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Service commandé : Petra
Posté : 28.01.06
par Hannibal
Il était une fois...
Dans une profession, le congrès national annuel est toujours un événement. Le nôtre avait lieu deux semaines plus tard. Evénement scientifique et technique mais surtout événement relationnel, on savait qu’on y retrouverait des amis perdus de vue depuis longtemps, des copains de promos que l’on avait promis de rappeler l’an dernier (promesse non tenue). On y rencontrerait également ce que toute profession comprend comme personnalités narcissiques, ego hypertrophiés, margoulins ; mais aussi des gentils, des sérieux, des travailleurs, des purs et durs qui sont venus pour apprendre et comprendre. Le congrès, ce serait aussi le moment de la fête, de l’insouciance et de l’oubli du quotidien. On y mangerait, boirait, discuterait, sortirait, bosserait, et on recommencerait. Pendant trois jours.
Taz était mon associée et avait toutes les qualités et encore plus : tous les gens que je connaissais dans son entourage étaient aussi gentils et serviables qu’elle. Lolo faisait partie de ces gens là. Il faisait le même métier que nous et venait pour la première fois au congrès sans sa femme.
Nous étions dans le bureau de Taz, occupés à des tâches secondaires mais indispensables.
Taz leva la tête « Dis-moi H. j’aimerais avoir ton avis.
- Mmm ? répondis-je, sortant de ma torpeur.
- Lolo vient pour le congrès et il loge chez moi.
- oui ? et alors ?
- Mais on a un problème.
- Je t’écoute.
- La meilleure amie de sa femme vient au congrès aussi, et Lolo la soupçonne de vouloir le surveiller. Comme je la connais, elle ne va pas nous lâcher des trois jours. Je n’ai pas envie de la traîner partout. Et Lolo non plus. J’ai fait quatre ans d’école avec elle. Elle est gentille mais insupportable. Elle parle tout le temps…En plus de ça, Lolo a vraiment d’autres projets pour ces trois jours.
- Qu’est-ce que je peux faire ?
- T’as pas une idée pour nous la décramponner ?
- Elle est comment ?
- Je te l’ai dit, bavarde au dernier degré, elle te met la tête comme un pot en moins de 10 minutes…
- Non, je disais, elle est comment « physiquement » ?
- Ouaaah, n’y pense même pas, elle est mariée, elle a trois gosses, elle est avec le même gars depuis 20 ans. ! Elle ne vit que pour eux et pour son boulot.
- Ca ne me dit pas grand-chose, mais c’est pour savoir ce que l’on peut en faire. On peut déjà la faire inviter par un sponsor à une soirée et lui trouver une place à la soirée de gala.
- Oui, c’est déjà ça et il ne reste plus qu’à gérer le jeudi. Je dois aller la chercher à l’aéroport dans l’après midi et j’ai bien peur qu’on doive la faire suivre pour toute la soirée.
- Tu avais prévu quoi pour jeudi soir ?
- Resto chez les Djeunz (NDLR : notre « cantine »), puis Bar, boîte et retour au petit matin. Mais sans elle.
- Je vois. Donc tu n’as prévu ni de la faire dormir chez toi, ni de la ramener, ni de la faire suivre, c’est ça ?
- oui.
- Et c’est là que j’interviens ?
- ce serait sympa.
- Si j’ai bien compris, il faut que je la neutralise pendant que vous irez vous cramer les neurones…
- tu peux faire ça ? si tu ne le fais pas pour moi, fais-le pour Lolo.
- Elle s’appelle comment ?
- Petra… !
- Mmm, Petra… Ca commence bien. Tu me laisses réfléchir un moment. Je te réponds tout à l’heure.
- D’ac. Mais ce serait bien si tu pouvais nous aider."
Je me retrouvais assis à mon bureau, pensif. Mon regard se perdait à l’infini. Je voulais bien les aider mais la « neutralisation » de Petra ne me paraissait pas garantie. A moins de jouer peut-être dans un registre différent…
Je revenais dans le bureau de Taz
- « j’accepte, lui dis-je, à une condition.
- Laquelle ?
- Tu me laisses mener les choses comme je l’entends, et si tu constates des attitudes ou des faits qui te surprennent, tu me laisses faire.
- Tu as une idée derrière la tête… !
- En effet. Mais tu auras la surprise. Faudra attendre jeudi ».
Je retournais dans mon bureau et papier et crayon en main, résumais la situation.
« Je viens d’accepter une mission dont je ne connais que les grandes lignes. Je vais passer la soirée avec une parfaite inconnue. Je ne sais pas à quoi elle ressemble. Pour le temps de la soirée, je dois gagner son attention et sa confiance pour la séparer des seules personnes qu’elle connaît dans une ville où elle n’a jamais mis les pieds. »
A suivre...
Posté : 29.01.06
par Hannibal
...dans une nuit noire et glacée...
Les jours suivants, je laissais le sujet en suspens. Ce qui était à mes yeux une manière de laisser mûrir les solutions. J’étais arrivé rapidement à la conclusion que, si je voulais amener cette femme où je le souhaitais, il fallait accaparer son attention sans répit au cours de la soirée. Ne lui laisser aucun répit et même mieux que ça : faire en sorte qu’elle revienne vers moi si elle venait à se perdre.
J’avais demandé à Taz une biographie sommaire de Petra et elle m’avait transmis les éléments qui pouvaient m’intéresser, son origine géographique, ses hobbies et quelques unes de ses habitudes.
Nous avions réussi sans difficulté à la faire inviter pour les soirées du vendredi et du samedi, et mon plan du jeudi commençait à prendre forme, au moins dans ma tête. Il me restait maintenant deux jours pour me mettre dans les conditions psychologiques nécessaires. Ce qui n’était pas gagné d’avance. Je sortais d’une série de ruptures ou de ruptures en série, tantôt désirées, tantôt subies et l’expression « avoir un cadavre dans le placard » pouvait se traduire chez moi par « j’habite aux catacombes ». Malgré tout, j’avais accepté d’aider Taz, je m’étais engagé et maintenant il fallait agir.
Le restaurant était plein au moment où j’arrivais. Je serrais quelques mains à droite et à gauche avant de m’approcher du bar.
Le serveur m’interpella
- salut H., ils ne sont pas encore arrivés, Taz m’a chargé de te servir un demi.
- Merci. Tu sais où ils sont ?
- Oui, elle m’a dit qu’elle avait récupéré une copine à l’aéroport et qu’elle devait l’amener à son hôtel avant de venir.
- OK, j’attends-là.
Il m’amena ma bière. Accompagnée d’une discussion passionnée sur les choix stratégiques du manager de l’équipe locale de Rugby. Choix que, à l’évidence, il ne partageait pas.
La porte s’ouvrait à intervalles réguliers, et la chaleur du restaurant était à chaque fois balayée par le froid de décembre. Les groupes entraient et sortaient. Quelques amis venaient de me rejoindre, un couple d’amis de Taz, jeunes mariés sur leur petit nuage, ainsi qu’AlGo (NDLR : devenu depuis membre de FTS) et un de ses potes.
Une demi-heure et deux tournées plus tard, Taz entra. Elle était accompagnée de Lolo qui arborait le sourire de celui qui va s’amuser pendant trois jours, mais un sourire teinté d’une légère inquiétude ; celle que la présence de Petra (et peut-être de sa propre conscience) laissait encore planer.
Petra était avec eux. C’était une femme mince d’environ trente-cinq ans, de taille moyenne. Ses cheveux bruns et frisés encadraient un visage souriant, parsemé de taches de rousseur et un regard vif. En dehors du cadre de cette mission, je ne lui aurais probablement pas porté beaucoup d’attention, mais son sourire et l’idée d’avoir à m’en occuper sans la moindre arrière-pensée commençaient à me plaire.
Dans le vacarme du restaurant Taz nous présenta. Des petits groupes s’étaient formés et discutaient un peu partout devant le bar. Depuis quelques minutes, Petra se retrouvait seule avec sa coupe de champagne, le regard perdu dans les vapeurs de la cuisine.
Je m’approchais d’elle.
- « tu as l’air bien pensive, tu as peur qu’on ne te donne pas à manger ?
- Non, répondit-elle en souriant, je suis un peu fatiguée.
- Déjà, après une coupe ? Tu ne m’as pas l’air bien solide, pourtant tu viens de la montagne je crois ?
- Oui, ça va aller, juste le changement d’air.
- C’est ton premier congrès ?
- Ici oui, j’ai prévu des tas de choses pour ces trois jours.
Et elle commença à énumérer toutes les interventions et conférences auxquelles elle comptait assister, et l’exposition commerciale, et les travaux dirigés, et les contacts qu’elle voulait prendre…
Je sautais sur l’occasion.
- Et bien, tu en as prévu des choses à faire. A mon avis, tu vas avoir besoin d’un guide pour le palais des congrès. C’est gigantesque, et ce que tu me racontes, ça part dans tous les sens…
- Oui, mais les congrès, il faut en profiter pour faire le maximum de choses
- Je suis bien d’accord. Tu vas à l’expo commerciale, tu as prévu d’acheter du matériel ?
- Oui, mon mari voudrait s’équiper en imagerie, et il m’envoie prendre les contacts
- Pendant qu’il reste au chaud à la maison ? C’est sympa. Dis-moi, j’ai rendez-vous samedi avec le fournisseur de matériel d’imagerie avec lequel on travaille. Je peux te faire rencontrer leur commercial. T’as un portable ? Laisse-moi ton numéro et on se retrouvera chez eux.
- Bonne idée.
Elle fouilla dans un sac à main assez grand pour y camoufler le corps d’un homme mort et en extrait un Nokia apparemment récent. Après quelques manipulations du clavier, elle me dit :
- c’est le 06 XX XX XX XX et toi tu me donnes le tien, au cas où je me perdrais ?
- Oui, c’est le 06 XX XX XX X Mais pour ne pas que tu te perdes, je te ferai accompagner par mes hommes de main… A moins que je te pose une balise Argos dans le dos…Je vais réfléchir. Tiens, prends ça en attendant.
Je lui tendis une autre coupe. Nous étions de trois-quarts l’un par rapport à l’autre. Maintenant elle me faisait face. Son sourire était vraiment plaisant. Entre la chaleur du restaurant et les deux coupes de champagne, elle était maintenant détendue et elle parlait, elle parlait, elle parlait…
Depuis un moment, Taz et Lolo observaient mon manège. Je croisais leur regard à plusieurs reprises et j’y lisais à la fois la surprise, l’admiration et l’espoir d’une issue favorable à leur soirée.
Taz s’approcha de moi.
- « Tout va bien ?
- Oui, très bien, répondis-je dans un sourire, je suppose qu’on va passer à table. Ce serait bien que Petra soit en face de moi. Tu peux arranger ça ?
- Pas de problème. On y va. »
Petra et moi nous retrouvions face à face, au bout de la table. A côté de nous, se faisant face également, le jeune couple s’était installé. Il n’avait d’yeux que l’un pour l’autre et selon mes calculs, ils n’interfèreraient pas beaucoup avec notre conversation. Taz, Lolo, AlGo et son pote occupaient l’autre partie de la table. Assez prés pour nous voir, mais assez loin pour ne pas nous entendre dans le vacarme du restaurant.
Après avoir commandé, je passais à la phase active de mon plan. Je m’emparais de la bouteille de vin et me servais.
Je fixais mon regard dans le sien.
- Je te servirais bien du vin, mais celui-là n’est pas pour les petites filles…
- Comment ? me répondit-elle, outrée. Tu plaisantes.
- Pas du tout, tu as déjà bu au moins deux coupes, plus ce que je te soupçonne d’avoir pris avant de venir, je ne tiens pas à te voir ramper pour rentrer, ou te donner en spectacle. Ici tout le monde me connaît.
J’associais cela à mon plus grand sourire. Et je la servais.
- Tu me promets de bien te tenir ?
- Oui H.
- De ne pas parler à des gens que tu ne connais pas ?
- Oui H.
- De pas faire la folle et ricaner bêtement ?
- Oui H.
- Bien. J’aime les femmes soumises. Tu marques des points.
Je ne quittais pas son regard, dans lequel je lisais stupeur et amusement. Quelque chose me disait que j’avais trouvé le ton juste, et une sensation subite de plaisir se répandit en moi comme si j’avais franchi une frontière à l’intérieur de moi-même. J’insistais dans cette voie.
- Tu comprends, on se connaît à peine, je suis sûr que tu es une fille bien, mais je ne voudrais pas que tu donnes de toi une mauvaise image.
- Euh, je ne sais pas quoi répondre…
- C’est bien la première fois ce soir que tu ne sais pas quoi dire. Je vais t’expliquer quelque chose. Il y a des tas de choses que l’on peut savoir de toi, rien qu’en observant ta manière de sourire.
- Ah bon ?!
Je la sentais à la fois surprise et intriguée.
- tu veux savoir ?
- Oui, dis toujours. Je me demande bien ce que tu vas me sortir comme bêtise.
- Ah, ce sera pour tout à l’heure, nos assiettes arrivent…
La suite de la discussion porta sur le contenu des assiettes, sur les talents respectifs de chacun d’entre nous en cuisine, sur nos goûts en matière de desserts, de vins… Le dessert arriva. Elle me regardait droit dans les yeux.
- Bon, tu me dis maintenant pour le sourire ?
- Je ne sais pas encore, moi, tu sais les petites filles, j’ai un peu de mal.
- Méééheuuu, arrête avec ça ! Alors c’est quoi cette histoire de sourire.
- Alors je vais commencer par le début. J’ai remarqué que tu avais trois manières de sourire. La première, c’est quand tu es entrée dans le restaurant, c’est un sourire que j’appellerai civil ou mondain. La deuxième, c’est celui que tu fais au serveur quand il amène ton assiette. C’est quelque chose d’un peu hautain ou condescendant.
Je marquais un temps d’arrêt. Le temps de remplir nos deux verres. Décidément, ce vin sud-africain était une pure merveille. Costaud mais merveilleux.
Elle reprit la parole. Je n’attendais que ça.
- Et la troisième ?
- La troisième, c’est le sourire que tu as à cet instant. Là. Face à moi. C’est un sourire plus ambigu, dans lequel il y a un mélange d’amusement et de désir. Comme si tu ressentais quelque chose de très agréable mais que tu ne pourrais identifier avec certitude. C’est bien ça ?
Elle rougit un peu.
- j’en sais rien, mais si tu le dis…oui, je me sens bien et j'ai envie de sourire
- C’est que c’est vrai. C’est ainsi. J’ai des pouvoirs surnaturels. Il faut s’y faire…
Elle sourit encore. Et s’exclama :
- Ahh, me regarde pas comme ça, j’ose plus sourire
- T’as tort. Je ne regardais pas ton sourire, mais ton tee-shirt.
- Mon tee-shirt ?
- Oui. Y’a un truc qui bouge dessous quand tu ris…
Elle mit une fraction de seconde à comprendre et éclata de rire
- N’importe quoi !! C’est pas vrai ce mec.
- Tiens regarde, ça recommence…
N’y tenant plus et rouge de confusion, elle se leva et se dirigea rapidement vers les toilettes. Elle revint quelques minutes plus tard. Les yeux brillants. Son fou rire n’était pas encore passé et son discours était ponctué de hoquets et de rires.
Il était temps de partir. On se leva et je la pris par le bras.
- Tu dors chez Taz ? (Je savais bien que non)
- Non, je suis à l’hôtel.
- Lequel ? (je savais lequel)
- Prés de la Gare
- Prés de la gare ? T’as pas trouvé pire ? A cette heure-ci c’est un vrai coupe-gorge. Quelqu’un te ramène ?
- Ben, on n’en n’a pas parlé, répondit-elle, visiblement gênée.
- Tu veux que je te ramène ? C’est pas tout à fait sur ma route mais je peux faire un crochet.
- Oui, je veux bien. Qu’est-ce qu’ils font Taz et Lolo, ils sortent après ?
- Je n’en sais rien. Allez, on y va.
Nous sortîmes du restaurant. Le froid nous saisit. La pluie avait cessé, mais les reflets des phares de voiture dansaient comme des spectres autour de nous.
Elle s’accrocha à mon bras.
- Tu es garé loin ? j’ai un peu froid.
- Non, pas très loin. Cherche une Porsche rouge.
- Waouh, ça marche bien les affaires…
- C’est pas la mienne, je suis garé juste derrière.
- T’es pas croyable comme mec…
On arriva à proximité de la voiture. Une R21 rendue à l’état d’épave était garée en double file à côté de la mienne, m’empêchant toute manœuvre.
Je m’arrêtais à quelques mètres pour évaluer la situation.
- Nous allons avoir un problème, lui dis-je au creux de l’oreille…
- Oh non ! j’avais tellement envie de rentrer…
Ma voiture était garée devant un bar. J’imaginais que le propriétaire de l’épave était probablement à l’intérieur. Nous entrâmes dans le bar et marquâmes un temps d’arrêt devant le spectacle qui nous attendait.
(A suivre...)
Posté : 30.01.06
par Hannibal
Le bar était composé d’une demi-douzaine de tables alignées, une extrémité appuyée contre un mur. La faible lumière laissait entrevoir trois groupes d’hommes dont la principale activité était de jouer aux cartes.
Les hommes était tous bruns, portaient une moustache noire et jouaient en silence. A notre entrée ils cessèrent tous de jouer et levèrent la tête dans le même instant.
Je m’avançais. Un homme vint à ma rencontre. Il faisait une tête de plus que moi et me regardait d’un air hostile.
Je respirais un grand coup et pris la parole.
- bonsoir messieurs. Je voudrais savoir si la R21 blanche qui est garée devant le bar appartient à l’un d’entre vous. S’il pouvait la déplacer, ça me permettrait de lui laisser la place.
Un des hommes assis prés de moi répondit, sans me regarder.
- c’est la voiture du patron. Il est occupé.
L’homme en face de moi s’approcha.
- on va le prévenir, me dit-il. Asseyez vous. Vous allez bien boire quelque chose en attendant ?
- Bien, on va l’attendre, dis-je, pensant qu'il valait mieux ne pas le fâcher.
- Qu’est-ce que je vous sers ? on a un cocktail de fin de soirée, ça vous tente ?
- C’est quoi ?
- Vodka caramel.
- Pourquoi pas ? Ca te dit ? demandais-je à Petra.
- Oui, répondit-elle, d’une petite voix.
- Je vous prépare ça dit l’homme en retournant vers son bar.
Les minutes passèrent, dans un silence de mort, ponctué de temps à autre par le grognement d’un des joueurs. Je prenais le temps d’observer le bar. Une sorte de salle crasseuse, dont le sol était jonché de mégots et de crachats. Le plafond était bas et contribuait à la sensation d’étouffement provoquée par la fumée des cigares. J’avais connu plus romantique comme endroit, mais il fallait bien attendre que ce gars déplace sa voiture. Je l’imaginais dans l’arrière salle, occupé à dieu sait quelle activité illicite…
Je décidais de rompre le silence. Je tapotai la main de Petra avec mon index.
- Tu t’y connais en médecines douces ?
- Pas trop, pourquoi ? répondit-elle, surprise.
- Tu sais qu’il existe des points de pression que l’on peut stimuler, et qui représentent la projection du corps. On en trouve au niveau des pieds et des mains. Un peu comme pour l’acupuncture.
- Oui, j’en ai entendu parler, et après ?
- C’est délicat que tu me donnes un pied dans cet endroit, mais donne moi ta main droite, je vais te montrer.
Elle me tendit sa main droite, que je pris entre mes deux mains. Sa main était chaude.
- Tu vois, là, à cet endroit, c’est la stimulation du dos. Si tu as des douleurs dorsales, c’est sur ce point qu’il faut appuyer, mais pas trop fort. Pas plus fort que si tu voulais écraser un grain de raisin. Tu sens quelque chose ?
- C’est agréable. Et les autres points.
Je passais sa main entre mes doigts, et pressais tantôt le dos, tantôt la paume.
- La c’est la stimulation du ventre, ça facilite la digestion. Avec ce que tu as mangé ce soir et ce cocktail, je vais pouvoir m’y attarder ou y revenir. Ici ce sont les zones cérébrales. Mmm, elles ne sont pas très développées…
- Arrête !! Et après y’a quoi… ?
- Après ce sont des zones plus … intimes.
- Par exemple ?
- Là, à cet endroit précis, c’est ce qui fait bouger ton tee-shirt quand tu ris…
Elle n’eut pas le temps de répondre. Un type en bras de chemise s’approcha de la table.
- Elle est à moi, la R21, je l’enlève de suite, me dit-il avec un accent épouvantable dont je n’arrivais pas à deviner l’origine.
- Merci, on va vous suivre.
- Prenez votre temps, les cocktails sont offerts par la maison.
- Merci.
On décida malgré tout de ne pas s’attarder dans cet endroit. L’air y était irrespirable et le cocktail associé à toutes les formes d’alcool que j’avais pu absorber dans la soirée commençait à me taper sur la tête. Je sentais ma vigilance m’échapper. J’avais gardé la main de Petra dans la mienne. Elle me suivit docilement jusqu’à la voiture.
- En route, lui dis-je
- Mm, vivement le lit…répondit-elle dans un soupir.
Je roulai doucement le long des quais, puis en centre-ville. C’était l’occasion de lui faire une visite express. Petra ne disait rien. Elle écoutait ma description de la ville, les anecdotes que je lui racontais, ne sachant pas si elles étaient véridiques ou si je venais de les inventer. Le lecteur CD jouait un tube des Kinks « Don’t forget to dance », vieux slow langoureux, qui avait dû stimuler les sens de la génération de mes parents et de bien d’autres encore.
On arriva dans le quartier de la gare. L’éclairage était par endroits défaillant mais dans les îlots de lumière, on distinguait des groupes de trois à cinq femmes, très courts vêtues pour la saison. Je les montrais à Petra.
- tu vois, c’est un quartier un peu spécial, à ne pas traverser la nuit quand on est une honnête jeune fille. Mais peut-être n’es-tu pas une honnête jeune fille ?
- Tu connais tous les quartiers chauds de la ville ?
- Non, seulement ceux où des femmes travaillent pour moi. Pourquoi, tu cherches un job ?
Je me garai devant son hôtel. Je descendis et lui ouvrit la porte. Elle sortit de la voiture et s’approcha de moi, le visage levé. Je voyais ses yeux briller et ses lèvres humides s’approcher des miennes. Je passai ma main dans ses cheveux et caressai son oreille. Je me penchai et l’embrassai sur la joue.
- Bonne nuit Petra. Tu as une grosse journée demain.
- Euh, tu t’en vas ?
- Oui, à demain. Dors bien.
Je la regardais entrer dans son hôtel. Elle se retourna pour me faire un signe de la main.
Je repartis en faisant le chemin inverse. La mission était accomplie. Petra avait été neutralisée. Il était une heure du matin et elle ne ressortirait pas de son hôtel avant le début du congrès.
Sur le chemin du retour, mon monologue intérieur reprit. Les pensées étaient contrastées. J’avais passé finalement une bonne soirée qu’un peu de bonne volonté m’aurait sans doute permis de terminer différemment. J’aurais pu l’accompagner à sa chambre d’hôtel mais je ne l’avais pas fait. Scrupules ? Fatigue ? Manque d’intérêt ? Peur d’un échec ou d’une résistance de dernière minute ?
L’itinéraire du retour avait mis sur ma route un bar dans lequel performaient depuis quelques mois des groupes de rock locaux. Je m’arrêtais. Au moment où j’entrai dans le bar se retrouvaient poussés dehors deux types salement éméchés, habillés en cow-boys. Je les évitai et entrai dans la fournaise. L’ambiance était plus que chaude, poussée par un groupe très dynamique qui jouait sans les écorcher de bons standards (Kinks, Clash, Johnny Cash…). Je restai un moment au bar, perdu dans mes pensées. J’avais trop picolé pour continuer à me meurtrir les neurones de la sorte. Il fallait me résoudre à rentrer.
Je remontai dans ma voiture et regardai machinalement mon portable. Trois messages reçus. Dans l’ambiance du bar, je ne les avais pas entendu arriver.
Le premier disait « Impressionnant ! Encore merci. Taz. »
Le second : « Reconnaissance éternelle. Lolo » .
Le troisième : « Merci pour la soirée. J’aurais aimé que tu restes. Je t’embrasse très fort. Petra »
Fin de l'épisode.
Posté : 31.01.06
par Blusher
Je ne quittais pas son regard, dans lequel je lisais stupeur et amusement. Quelque chose me disait que j’avais trouvé le ton juste, et une sensation subite de plaisir se répandit en moi comme si j’avais franchi une frontière à l’intérieur de moi-même. J’insistais dans cette voie.
Je connais cette sensation que tu decris a merveille, ce moment ou le player sent de maniere instinctive que sa proie et lui-meme jouent la meme partition et que le plaisir est partage. C'est ce moment de plaisir qui nous fait revenir a la sarge.
Posté : 08.02.06
par Spike
Je ne cesserai de m'étonner que ce type de FR ne recueille quasiment aucune réaction. Il est pourtant réglé comme du papier à musique. Peut-être trop, ceci expliquant alors cela.
Game couillu, en tous cas, et ce à 2 points de vue :
Je viens d’accepter une mission dont je ne connais que les grandes lignes. Je vais passer la soirée avec une parfaite inconnue
Difficile pari. Pour l'avoir fait, un pas de travers et l'inconnue nous trouve tous les défauts du monde et même les autres. Tu as su jouer sur la carte de l'improvisation pour transformer la blind-date bête et méchante en aventure spontanée, typiquement ce que n'arrivent pas à faire les Meetic-boys qui se plantent en face de la cible pour se faire juger pendant 2 heures avant de se faire dégager.
il fallait accaparer son attention sans répit au cours de la soirée. Ne lui laisser aucun répit
Ca t'a réussi mais aurait aussi pu te nuire comme un excès d'antibiotique annule les effets et donne une légère nausée.
Nous sortîmes du restaurant. Le froid nous saisit. La pluie avait cessé, mais les reflets des phares de voiture dansaient comme des spectres autour de nous.
Démoniaque.
PS : pendant l'épisode du bar on se croirait dans un de mes films préférés, After Hours. Si tu ne l'as pas vu, regarde le. Tu vas aimer.
Posté : 09.02.06
par Hannibal
C'est vrai que les "reports" ne font pas l'objet de beaucoup de réponses... C'est ainsi.
Ce que je retiens de cette soirée, c'est que lorsqu'on se détache de l'enjeu ou du résultat, il est beaucoup plus facile d'être naturel, de prendre le risque de choquer...
Le risque majeur était de ne pas arriver à "accrocher" la cible et de passer complètement au travers de la soirée.
H.
PS : je n'ai pas vu AfterHours, mais je vais faire un effort.
