Soirée normale, un lundi, sortie dans un bar avec un ami. Habillé correct mais sans plus. Notre table donne devant un grand miroir dont les reflets sont désavantageux. Deux brunes entrent dans le club et nous fixent comme si elles nous connaissaient. L'une des deux se plante devant le miroir, à quelque chose comme un mètre de nous, et se recoiffe dans le miroir, mais cette fois sans nous accorder le moindre signe d'intérêt. Je lui rend son mépris. Finalement elle se barre et rejoint sa pote.
Passons. Il est quelque chose comme deux heures du matin, j'ai beucoup bu mais je ne suis pas bourré. Je m'ennui un peu. Mon pote, qui commence à être bien déchiré, part au toilette. Je fixe mon verre. Les deux filles du début de soirée m'abordent frontal. Je suis à une table isolée, mais assis sur un tabouret de comptoir, de sorte que j'en ai une à ma droite et l'autre à ma gauche.
Ca pue l'arnaque, restons calme. Je fais semblant de rien, la première me glisse à l'oreille:
Bon. Je suis tombé sur deux connes qui ont envie de jouer et qui me prennent pour un débile.E: Comment ça se fait que tu es tout seul?
M: Je ne suis pas tout seul.
(elle regarde sa copine comme si j'étais un attardé mental)
E: heu...si...tu es tout seul...
M: Non y'a mon pote qui est avec moi, vous le savez bien vous nous avez vu tout à l'heure.
(je montre de la main la chaise vide où est adossé la veste de mon pote)
E: Ah oui effectivement... tu n'es pas tout seul... Salut pote!
(elles font "coucou" à la chaise vide)
Comme au foot pendant les corners, j'entends une petite voix dans ma tête.Samuel L. Jackson dit: Au risque de te décevoir, tu n'es pas la première personne qui braque une arme sur moi.
Let's go.Le gardien (qui fait une sortie aérienne et hurle): J'AI !!
Mon pote revient, je ne fais même pas les présentations. Je lui dis un truc au hasard dans l'oreille. Et je me fout de sa gueule à l'oreille d'une des filles.M: Vous faites quoi ici?
E: Heu?
M: A part embêter les garçons je veux dire.
E: lol, on t'embête pas, on te demande pourquoi tu es tout seul.
M: Je ne suis pas tout seul, qu'est que je foutrais dans un club de ce genre tout seul?
E: hum... tu serai là pour draguer les filles, c'est l'endroit idéal.
M: J'ai une tête à draguer les filles?
(air innocent, avec beauuuucoup d'application)
E: lol, ben nous on trouve que oui! Bon il est où ton fameux pote?
M: En vrai je crois qu'il est parti vomir mais j'essai de le couvrir. Quand il reviendra, vous serez mignonne de faire semblant de rien.
E: lol d'accord, mais d'après moi il reviendra jamais...
J'explique la situation à mon pote. Fluff à la con sur "a t'il vomi ou non", blagounettes dont je ne me souviens plus, mais on plaisante cinq minutes là dessus. La fille à ma gauche à sa main sur ma cuisse. J'ai le réflexe de checker ma carte bleue au fond de ma poche, de jetter un coup d'oeil sur nos verres...bon tout à l'air réglo, elles vont peut-être vouloir qu'on leur paye à boire. Je suis d'un naturel très méfiant.M: Il dit qu'il est parti pisser. Pas crédible hein?
E: lol, franchement non, c'est sur il a vomi!
Je lui demande si elles sont d'ici. Evidemment, non. Elles disent être espagnoles mais franchement leur accent français est trop parfait pour qu'elles le soient.
Bonne pioche. Mais beaucoup de chance quand même ce soir. Ca fait déjà vingt minutes qu'on parle, les filles ne sont pas super-super mais leur abordage sauvage et de me rendre compte que finalement elles ne nous demandent toujours rien... Je me laisse tenter. Ou plutôt, on se fait embarquer. Et là, autant vous dire qu'il nous faut du réflexe. Je m'embrouille mais ça passe.E: Oui mais ça fait déjà deux ans qu'on est en France blabla...
M: Vous êtes d'où en Espagne?
E: Villeblabla...
M: Je connais Villeblabla, c'est près de Villebluff non?
E: Tu connais Villebluff?c'est la ville où je suis née!!
Je m'embrouille, je suis lourd, je m'en sors plus mais ça passe quand même...E: Vous faites quoi après?
M: heu...on va sûrement...aller ailleurs!
E: Où?
M: Chez moi.
E: Ah.
M: Enfin, on fait une soirée chez moi normallement...
E: Y'a une soirée chez toi?
M: Non mais on peut finir la soirée chez moi... Enfin nous on va chez moi. Vous pouvez venir. Si tu veux. Enfin si vous voulez...
Putain mais c'est quoi ces deux barges...E: Nous ça nous dit bien, mais est-ce qu'on pourra acheter des biscuits avant?
M: Pardon?![]()
E: Des biscuits!!! On adore les biscuits!!!
Les filles éclatent de rire. Elles ont pourtant pas l'air d'avoir bu. Franchement je n'y comprend rien. Je checke une nouvelle fois mes poches, tout à l'air niquel. Peut-être que les filles ont pris de la LSD où un truc comme ça parce qu'elles ne sentent pas du tout l'alcool. Les allusions sur la fin de soirée se multiplient de façon plus ou moins explicites, "combien de chambres chez toi", "ça craint pas pour les voisins, ma copine fait beaucoup de bruit quand elle... enfin bref ^^". Elles sont limites reloues.M: Biscuit, c'est... de la drogue?
E: mdr, mais non t'es con, un biscuit genre "speculoos". C'est français le speculoos, on adooooore les "biscuits français" avec ma copine ^^
M: En fait les Speculoos c'est Belge. Non attends, c'est Néerlandais même.
E: Ah oui? C'est pas les Petits Lu qui sont belges?
M: heu... Petits Lu c'est français je crois. C'est les meilleurs par ailleurs.
E: On adore les Petits Lu!
M: ...putain mais de quoi on parle là??
Mais si après tout, ce soir, c'était la soirée parfaite? Deux copines qui ont juste envie de s'éclater, branchent deux mecs dans un bar pour finir la soirée dans leur appart? Franchement on s'en tape, elles sont majeures, potables, elles veulent juste s'amuser, nous draguent à fond depuis une heure... Je commence à y croire. Je pense à la chanson d'IAM, "elle donne son corps avant son nom" en regardant la plus jolie des deux. Non, vraiment, il n'y a pas photo, elles n'ont pas le profil de braqueuse ou de prostituée de luxe.
Je commence à y croire VRAIMENT. C'est mon cadeau de Noel
Seulement, la vie est une pute.
Alors qu'une des deux brunes dont le prénom n'est pas beau se penche à mon oreille pour me glisser une betise, elle colle sa joue contre la mienne. Je tourne la tête, on s'embrasse. Elle me sourit.
Damn.E: Bon...ça fait une demi heure qu'on devrait être chez toi. Ca se passerait différemment si on était chez toi![]()
Je ramasse mes affaires dans la foulée, dit à mon pote qu'on décolle. Alors qu'on remonte les escaliers pour sortir de la boite, un mec bouscule mon pote (sans faire exprès d'après moi mais ça n'a pas vraiment d'importance); il tombe à la renverse et dévale au moins une dizaine de marches. Je me précipite vers lui, j'essaie de le relever, je sens très vite du sang sur mes mains.
La suite, c'est le vomi dans l'escalier, les pompiers qui le prennent en charge, les points de sutures et la nuit aux Urgences.
Les filles sont parties un peu après le départ des pompiers. Elles m'ont dit de les tenir au courant de l'état de mon ami. Je n'ai même pas percuté que je n'avais aucun moyen de le faire.
La vie est une pute.
Mon ami allant bien, nous sommes rentrés vers 7 heures du matin. L'état bordélique de mon appartement fût une maigre consolation lorsque je constatais qu'il n'aurait pas fait bonne impression aux filles.
J'ai mis un album de Gainsbourg et j'ai commencé à rédiger ce FR pour décompresser de cette nuit interminable où je suis un peu passé par tout les états, mais où j'ai gardé le même constat: la vie est une pute.