Débat très intéressant
Je pourrais aussi en parler durant des heures, je vais me contenter de revenir sur un point soulevé par FK relatif aux médias de masse, mettant les gens sous anesthésie mentale.
A vrai dire, ça a toujours existé : quand on y pense, la Rome antique de la fin de la république et de l'empire, c'était déjà des "mass media", la technologie en moins, troquée ici par les pains et les jeux, ce qui est symptomatique d'une transformation de la société d'alors.
[attention, je ne suis pas spécialiste de la Rome ancienne, je vais probablement dire des imprécisions, voire de la merde ci-dessous pour certains points]
Si à Rome le statut de citoyen donnait toute une tripotée de droits (et devoirs) politiques et militaires, tous les citoyens n'étaient pas égaux : les patriciens, descendants des vieilles lignées, qui de fait ont longtemps trusté les positions les plus importantes, genre consul et tuti quanti. Et pour asseoir leurs pouvoirs, ils payaient à la plèbe les combats du cirque, organisaient des fêtes publiques, offraient le pain, organisaient des représentations théâtrales, n'oubliant pas de rappeler qui est le bienfaiteur, et se constituant ainsi une clientèle en distillant aussi son discours.
Ceci est lié à un autre phénomène : la transformation de la conception de la citoyenneté romaine. A la base, le citoyen romain est lié à sa terre, que ce soit un lopin ou alors une grosse exploitation; part en guerre lorsque c'est nécessaire; et revient exploiter sa terre pépouse une fois la guerre finie. Soucis sur la fin de la république : à force de faire la guerre h24 y'a plus grand monde pour travailler la terre correctement, et pas mal de parcelles de petits citoyens ayant enchaîné les campagnes se retrouvent en friches, avec des requins (patriciens ou non) qui se proposent de racheter ces parcelles à bon prix pour agrandir leur propre exploitation.
Ainsi émerge une classe de citoyens sans terres, coupés de ce qui fait l'identité du citoyen romain, ce sont eux alors qui deviennent les clients des grandes familles aristocrates.
Donc en quelque sorte, les grandes mutations sociales qui déstabilisent les gens et les prédisposent à devenir des légumes passif, ce n'est pas propre à notre époque, je pense. En revanche, via la technique, technologie, ce qui est neuf maintenant, c'est que ce phénomène nous suit même dans l'intimité de notre domicile, avec ordinateurs, smartphones et consorts, nous connaissant dans notre intimité, vu tout ce qu'on consent à partager niveau info; là où l'aristocratie romaine organisait des événements publics.
Et notre société reste, je pense, pas mal comparable à la société romaine sur le point de la citoyenneté à deux vitesses : certes si n'importe qui pourrait devenir premier ministre ou président, dans les faits, si on a fait les bons lycées parisiens les bonnes prépas et les bonnes écoles, que papa et maman sont de la haute et qu'on a un carnet d'adresses bien fourni, c'est bien plus facile que lorsqu'on vient d'une famille de petits agriculteurs de la Creuse.
Et si on regarde l'aspect médiatique, force est de constater que les médias sont en majorité souvent aux mains de quelques groupes et et familles, ces mêmes groupes et familles ayan des doigts dans d'autres secteurs de l'économie.
Et niveau transformation de la société, on est face à de gros bouleversements avec la plateformisation de l'économie, la flexibilité qui devient un impératif et enfin une concentration des richesses chez les plus riches qui tendrait à s'accentuer. Et les transformations majeures de ce genre vont, je pense, de paire avec une certaine apathie morale/perte de vitalité. La seule différence, c'est que maintenant la subsistance minimale est assurée par l'État via la sécu, là où les loisirs demeurent souvent aux mains d'intérêts privés.
En vrai, je pense qu'entre les Romains et nous, on traverse le même genre de crises, à la seule différence des technologies employées.
Tout ça mène tôt ou tard à des crises démocratiques où on se laisse tenter par des hommes providentiels au lieu de se réapproprier le processus/les institutions.
Et au cas où, mon but n'est pas de jouer les gentils contre les méchants, ce sont surtout ici des phénomènes systémiques dont on n'a pas forcément conscience quel que soit le côté de la barrière où on se trouve
