Sandy (SK)

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le 06.02.2006 par Hannibal

5 réponses / Dernière par Hannibal le 09.02.2006, 22h09

La vie est faite de virages, d'obstacles à surmonter, d'audace, de surprises et de rencontres décisives. Racontez votre histoire, entrez dans la légende; partagez vos cheminements, vos interrogations, vos rencontres, vos aventures - foirées ou réussies, c'est pas le plus important - et recevez les avis et conseils des autres membres.
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Les faits qui sont relatés ici sont anciens. Ils ont été datés grâce au carbone 14 à une ère ancienne (au delà de 5 ans). Ils sont maintenant prescrits, digérés et amortis. Ils sont néanmoins réels, même si, par respect pour les protagonistes de cette histoire, les noms ont été modifiés et les lieux ont été changés.

Une fin d’après-midi chargée. Les patients se suivaient, se ressemblaient, s’accumulaient, s’énervaient, puis partaient rassurés. Le téléphone était omniprésent.

L’assistante à qui il aurait fallu greffer trois bras supplémentaires fit irruption dans mon bureau.
- Docteur, Melle K en ligne poste 4
- C’est pourquoi ? demandai-je sèchement
- Perso.
- Comment ça perso ?
- Elle m’a dit « je voudrais parler au Dr H., c’est personnel »
- Proposez lui de me rappeler dans (je regardai ma montre, puis le listing de salle d’attente)….mmmm, 20 minutes.
- Ca fait trois fois qu’elle appelle.
- Fais ch…, dites-lui que je la rappelle dans 20 minutes.

L’assistante ressortit de la pièce, puis revint quelques secondes plus tard.
- Elle dit qu’elle appelle d’une cabine, qu’elle ne veut pas vous déranger et qu’elle en a pour quelques instants.
- P…, qu’est-ce qu’ils ont tous aujourd’hui ? Bon passez la moi. Et fermez la porte siouplait.

Je décrochais le combiné, tapais le 4.
- Allô, dis-je dans un soupir
- Bonjour Dr, c’est SK, euh, voilà, je vais être un peu « cash », mais j’aimerais bien vous voir en dehors du travail. Est-ce que vous êtes libre ce soir ?
- ….
- Euh, allo, vous m’entendez ?
- Oui, je suis là, disons que je suis un peu … surpris. C’est une drôle de question. Mais pourquoi pas ? Par contre, je ne suis pas libre ce soir, et je suis absent pour les deux semaines qui viennent. Si vous voulez, je vous rappelle à mon retour. On fait comme ça ?
- On fait comme ça.
- Je vais prendre votre numéro.
- C’est le 06 XX XX XX XX.
- C’est rigolo.
- Qu’est-ce qui est rigolo ?
- Vous appelez d’une cabine alors que vous avez un portable. Vous savez que ça marche à l’extérieur de la cabine aussi ?
- Naaaan, j’ai bouffé mon forfait. Vous foutez pas de moi.
- OK, à bientôt, je vous rappelle.
- Au revoir.

Je raccrochais. Puis inspirais à fond. Je fermais les yeux en retenant ma respiration. Je me disais :. « C’est une blague. Qu’est ce que c’est que ce plan ? Dans quelle embrouille es-tu en train de te mettre ? Bon, et puis tu verras bien au retour des vacances… »

SK était une de mes clientes. Ou plus exactement son copain de l’époque était client. Mais il n’avait jamais le temps de venir et c’est elle que je voyais. J’avais dû la recevoir deux ou trois fois dans les derniers mois. Assez pour savoir qui elle était.

Brune, grande, les yeux gris, une bouche aux lèvres pulpeuses et bien dessinées. Un corps de rêve malheureusement masqué par une tenue vestimentaire indescriptible. Une inspiration grunge-destroy-punk-metal- no future formant un assemblage invraisemblable. Je la trouvais amusante avec son air de petite fille dans un corps de femme, ses vêtements improbables et ses projets dont la portée ne dépassait pas l’heure à venir. Quand elle ne venait pas, elle appelait pour un conseil ; de temps en temps. Quel âge pouvait elle avoir ? 20 ans tout au plus ? 15 de moins que moi.

Les vacances passèrent comme je le prévoyais : comme un éclair. Un éclair parsemé de rêves, de doutes, de sensations agréables mêlées d’une légère gêne. Si quoi que ce soit devait se passer avec cette fille, j’aurais des aménagements à faire à la fois avec mon emploi du temps et avec ma conscience… Ma vie se déroulait à cette époque comme dans un abri enterré. Avec tous ses avantages, ses côtés prévisibles, sa sécurité et son confort. Mais aussi ses limites, son absence de fantaisie, une famille et une belle-famille omniprésentes.

Je m’étais donné trois jours avant de la rappeler. Trois jours prévus pour une ultime réflexion, mais monopolisés par des sujets d’une autre nature. Le retour au travail avait été plus difficile que prévu. Je partais toujours en vacances transporté par l’espoir de voir les dossiers laissés en souffrance spontanément résolus à mon retour, comme si un être suprême et bienveillant pouvait m’en débarrasser pendant mon absence. Rien de tout cela. Les deux semaines de répit les avaient fait croître, embellir et se multiplier comme de mauvaises graines. L’être suprême n’existait pas et je devais m’y résoudre.

Au soir du troisième jour, après avoir cherché et trouvé tous les prétextes pour repousser le moment de l’appeler, je me rendais à l’évidence : j’avais peur. Peur qu’elle ait changé d’avis, peur de bafouiller ou de ne pas trouver les mots, peur de donner l’image pathétique de l’apprenti séducteur, peur de ne pas être capable, de ne pas pouvoir gérer la situation. En composant son numéro, je sentais mon cœur battre dans ma gorge et ma bouche se secher.

Elle répondit dès la première sonnerie et nous prîmes rendez-vous deux jours plus tard, au CenterBar, en centre-ville. Un bar qui m’était totalement inconnu, comme tous les bars du centre-ville.

J’arrivais au CenterBar en avance d’un bon quart d’heure. Après un tour dans le quartier, pour ne pas arriver trop tôt, je finissais par pousser la porte. Elle était là, attablée ; elle avait sorti un sachet de tabac et tentait de rouler une cigarette. Je la regardai faire. Le froid de l’hiver devait lui avoir engourdi les doigts et le tabac s’échappait par les côtés et tombait en pluie sur la table. Je m’approchai.
- bonjour, je peux m’asseoir ?
- Ah, bonjour, oui, asseyez vous.

La conversation qui suivit était placée sous le signe de la plus grande banalité ou de la plus grande prudence. Le vouvoiement et la retenue de chacun d’entre nous rendaient la situation surréaliste. J’étais face à une fille superbe qui m’avait invité sous l’emprise d’un désir que je soupçonnais sans y croire vraiment et nous étions là, coincés, embarrassés à parler de la pluie et du mauvais temps : dehors, la neige menaçait. Je décidai de me lancer.
- On pourrait se tutoyer, ce serait plus simple, non ?
- Oui, ce serait mieux.
- Alors dis-moi, commençais-je en la regardant droit dans les yeux, tu voulais qu’on se voie, tu as sans doute envie de me dire quelque chose.
- Voilà, euh, c’est pas très facile à dire comme ça. En fait, je te trouve très mignon et je me sens vraiment attirée par toi. Je sais bien que tu es marié, que tu as ta vie, mais j’aimerais qu’on passe un moment ensemble de temps en temps. Même si ce n’est pas souvent.
- Tu sais, je suis marié, j’ai des gosses, un boulot de fou. Je te trouve très jolie, mais on se connaît à peine. Je ne sais pas quelle place je peux te faire dans ma vie. Tu comprends ? Ce que je peux te proposer, c’est qu’on passe un moment ensemble, qu’on apprenne à se connaître.

Ses yeux n’avaient pas quitté les miens.
- Tu veux un café ?
- Oui, me dit-elle avec un sourire.

J’appelais le serveur. Il avait la tête et l’habit du croque-mort de Lucky Luke. Je commandais deux cafés. Je repris la conversation.
- tu es venue comment ?
- J’ai pris le bus, je me suis gelée, d’ailleurs je n’arrive plus à rouler mes clopes.
- J’ai vu ça, tu t’en es foutu partout…

La conversation se détendait de minute en minute, elle me parlait d’elle, de ses goûts, de sa vie. Je répondais à ses questions le plus exactement possible. On décida de lever le camp.
- on va faire un tour ? je proposai.
- Oui, tu es garé loin.
- Non, dans le quartier. Tu connais le lac de LR ?
- Oui, tu veux qu’on y aille ?

En guise de réponse, je me levai pendant qu’elle réglait les cafés au croque-mort. On prit la voiture. Le temps devenait de plus en plus menaçant. Les nuages blancs et le froid annonçaient une neige imminente. La discussion continua dans la voiture. Je découvrais une fille attachante, passionnée, purement émotionnelle. Et qui commençait à me plaire. Quand je la regardai, je sentais une sorte de douceur m’envahir, comme si mon sang se réchauffait soudainement à sa vue.

A la sortie d’un carrefour je m’engageais dans une impasse comme pour faire demi-tour et je m’arrêtai.
- M…j’ai oublié quelque chose !
- Quoi ? me dit-elle, intriguée.
Ma main se glissa dans ses cheveux et je l’embrassais. Quand mes lèvres quittèrent les siennes, je répondis.
- J’avais oublié ça. Ca fait une heure que j’en ai envie.
- Mmmm, moi aussi, répondit-elle. Et on recommença.

On continua à rouler, sans rien dire. Les premiers flocons venaient mourir sur le pare-brise. Elle rompit le silence.
- j’ai peur qu’on ait froid au lac, tu ne veux pas qu’on reste dans la voiture plutôt ?
- C’est vrai qu’on va se peler. Je vais me garer par là.

J’empruntais le chemin d’accès à la forêt, à proximité du lac. La neige tombait de plus en plus et les champs alentour commençaient à se recouvrir d’une pellicule blanche comme une couche de sucre. Je m’arrêtais.

Les instants qui suivirent resteront marqués au feu dans ma mémoire : brûlants, intenses et violents.

Deux heures plus tard, je la déposai en ville et rentrai chez moi. Il était 17 heures, la neige avait recouvert les champs et la circulation devenait pénible et hasardeuse.

Arrivé chez moi, je pris une douche elle aussi très chaude puis je restai debout devant ma glace. Je regardai mon visage et essayai de réaliser ce qui venait d’arriver. La douce sensation de chaleur m’envahit à nouveau. Ma voix intérieure se ranimait :

« Toi, tu as la tête de celui qui vient de faire l’amour en plein jour, dans ta bagnole, avec une fille que tu ne connaissais pratiquement pas deux heures avant…Tu voulais de l’adrénaline ? En voilà. Mais ça fait peut-être beaucoup à la fois… »

SK venait d’entrouvrir la porte de mon abri et je m’étais engouffré dans cette brèche.

Ca ne faisait que commencer.

(à suivre)
Héhé... :D
Les instants qui suivirent resteront marqués au feu dans ma mémoire : brûlants, intenses et violents.
SK venait d’entrouvrir la porte de mon abri et je m’étais engouffré dans cette brèche.
C'est un événement-clé de ta vie, une KEYLIFE dirait aRise.
Je suis sûr que c'est ce type d'événement qui t'a amené à croiser FTS.

Ce type "d'irruption amoureuse" donne un énorme surcroît de confiance en soi et d'intérêt à la vie. :)
Attention ensuite à être vigilant au retour de bâton de la famille et de la société, l'excès de confiance pouvant amener à commettre des erreurs...
Cette relation dura un peu plus de trois mois. Trois mois étranges, mêlant sensualité, violence et frustration.

Je l’avais rappelée le lendemain. Je passai la voir à son appartement.

Elle habitait un immeuble poussiéreux du centre-ville, au bord du canal. Un quartier ancien, oublié des plans d’urbanisation, avec une circulation infernale le jour et hanté par les zonards et des prostituées la nuit. Les vieux platanes très denses faisaient une sorte de toit au dessus de l’immeuble et empêchaient le passage de la lumière en toute saison. La baie vitrée de son appartement était comme masquée. Il faisait si sombre que la lumière devait rester allumée toute la journée.

L’escalier était plongé dans l’obscurité. L’éclairage avait disparu longtemps et n’avait pas été remplacé. L’accès à son appartement se faisait au travers d’un couloir que je franchissais à tâtons, en espérant à chaque fois ne rencontrer personne. J’avais une fois buté sur une chose qui avait poussé un grognement, sans savoir exactement de qui ou de quoi il s’agissait. Sans doute un clodo. Il y régnait une odeur étrange, mélange d’effluves de cuisine, de renfermé et d’odeurs animales indéfinissables.

Faire l’amour avec SK était un combat qui laissait les lutteurs hors d’haleine et donnait à son appartement l’impression d’avoir été cambriolé. Meubles renversés ou déplacés, vêtements éparpillés, traces de lutte à même le sol donnaient à cet endroit une allure surréaliste lorsque je la quittai.

Outre le déchaînement physique, ces rencontres me laissaient moralement épuisé. SK était une fille émotive, exigeante dans ses sentiments et tourmentée. Elle vivait dans un monde de violence familiale et conjugale dans lequel je me retrouvais plongé par ses récits ; Chris, son copain, avait été condamné avec sursis pour l’avoir tabassée à plusieurs reprises et elle ne comptait plus les coups ou brûlures de cigarettes qu’il lui infligeait à chacun de ses coups de colère. Quand je lui demandais pour quelle raison elle restait avec lui, elle me répondait des choses auxquelles je ne pouvais croire. Des histoires d’attraction irrépressible, d’animalité, d’attirance physique qui l’amenaient à vivre avec lui et pas un autre. Ecoutant sans pouvoir agir, je sentais en moi monter une colère sourde mêlée de dégoût.

Au fil des semaines, SK s’affirmait comme une fille totalement imprévisible. Capable d’appeler 10 fois dans une même nuit où elle sortait avec des amies aussi déjantées qu’elle. J’en étais arrivé à éteindre mon téléphone chaque soir et je découvrais des messages invraisemblables le lendemain matin (hurlements, musiques de boîte de nuit, messages érotiques…). Elle pouvait aussi bien ne donner aucun signe de vie pendant plusieurs jours. Plusieurs fois j’ai craint pour sa vie, mais à chaque fois, un message rassurant arrivait. Plus le temps passait, plus notre relation devenait difficile. Les rendez-vous manqués, les promesses non tenues, la recherche permanente du danger qu’elle manifestait devenaient pour moi insupportables. Je me décidai à lui en parler.

Un jour de juin, dans cette douceur du matin de la fin du printemps, je montais chez elle en prenant les précautions d’usage. J’avais appelé cinq minutes avant de venir, j’étais prêt à faire demi-tour au cas où son mec serait dans les parages. J’affrontais l’obscurité du couloir et pénétrai dans l’appartement.

Je la trouvai assise par terre, le visage ravagé par les larmes.
- Ca va pas fort, on dirait, lui dis-je, l’ayant déjà vu pleurer pour des tas d’autres raisons
- Il faut qu’on parle H. me répondit-elle en sanglotant
- Ca tombe bien, moi aussi j’aimerais qu’on se parle. Vas-y, commence.
- Désolée, mais je crois qu’il vaut mieux que l’on ne se voie plus. Chris se doute de quelque chose, il est capable de te tuer s’il sait que c’est toi.
- Je comprends, mais j’ai l’impression qu’il n’y a pas que ça…
- Non, il n’y a pas que ça. On peut pas continuer comme ça, j’ai l’impression qu’il n’y a plus de magie entre nous…
- De magie ?
- Oui, de magie, de feu. Je crois qu’il faut qu’on arrête. Désolée, même s’il y a des choses que ne t’ai pas dites et que tu ne peux pas comprendre.
- Bien, puisqu’on en est à se dire des choses comme ça, c’est vrai que je trouve que cela devient de plus en plus compliqué. Moi non plus je ne vais pas rentrer dans les détails. Ca devient ingérable. Tu as sans doute raison, il vaut mieux qu’on arrête.

Je l’embrassais une dernière fois et partais. Assis au volant de ma voiture, je restai un moment avant de démarrer. Les yeux fermés, j’inspirai profondément. Je retenais vainement quelques larmes, mais à y réfléchir, c’est elle qui avait raison, c’était mieux comme ça.

Elle reprit contact six mois plus tard. Elle partait s’installer dans une autre grande ville et me proposait de passer me voir le lendemain. J’acceptai.

(à suivre...)
le lac de LR -> la Cépière = le rendez-vous des exhibs et des couples?

Vraiment plus de marginaux qu'ailleurs à Toulouse.
Elle se shootait aux drogues dures en plus, non?
Joli remake de l'affaire Allègre, maintenant tu ne t'appelles plus Hannibal mais "Bad Lieutenant" ;)
Zorro a écrit :Vraiment plus de marginaux qu'ailleurs à Toulouse
Oui, aussi loin que j'aie pu le vérifier...
Zorro a écrit :Elle se shootait aux drogues dures en plus, non?
Juste alcool-chichon, mais en prise quotidienne. Hélas.
Arsène Lupin a écrit :C'est un événement-clé de ta vie, une KEYLIFE dirait aRise.
Je suis sûr que c'est ce type d'événement qui t'a amené à croiser FTS.
C'est le genre d'histoire dont on se souvient les moindres détails. La suite arrive...

H.
Elle ne vint pas au rendez-vous qu’elle avait elle-même fixé. Je n’étais ni surpris, ni déçu. Je ne la rappelai pas.

Les mois qui avaient suivi la rupture s’étaient avérés très utiles. J’en avais profité pour faire le bilan de cette relation, mais aussi de me poser des questions fondamentales sur la vie que je menais. Grâce à elle, j’avais goûté à quelque chose de très fort. Je ne voyais plus de raison valable de continuer à m’en priver. J’avais également réussi à segmenter suffisamment les diverses facettes de mon emploi du temps pour aborder l’avenir sereinement. J’étais sorti de mon abri, et le monde s’ouvrait devant moi.

Elle me rappela quelques temps plus tard. Elle était partie s’installer à Lyon et avait ressenti une soudaine envie de me parler ; je l’écoutais avec attention me raconter ses galères. Chris était maintenant en prison pour avoir balancé un autre gars dans le canal un soir de cuite. Elle se sentait un peu plus en sécurité. Elle avait rencontré quelqu’un d’autre, quelqu’un de bien et elle pensait qu’elle ferait sa vie avec lui.

Elle m’a appelé trois ou quatre fois cette année là. Je suivais à distance le chemin chaotique de son existence : jobs minables, amours multiples et sans lendemain, plans foireux…Elle me questionnait sans cesse sur mes relations, questions auxquelles je répondais de manière floue, quand je répondais.

Cette période fut pour moi celle de l’apprentissage. Je me découvrais une capacité de persuasion que dans mes rêves les plus fous je n’avais jamais imaginée. Je découvrais peu à peu, parfois à mes dépens, les règles de la séduction, mais aussi la règle impitoyable du « je t’aime, je ne t’aime plus ». J’avais moi aussi vécu de bons et de mauvais plans. J’étais tombé amoureux d’une infirmière qui m’avait amené en plusieurs semaines au bord de la folie et je ne pouvais évoquer son nom où son image sans ressentir ma gorge se serrer. Seul l’instinct de survie avait pu me sortir de cette affaire et m’avait empêché de basculer dans le néant.

Plus de trois ans venaient de s’écouler. Plus de nouvelle de SK jusqu’au jour où je reçus ce message : « Salut H. C’est SK, je viens passer deux semaines à Toulouse, j’aimerais bien qu’on se voie. A bientôt. Bye. ».

Je l’appelai deux jours plus tard.
- Salut Sandy. Ca va ?
- Oui et toi ?
- Bien, bien. Tu passes à Toulouse bientôt ?
- Dans deux semaines, je reste deux semaines avant de remonter sur Lyon. Je loge chez ma mère. J’ai des tas de choses à te raconter. Ce serait sympa si on pouvait aller manger ensemble. Ca te dit.
- Pourquoi pas ? Rappelle-moi quand tu arrives.

Deux semaines plus tard, elle me rappelait et on convenait que je passerai la chercher deux jours plus tard pour une soirée restau.

Elle m’attendait en bas de chez sa mère. Elle n’avait pas beaucoup changé, le même visage, le même regard, peut-être une silhouette un peu arrondie. Habillée d’une manière moins extravagante qu’auparavant, mais pas encore vraiment la classe. Je le lui faisais remarquer.
- Tu sais qu’on sort ce soir ?lui dis-je, l’air sérieux.
- Oui, on va au restau.
- Va falloir que je décommande celui que j’avais réservé, sinon on va se faire jeter. Ou plus exactement, TU vas te faire jeter.

- Quoi, je suis pas belle comme ça ?
- Si, surtout tes baskets. C’est ceux de ta mère ?
- Rhaaa, t’es salaud, ils sont super mes baskets.
- Je les trouve, disons, étranges. La couleur je pense, ou la forme plutôt. Non en fait je me fous de toi. Ils sont immondes tes baskets, je sais pas comment tu peux porter des trucs pareils. Mais bon, je te pardonne. C’est peut-être tes plus jolis…

Je me garai en centre-ville. On se mettait en quête d’un restau car je n’avais en fait rien réservé. On finissait par trouver une espèce de cave au fond d’une ruelle. La salle se trouvait en sous-sol. Une espèce de voûte en briques rouge constituait la salle principale.

Le serveur nous installa. La cave était fraîche et contrastait avec la chaleur de l’été. On tomba d’accord pour un menu léger. Nous étions face à face, assez prés pour se parler sans élever la voix.

Je lançai la conversation.
- Alors, dis-je en levant mon verre, on fête quoi ce soir ?
Elle leva son verre et heurta doucement le mien.
- Voyons. On peut boire à notre santé, au fait de se retrouver ?
- Ou à notre première sortie ensemble au resto ?
- D’ac. A notre première sortie.

Très tôt je pris conscience qu’elle n’était pas venue seulement pour le restaurant et je la soupçonnais de vouloir me séduire. Ses gestes, sa manière de me regarder, les mouvements de ses mains parlaient plus que ses mots. Elle passait sans cesse sa main dans ses cheveux, inclinait la tête sur son épaule. Elle voulait que l’on reparle de notre liaison. Elle commença ainsi.
- Quand je repense à ce qu’on a vécu ensemble, ça me laisse de super souvenirs.
- Mmmm, répondis-je, moi je n’en ai pas que des bons, mais avec le temps, on ne garde que le meilleur, c’est humain.
- Tu te souviens quand on s’était retrouvé entourés par les flics dans ta voiture ? Quand j’y repense, je suis sciée…
- Un souvenir merveilleux en effet dis-je d’un ton glacial.

C’était un soir où j’étais passé la chercher en voiture, nous nous étions arrêtés à proximité des pistes de l’aéroport. La nuit, le décollage des avions est un spectacle étonnant. Mais pendant le plan Vigipirate, une voiture garée en bout de piste attire rapidement l’attention. Nous nous étions retrouvés quelques minutes plus tard entourés d’une escouade de militaires et de policiers en armes. Avec à la clé fouille du véhicule, contrôle d’identité…Notre air complètement effaré avait dû nous éviter de passer la nuit au poste.

Elle reprit. Sa voix était devenue plus grave.
- Dis-moi H., depuis qu’on s’est quittés, tu as rencontré beaucoup d’autres femmes ?
Je m’attendais à cette question.
- oui, j’ai même arrêté de compter, répondis-je avec un sourire narquois.
- Vraiment ? Et parmi elles, qu’est-ce que je représente ?
- Tu as été une sorte de catalyseur, un facteur déclenchant.
- Et physiquement, comment tu me situes par rapport aux autres ?

Je pris un air d’intense réflexion, levai les yeux au ciel, le menton en appui sur ma main gauche. Je répondis après quelques instants.
- Tu te classes dans les cinquante premières.
- Salaud !
- Mais t’as un bonus à cause des baskets.
- T’es vraiment un enfoiré. Moi je trouve que j’ai juste un peu grossi. Tu trouves pas ?

Je repris mon air réfléchi.
- En fait, quand je t’ai vu tout à l’heure, je me suis demandé si tu n’étais pas enceinte, mais j’ai trouvé que ce n’était pas très élégant de te poser la question. Naaaan, je plaisante. Je peux me moquer de ta façon de t’habiller, mais pas de ton physique. Si tu as pris du poids, je suppose que ce n’est pas le résultat d’une volonté farouche de grossir.
- C’est vrai, j’ai pris trois kilos. Mais je vais me mettre au sport. Et toi, dis-moi, quels souvenirs tu gardes de notre relation ?

Je répondais évasivement. Je voyais bien dans quel jeu elle voulait m’amener, mais je n’avais pas encore décidé d’y aller ou pas.

Le repas et la soirée avançaient doucement. Elle s’occupait plus de son verre que de son assiette et peu à peu, le vin épaississait sa voix. Nous en étions encore au chapitre des souvenirs et peu à peu je me sentais glisser dans le piège de l’attraction mutuelle. Il émanait de cette scène quelque chose de logique, de naturel et d’inéluctable. J’avais beau me remémorer les pires moments passés avec elle, me détacher de la situation pour en constater son caractère absurde, me mettre toutes mes contradictions devant les yeux, ses cheveux bruns, son grand sourire et ses yeux gris étaient en train de me faire chavirer. Je résistai un moment avant de céder. Je lui donnerai cette nuit et rien de plus.
- Si il y a une chose que j’ai gardée comme souvenir, lui dis-je, c’est la texture de ta peau.
- Ah bon, répondit-elle, curieuse.
- Oui, la sensation n’est pas la même partout, il y a des zones très douces et d’autres ou le grain de peau est très particulier. La sensation de chaleur est différente aussi. Tu en as conscience ?
- Oui, mais toi, tu en penses quoi ?
- Je pense que finalement, je dois connaître ton corps mieux que tu ne le connais toi-même.
- Ca me fait drôle quand tu me dis ça… dit-elle le regard perdu à l’infini. Y’a quelqu’un qui t’attend chez toi ?
- Non, à part mes chats.
- Tu m’invites à boire un verre ?
- Tu crois pas que tu as assez bu ? répondis-je en souriant.
- Si tu veux, on boira pas. Je voudrais juste qu’on passe un moment ensemble.

Elle mentait encore. On but beaucoup et le moment dura toute la nuit, sous le regard incrédule des chats. Je la ramenai le lendemain matin au pied de l’immeuble de sa mère. Les seules traces de son passage que ne parvint pas à effacer immédiatement furent une migraine d’anthologie et la trace d’une morsure à l’épaule.
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