Chapitre II
Bien réagir à un coup ne voulant pas dire qu’on ne l’a pas senti passer, j’étais quand même un peu agacé par cette effrontée. Primo, parce que les célibataires idiotes à la Bridget Jones, avec leurs lectures de supermarché et leurs sorties pseudo culturelles au musée, j’en mange sans sourciller 4 au petit déjeuner. Secundo, parce que la simple idée de réaliser qu’on puisse passer une vie entière au premier degré sans jamais rien entendre à la finesse me donne des envies de défenestration. Comme Ali sur le ring quand sa mâchoire fût brisée au premier round, je retournai au combat. Comme Ali toujours, j’allais perdre dix rounds plus tard, pour une fille qui ne me plaisait même pas, qui n’était même pas mon genre.
- Tu sais quoi ?
- On va rembobiner la bande, et on va tout recommencer depuis le début
- …
- (Je m’éloigne de quelques pas, disparais dans la foule puis réapparaît avec un sourire plus large que le visage) Bonjour ! Moi c’est Spike. Ca va ?
- Bonjour, moi c’est Juliette. Décrispation annonceuse de bonne nouvelle
S’en suivit la seule chose qui était possible, c'est-à-dire un ramassis de banalités éhontées, que j’agrémentais - comme un cuisinier sa sauce – d’escapades (« attends je reviens ») pour aller faire du social proof. Là encore, bien mal m’en a valu, je me suis fait attraper par une folle saoule remplie qui débordait de champagne. Après les quelques minutes règlementaires, a résonné dans l’appartement cette conversation surréaliste, prononcée sur le ton rocailleux des saoulards :
- Spike, t’es canon, vraiment, t’es trop canon, mais alors, qu’est-ce que c’est que ce pantalon ?
- ?
- Oui non je veux dire regarde - (je remets les mots dans le bon sens pour qu’on comprenne, ce qui n’était pas son cas) – tu es beau gosse, tu peux avoir toutes les filles, et j’adore ta veste, mais qu’est ce c’est que ce pantalon ? (Pour information, j’avais mon pantalon noir légèrement peacocké, dont j’avais mis la photo dans la rubrique style sous référence du FR « à l’ombre des jeunes filles en fleur ») Tu te crois malin avec ça ? C’est du gâchis, ça te ridiculise, ça te … OUI C’EST CA, RETOURNE VOIR JULIETTE !
A ce stade vous aurez compris que cette fille n’était pas belle, autrement je l’aurais kissclosée au milieu de sa deuxième phrase. De toutes façons les belles ne disent jamais ça. Elles ne disent même généralement jamais rien. Juliette n’était donc pas belle, puisqu’elle parlait. Certes elle parlait peu. Et, comme disait Jules Renard à propose de quelqu’un : il parlait très peu mais on voyait qu’il pensait des bêtises.
- Dis-moi, ta copine elle est toujours comme ça ?
- Ce n’est pas ma copine. Par contre c’est bien ma copine qui l’a invitée. Apparemment elle n’est pas prête de le refaire.
- Oui, ça vaut mieux comme ça. Bon, vous faites quoi après ?
- Ben on sait pas, on va peut-être rentrer
- Je vais faire un saut au Cab, vous me rejoignez là-bas ?
- Tu rejoins des potes là bas
- Non je vais sarger (hé non je n’ai pas dit ça, j’ai tout simplement répondu : « oui ». C’était faux.). Donne moi ton numéro.
Plus tard, dans la boite, après quelques openers uniquement destinés à entretenir le mojo, je sms-ais Juliette, sans toutefois être persuadé de ne pas m’être fait refiler les chiffres du loto en guise de numéro. Demi-miracle (tous les miracles semblent réduits de moitié dans la seconde qui suit leur réalisation), elle répondit.
Juliette a écrit :
ok on se retrouve là-bas
Je ne vis pas le temps passer et une fraction de seconde plus tard elles étaient là, toutes les 3, à négocier leur entrée. Je ressortis les faire passer gratuitement en doublant tout le monde, ce qui ne me valût bien sûr pas un merci, on est Parisienne ou on ne l’est pas. A l’intérieur, juste en face de l’insupportable vieille peau du vestiaire (quand les connasses du vestiaire comprendront-elles qu’elles valent moins que rien) je tombai par un hasard assez prodigieux sur mon numclose de l’après-midi même, une black fofolle de Châtelet qui m’avait quasiment opené devant le centre pompidou. Elle commençait à attirer ma main vers ses hanches en sueur sous sa robe à fleurs, je fuyais ; tout en restant à distance pour faire du relationship.
- Les filles, je vous présente X, une chanteuse qui a flashé sur moi dans la rue tout à l’heure et qui m’a poursuivi jusqu’ici
- …
Après avoir invité une fille en boite avec ses copines, nul besoin d’être PUA pour deviner le plan : DHC (Demonstration of a Higher Class) > Isolation > XClose. Nous en étions à la phase 2.
- Viens, on va coin plus calme
- Hein ?
- Viens, on va coin plus calme
- Quoi ?
- VIENS, ON VA DANS UN ENDROIT PLUS CALME !
A l’époque je venais de regarder pour la première fois la vidéo de Mystery qui explique devant un paperboard et sous un faux-plafond en placoplâtre comment dégainer le coup du « mords-moi, j’adore ça ». Ca m’avait l’air drôle, inoffensif, pas difficile, j’ai essayé (et il n’y avait rien de mieux à se mettre sous la dent ce soir-là).
- Quand j’avais des cheveux j’aimais bien me passer la main dedans, comme tu fais en ce moment
- (hi hi)
- Tu sais ce qui est génial ? C’est de soulever les cheveux d’une fille et de lui mordre le cou, là où la peau est fine et blanche, là où il ne voit pas le jour
- (euh) (vous aurez noté qu’elle est peu bavarde)
- Mords-moi
- (Elle sourit comme sourient les gens surpris qui ne savent pas quoi faire)
- Mords-moi. Mais pas trop fort hein ! Je te connais, tu vas me mordre jusqu’au sang
Elle s’exécuta, et je dois avouer que c’était très bon. Merci Mystery, pour la peine je te fais un peu de pub dans mon FR. Le froid des dents, le chaud de la langue qui se retient encore de vous toucher le cou, l’odeur entêtante de ses cheveux, un bien beau moment. Quand je relevai la tête je vis ma chanteuse numclosée de l’après-midi qui passait devant moi avec l’air courroucée de celle qu’on ne prend pas dans ses bras. « Laisse-moi te montrer comment on mord ». Je lui soulevai les cheveux, constatai qu’ils étaient lourds et me donnaient des envies de sexe. En la mordant j’eus l’impression d’être un peu soumis, je ne prolongeai pas longtemps. « Remords-moi comme ça ». Elle me remordit, plus délicatement, sensuellement, avec un baiser sur les lèvres. Soudain, alors que je réfléchissais (la plénitude physique libère l’esprit, et, l’esprit libre étant enclin aux choses sérieuses, j’étais presque maussade), je me rendis compte qu’elle avait disparu quand ma poche vibra.
Désolée d’être partie aussi vite. Bonne nuit. Juliette.
N’ayant jamais cherché, je n’ai jamais compris ce qui s’était passé ce soir-là.
Pierre Louÿs, qui avait bien raison, a écrit :
Il y a deux types de femmes à éviter : celles qui vous aiment, et celles qui ne vous aiment pas. Entre les deux, des millions d’opportunités dont l’homme ne sait pas profiter.
Je remontai par l’escalier de sortie qui, symbole s’il en est, est bien moins doré et bien plus piteux que celui de l’entrée. Les flyers vantaient des soirées toutes différentes qui se ressemblaient toutes. Dehors des petits groupes discutaient, debout, à quelques mètres de la porte, sans manifester aucune envie d’entrée. Je me dis qu’ils ressemblaient à ces amateurs de prostituées qui arpentent les rues dans la nuit sans jamais en accoster une. L’odeur et les couleurs leur suffisent. Après tout les boites de nuit sont des prostituées de grande capacité : l’orgasme est payant, codifié, non garanti, à la fois toujours différent mais toujours un peu le même, et on en sort avec une vague nausée.
Spike (Sometimes, Don’t be spike)
PS : figure dans ce FR le titre (entier) d’un des livres de Montherlant. Un cadeau à celui qui le trouve.