était indécis.
- vu passer une annonce d'une connaissance, un entrepreneur qui avait monté sa boite, florissante, et qui cherchait un dev / webmaster; j'ai sauté sur l'annonce et obtenu le poste en 24h, en lui expliquant que j'étais en train de vendre ma boite et que donc il y aurait une phase d'intersection entre ma boite et mon job mais que ça devrait pas durer (spoiler : ça a duré).
- obtenu le PVT Canada (la dernière année où c'était possible pour moi). Mon employeur a accepté l'idée que je parte 2 ans en bossant en remote, et que je revienne après en présenciel.
Le racheteur m'a fait perdre des mois (car moi pas assez pushy / trop conciliant, et lui, pas sérieux et empêtré dans des ennuis judiciaires dont il ne m'avait pas parlé, des trucs glauques). Ce retard m'a fait perdre des mois sur mon départ au Canada, mais j'ai trouvé qqun d'autre et j'ai réussi à lui transférer ma clientèle dans des conditions certes rushées mais acceptables humainement (pour eux) néanmoins.
Puis je suis parti au Canada, et dès lors, tout mon stress s'est envolé.
Ce que je retire de cela :
- le démarrage peut être très difficile et plus long que prévu quand tu es short en cash et en cashfow
- ta vie pro si tu es freelance / à ton compte sera indissociable de ta vie perso; en fait ta vie pro occupera toute la place et ça peut te ronger surtout si t'es de nature anxieuse et workaholic
- une énorme partie de mes difficultés venaient du fait que je n'ai pas bien fait ma due dilligence : je n'aurais PAS du acheter la boite de mon pote, pas dans ces conditions (déjà parce que saufs raisons bien particulières, on n'achète pas une boite, juste la clientèle, autant que possible) : compta merdique et squelttes dans le placard, clients mécontents / méfiants, etc. En outre, j'étais mal accompagné : comptables incompétents, désintéressés (alors même que c'est un énorme groupe en pleine croissance). Alors qu'un bon comptable change tout : conseils, solutions, et soutien psychologique à travers les solutions & garde-fous qu'il t'apporte (normalement).
Ne fais RIEN si tu n'as pas un bon comptable.
- une réelle naiveté / candeur de ma part, que je mets sur le compte de l'inexpérience, de la (relative) jeunesse et de mon tempérament fantasque et rêveur; avec du coup le travers facheux de refuser de prendre en compte des facteurs négatifs pourtant bien réels. Les rochers sur les voies ne s'envolent pas et font dérailler les trains.
- ce qui m'a aidé à ne pas m'effondrer a été le temps passé à discuter avec mon network entrepreneurial (potes et réseau de pairs); leur soutien psy, pouvoir relacher la pression en terrasse, et aussi, sentir le respect grandissant de certains clients bienveillants (respect que j'avais bien sûr, su gagner : c'est jamais donné d'office).
Mes conseils donc :
- mets ton égo au placard; en dessous de 5 années d'expérience pro on ne sait rien du réel; tes modèles junior sont plus bancales et fragiles que tu ne le crois, l'arrogance du jeune diplomé brillant (que tu es et que j'étais aussi) ne résiste pas au réel et à un interlocuteur chef d'entreprise avec 30 ans d'expérience et dont la tréso et la masse salariale sont les préoccupations immédiates; si tu veux gagner son respect et ses oreilles, il va te falloir faire le taf et avec intelligence et sagesse. Rien ne t'es dû d'office.
- entoure toi : amis, pairs, comptable, avocat, et si tu peux, MENTOR(s). Il te faudra de la bienveillance et des gens avec + d'expérience pour éclairer la pénombre pour toi, car crois-moi, tu vas naviguer dans le noir pendant un moment. Entoure toi de gens intelligents, voire plus intelligents que toi, plus expérimentés que toi, et cultive ta relation avec eux parce que c'est eux qui vont te tendre des perches (lesquelles perches sont susceptibles de t'éviter la noyade dans les moments critiques).
- résilience physique, mentale, financière, car tu vas être dans le dur, tu vas manger de la merde, et subir des coups durs imprévus, et ça peut durer plus que tu ne le crois; et l'univers a beaucoup d'imagination quand il décide de te tester.
- sois toujours à l'écoute de tes clients (dirigeants, secrétaires, commerciaux,
tout le monde); consacre leur du temps, de l'écoute et ait à coeur de les aider sincèrement. Tu n'as pas besoin d'être parfaite : ils valoriseront surtout le fait que tu sois engagée.
- travaille ton image; donne l'image d'une personne à la pointe sur quelques sujets précis qui, idéalement, déroutent et angoissent tes clients potentiels. Deviens une figure connue ou, encore mieux, reconnue sur ces sujets, fais des confs, des vidéos, des talks, des ateliers sur ces sujets, les clients viendront à toi. Si tu as ça en toi (moi non), sois cynique et empare toi du bullshit buzzword de l'année (IA évidemment).
Dernier truc très très très important : te dire que t'es chef d'entreprise ou que t'as plus de chef, parce que t'es passé freelance est une énorme connerie servant juste à flatter ton égo et t'empêchant de voir la réalité en face : tu t'es juste précarisée, et tes chefs sont désormais tes clients, sans la protection du code du travail. Tu n'es chef que de toi, et c'était déjà le cas en salarié ou stagiaire.
Harsh but true.
Tu dois impérativement chercher à gagner de l'argent rapidement. Les aides/le chomdu/ les apprentissages c'est souvent un bon moyen de perdre du temps. Si ton business n'est pas valable, tu dois le savoir rapidement. Donc si tu n'arrives pas à vendre, c'est un problème majeur. Tout ce qui peut te masquer cette réalité là est dangereux. Tu dois trouver des clients qui te payent.
Yep.
Bon courage : la route est difficile mais faisable; c'est pas parce que j'ai pas réussi et que j'en ai chié (ma faute en très grande partie) que ça sera forcément pareil pour toi.
Pour ma part, j'ai fait le deuil de mes illusions entrepreneuriales : j'ai juste pas ce qu'il faut pour m'épanouir là-dedans. J'ai trouvé ma sérénité et mon accomplissement professionnel dans ce que je fais à travers mon emploi (le fait que je bosse avec des gens bien et sains aide bcp) et bien que certains "entrepreneurs" (réels ou autoproclamés) méprisent ce retour en arrière qu'ils voient comme un renoncement lâche, je ne regrette pas et j'emmerde leur dédain. Certains potes m'ont tourné le dos mais c'était pas des potes. A présent je suis heureux, stable et serein, et fier de ce que je fais de mon travail. Et je sors de la mêlée certes pas victorieux au sens social du terme, et certes couvert de cicatrices et probablement un ou deux nouveaux traumas, mais avec mon certificat de résilience et de bravoure battle-tested.
Et je ne saigne plus des yeux.