Me revoilà avec une absence de plusieurs mois qui s’explique simplement : dans le programme erasmus il n’y a pas de place pour autre chose que passer 100% de son temps à profiter de la culture, des amis aussi éphémères soient-ils, et bien sûr des très exotiques amours/passions/whatever qu’on peut s’y faire. Je me suis aussi brûlé les ailes au passage. Autant de raisons qui font que je veux garder pour moi cette expérience.
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Aéroport,
16h40
30 minutes à tuer par 3°C.
C’est avec un peu d’audace que j’arrive à ce moment inopportun d’une discussion culturelle avec un inconnu. Rien d’anormal, sauf pour mes habitudes félines de vivre ma vie dans mes écouteurs quand je voyage. Alors, détrônées ? Plus que ça, elles ont été bouleversées. Toutes ces années à mal apprendre la psychologie, la sociologie, les comportements verbaux et non-verbaux, et l’inter-culturalité. C’est le comble d’étudier la communication et d’être bornée en son sein. Les médias, que font-ils ? Eux aussi je les ai étudiés et j’ai même pensé vouloir en être actrice, aveuglée de motivations naïves anticapitalistes.
J’ai commencé dans la peau de la française que je suis, avec un air pressé, souffler en râlant, et une habitude du détour de regard. Ce genre de mec, on ne le regarde pas dans les yeux sinon il pourrait penser qu’on le drague ; et quand il drague une fille comme moi, on entre dans un cercle vicieux du « ça n’arrivera jamais - j’essaie encore ». On finit par leur avouer que notre chien est mort en bouffant le dernier imbécile qui a voulu nous approcher, ou que notre mec vient de finir ses 30 ans fermes et que, coïncidence des coïncidences, il vient nous chercher à l’arrêt de bus. C’est là que sont intervenues mes hormones (pas forcément celles qu’on imagine : peut-être juste un peu d’adrénaline).
Ca a continué avec une cigarette, que j’ai demandée au monsieur. Je voulais juste une cigarette. Et je me suis replongée sans m’en apercevoir, dans l’autre pays. Tout à fait naturellement et sans me fixer, il me répond avec évidence et me tend son paquet. Cette évidence est celle qui va nous lier : la générosité comme une obligation sociale. Là où nous avons respectivement été, refuser le don de cigarette, jamais. Et par dessus tout, il faut l’offrir avec hospitalité.
Le jeune homme semble relativement calme, ailleurs peut-être. Il ne cherche pas mon regard, il a la coupe de cheveux cité-cherokee mais à part ça et son blouson noir typé cuir, rien ne crie violence et inégalité des sexes chez lui.
Son briquet rose aux écritures arabes faisant la promotion de frigos et autres congélos m’intrigue. Les écritures étaient-elles présentes sur l’objet avant les images fantaisistes de frigo ? Ou accompagnent-elles les illustrations ? Est-ce une stratégie marketing réfléchie par un quelconque vendeur de frigo ? Une seule question reste valable dans mon esprit : Mais pourquoi ?
Les pays en développement ont un sacré sens de l’humour, ou de l’opportunité, dans un cas comme dans l’autre, je tombe sous le charme de cet allume cigarette improbable. « Il ne vient pas d’ici » Me précise le jeune cherokee. Je me dis intérieurement que si on était dans un film d’auteur, il parlerait de son briquet en faisant allusion à lui-même.
J’avais deviné l’ami, mais de quelle contrée vient-il (le jeune mâle comme le briquet) ?
L’Algérie. C’est là que ce continuel fantasme identitaire m’envahit. Je revis ce que je n’ai jamais vécu, ce qui appartient à ma mémoire génétique, et qui a cependant profondément marqué mon existence déboussolée. Ces images que la société, et mon père, s’empressent de détruire continuellement, renaissent dans ma cavité cérébrale et mon hypothalamus tout content. On parle bateau qui lie Marseille à Oran, route par l’Espagne, conflits et inventions médiatiques, accueil en profusion dans les villages, et inévitablement j’ouvre la comparaison avec mes 7 mois passés en pays turc. Turquie et Maghreb, le jour et la nuit qui se rencontrent au crépuscule pour une trève, en buvant du thé et rigolant fort.
On distingue les dialectes en arabes, on retrouve quelques mots musulmans commun aux deux cultures. Il n’y a rien de sexué ni sexuel, j’ai utilisé toutes mes techniques non verbales super efficaces qui bloquent toute interaction-tentative de sexualisation de la part de l’autre gent.
On en vient aux sujets sensibles. Lui, revient d’Oran avec 50 kilos sur le dos, des cadeaux pour la famille à n’en plus finir après trois semaines de vacances, qu’il a pas du trimballer avec porteur intégré. Moi, à peu de décalage, je revenais de Turquie ; avec 20 kilos pour 6 mois d’expatriation : rien dans les valises mais toutes les histoires dans la tête et surtout dans le cœur, un peu comme l’accueil des locaux.
Une discussion sur les sans-papiers et le gouvernement « du balai ! » qui précède l’actuel en France, nous fait arriver au sujet des classes sociales. Lui il peine avec un presque smic – c’est en fait un milleriste. Moi je suis encore prise en charge par la famille. Lui vient des coins un peu reculés et pas très faciles de la ville, moi je viens des hauteurs vertes et bobo des classes moyennes. Il a clairement raté la case appareil et soins dentaires, qu’on maudit à 14 ans, et qu’on passe le reste de sa vie à bénir. J’ai pas passé mon permis parce qu’en vraie hipster/bobo, j’en avais pas besoin : là où j’allais, le métro passait – ou je profitais des charrettes des autres.
Ce qui nous sépare c’est probablement quelques tics de langage, une culture inévitablement, un sens de l’indépendance chez chacun mais de manière complètement différente. Mais quand on finit par se séparer, c’est chacun de notre côté en sortant du bus, pourtant pour le même motif « Mon frère/mon père vient me chercher. »
La morale ? Mais oui, ce premier paragraphe qui prévoit lourd, à quoi réfère-t-il ?
A la west side story probablement ; c’est socialement inacceptable pour moi autant que pour lui de se fréquenter, malgré la facilité déstabilisante avec laquelle on avait abordé peu de temps avant, des sujets qui aurait fâché ou tendu en d’autres circonstances.
Mais...
Au risque de décevoir les grands cœur, il ne s’agit pas d’une attirance entre lui et moi. Il s’agit en partie de l’effet inverse. J’ai été surprise de constater que depuis plusieurs années, je pouvais inspirer autre chose à un mec venant des cités, que la potentielle proie avec qui « ça passe ou ça casse ». Cette belle rencontre m’a marquée pour quelque chose d’encore différent. En rentrant chez moi je cogitais. Pourquoi ai-je réagi si brutalement, dans une conversation si fluide et sans tabou, quand il m’a lancé un :
« Je suis indépendant financièrement, j’avais pas le choix. Et toi tu as un copain ?
- Heuu OUI. »
Alors que la seule raison pour laquelle il s’aventurait à une telle question, c’était pour expliquer qu’il aimerait quitter le foyer familial afin de vivre de manière plus adulte ; et que dans ces cas, vivre avec un conjoint ça facilite l’acceptation familiale.
Je n’ai pas de copain.
Je ne pourrais pas dire si cependant ma réponse l’a déçu.
De fil en aiguille je suis tombée sur un documentaire sur les maghrébins gays de cité. (ni le sujet ni le forum, mais ça vaut le détour quand on s’intéresse à la sociologie, notamment la sociologie de quartiers).
Si mon cherokee est gay ? Je n’en sais rien. Sans donner d’explication à quoi que ce soit, je laisse planer le doute, puisque c’est ce qui engage le plus l’esprit à la réflexion et qui nous fait sortir de ces petites boîtes.
En sortir, c’est chouette. On choisit ailleurs que l’Espagne pour faire son erasmus, on tombe sur des mecs de cité qui portent pas si mal la coupe cherokee, et qui malgré quelques problèmes de dentition, ont un charme naturel tout en étant eux-mêmes. En dehors des phrases stéréotypes agressives avec lesquelles ils nous harponnent en pleine rue.
Et pour l’auto-debriefing…
Aborder donc, en première à défaut de voir des inconnus audacieux le faire pour moi ? Oui !
Aborder un français par contre, ça sera toujours plus compliqué pour moi. Même si infime, j’ai toujours ce sentiment d’infériorité qui me prend au moment d’être audacieuse.
Ben Türkçe bilmiyorum
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