Albert Cohen (le pouvoir de tuer)

Note : 5

le 25.10.2007 par Regbar

1 réponses / Dernière par Logrus le 05.11.2007, 14h24

Etat d'esprit / psychologie / dev perso / vie intérieure.
Un forum pour celles et ceux qui s'intéressent au dev perso, à l'équilibre intérieur, à la psychologie. Surmonter ses blocages, ses croyances limitantes, nourrir et développer ses forces, etc.
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Bonjour à tous,

Voici un texte pénétrant, qui pourrait intéresser certains d'entre vous.

Extrait de Belle du Seigneur, roman dans lequel est décrite une longue déclaration d'amour, ou quand Albert Cohen exprime ses vues sur la séduction avec le cynique monologue de son personnage Solal, face à Hélène.
Cette beauté qu'elles veulent toutes, paupières battantes, cette beauté virile qui est haute taille, muscles durs et dents mordeuses, cette beauté, qu'est-elle sinon témoignage de jeunesse et de santé, c'est-à-dire de force physique, c'est-à-dire de ce pouvoir de combattre et de nuire qui en est la preuve, et dont le comble, la sanction et l'ultime secrète racine est le pouvoir de tuer, l'antique pouvoir de l'âge de pierre, et c'est ce pouvoir que cherche l'inconscient des délicieuses, croyantes et spiritualistes. D'où leur passion pour les officiers de carrière. Bref, pour qu'elles tombent en amour il faut qu'elles me sentent tueur virtuel, capable de les protéger. Quoi ? Parlez, je vous y autorise [...]

Force, force, elles n'ont que ce mot à la bouche. Force, qu'est-ce en fin de compte sinon le vieux pouvoir d'assommer le copain préhistorique au coin de la forêt vierge d'il y a cent mille ans ? Force, pouvoir de tuer. Oui, je sais, je l'ai déjà dit, je le répète et le répéterai jusqu'à mon lit de mort ! Lisez les annonces de ces demoiselles de bonne famille, présentant bien, avec espérances directes et prochaines, comme elles disent. Lisez et vous verrez qu'elles veulent un monsieur non seulement aussi long que possible, mais encore énergique, ayant du caractère, et elles font des yeux émerveillés, comme si c'était beau et grand alors qu'en réalité c'est répugnant. Du caractère ! s'écria-t-il avec douleur.

Du caractère, elles l'avouent ! Elles avouent, les angéliques effrontées, qu'il leur faut un cher fort et silencieux, avec chewing-gum et menton volontaire, un costaud, un viril, un coq prétentieux ayant toujours raison, un ferme en ses propos, un tenace et implacable sans cœur, un capable de nuire, en fin de compte un capable de meurtre ! Caractère n'étant ici que le substitut de force physique, et l'homme de caractère un produit de remplacement, l'ersatz civilisé du gorille. Le gorille, toujours le gorille !

Elles protestent et s'écrient que je les calomnie puisqu'elles veulent que ce gorille soit en même temps moral ! Ce gorille viandu et costaud et ayant du caractère, c'est-à-dire tueur virtuel, elles exigent en effet qu'il dise des paroles nobles, qu'il leur parle de Dieu, et qu'ils lisent la Bible ensemble, le soir, avant de se coucher. Alibi et comble de la perversité ! Ainsi ces rusées peuvent en toute paix chérir la large poitrine et les poings frappeurs et les yeux froids et la pipe ! Pieds de porc recouverts de crème fouettée et gigots ornés de fleurs et dentelles de papier comme aux devantures des boucheries. Fausse monnaie toujours, et partout !

Albert Cohen, Belle du Seigneur, 1968.
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  • [+1] Merci ! :) par Mister P
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  • [0] Bienvenue par Portmoderoz
  • [0] Intéressant par Logrus
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  • [+1] Ca va mieux en le disant par S.T.A.R.S
J'adore lol! Cependant je ferais la même critique qu'à Nietzsche : il y a les personnes qui se donnent de fausses valeurs (ici les femmes auprès de ce qu'elles prétendent rechercher chez les hommes, pour Nietzsche les faibles qui s'inventent des valeurs pour accepter leur "médiocrité" par exemple) ET ceux qui sont honnêtes envers eux même qui cherchent harmoniser au mieux leur nature animale et leur éthique au lieu d'éradiquer l'un au profit de l'autre.

L'idéal pour harmoniser notre nature animale et l'éthique est d'utiliser la première au service de l'autre mais ce n'est pas toujours possible. Pour prendre un exemple parlant je me souviens d'un type que j'avais vu dans un reportage sur le GIGN qui était clairement un animal. Je veux dire par là qu'il avait clairement un besoin de violence et de vivre des sensations fortes. Au lieu de canaliser ses instincts dans des activités criminelles, il les a mis au service de l'ordre et à trouver une harmonie entre sa nature animale (très prononcée) et l'éthique.

Je ne sais pas ce que tu attendais comme réponses. T'étant contenté de poster le texte, je te réponds par la réflexion qu'il m'a inspiré :)

Amicalement,

Logrus
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  • [+1] Intéressant par Spectrum
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