Un bon prof (de langues), c'est quoi?

Note : 1

le 19.04.2013 par Owen

32 réponses / Dernière par Owen le 16.09.2013, 21h17

Le taf, on y passe 8h par jour minimum, et c'est loin d'être facile tous les jours. Ce forum est là pour échanger autour de tous les sujets en lien avec votre vie professionnelle.
Edit: posté à la va vite, enrichi à l'arrache...
hushpuppy a écrit :Mais si un cour donné dans une atmosphère "glaciale" n'est pas forcément mauvais, un court qui amène à la participation de chacun est forcément mieux de mon point de vue.
Tout à fait, et c'est beaucoup plus intéressant que de traiter les français de branleurs, j'en conviens :mrgreen:

C'est là qu'on retombe sur les stratégies d'enseignement et de gestion du groupe.

Comme Kero l'a relevé, c'est transversal à tout enseignement, et c'est donc en marge de la didactique des langues vivantes. Et donc la question que j'ai envie de poser à Owen: est-ce qu'on parle de pédagogie et de gestion de groupe dans ta formation?

***

Attention à la différence entre les publics. Un groupe de lycéens c'est un groupe d'adolescents, un groupe d'étudiants c'est un groupe d'adultes. ça ne se gère pas de la même façon.

C'est plus facile avec des adultes. Avec des adolescents il y a les questions générales du respect mutuel, de la crédibilité de l'enseignant et de la discipline qui sont à gérer.

On retrouve les thématiques bien connues ici de body langage et de leadership.

Cependant, face à un groupe d'adolescents, il convient de s'organiser pour faire participer les élèves. Et là il ne s'agit pas de leur montrer qui est le bigboss, ça ne suffit pas :wink:

Les mettre à l'aise pour prendre la parole devant leurs camarades, éviter la cacophonie, etc... C'est une petite cuisine difficile mais intéressante.

Dans ce contexte, les ambiances glaciales sont soit la conséquence de choix pédagogiques du professeur, qui a pris des options académiques, soit la conséquence d'un échec dans la gestion de groupe. En gros personne ne participe, mais au moins il n'y a pas de bordel. Un demi-échec...

De ce que j'ai vu, durant les premiers cours on gagne à consacrer un peu de temps à l'expression orale, se tenir droit, parler fièrement, etc... Tout ça est un peu gadget mais permet de décomplexer les élèves.

On a tous connu des professeurs "autistes", qui étaient seuls au monde, et voulaient juste qu'on leur laisse dérouler leur câble sans les déranger. Ce n'est pas bon, ou encore disons que c'est le strict minimum. Pour créer une dynamique de groupe, il faut s'occuper du groupe. A tel point qu'en sport il y a des situations, notamment à l’échauffement, qui sont plus fait pour souder le groupe que pour développer telle ou telle aptitude chez les élèves.

La gestion du groupe peut être vue comme une corvée, et même sous cet angle négatif, on sait bien que ça se passe toujours mieux quand on gère pleinement la corvée plutôt que de l'ignorer. En situation, la gestion du groupe prend du temps, de l'énergie, personnellement ça me bouffe une concentration énorme car je dois toujours avoir un oeil sur tout le monde, et ça me pompe mon énergie.

Mais quand je suis en forme j'arrive à me comporter correctement, notamment avec un discours clair et agréable, et être "avec le groupe"

ça ne vous rappelle rien? Hé oui, c'est comme avec une fille. Si on est comme un autiste, ça ne marche pas. Si on est juste à la regarder et qu'on s'oublie, ça ne marche pas non-plus.

La bonne attitude, c'est être conscient de soi et conscient de l'autre (ici le groupe)

Je précise à toutes fins utiles que ce n'est pas une élucubration fumeuse de ma part. En formation, nos profs nous ont bassiné pendant les cours collectifs et même les cours particuliers. Combien de fois nous nous sommes vus reprocher: "tu n'est pas avec ton groupe. Tu n'es pas avec ton élève"

Même en cours particulier, même face à face avec un seul élève, on arrive encore à ne pas faire attention à lui! C'est à se les prendre et à se les mordre !!! Et comme le sport requiert une interaction de tous les instants, je crois que c'était plus facile pour moi et mes camarades d'avoir conscience de cet enjeu, c'est pourquoi j'en parle ici.

Être à l'écoute du groupe, je ne sais pas comment ça se passe chez les professeurs...

J'imagine que les maîtres des écoles sont formés à ce sujet, car plus le public est jeune, plus c'est important. Après, pour les enseignants en lycée et à l'université, je ne sais pas comment ça se passe et comment ils sont formés...

***

Je trouve que pour se forger une expérience sur le terrain, comparer les groupes d'adolescents et les groupes d'adultes, c'est très enrichissant. De mon point de vue, avec les adultes c'est facile d'enseigner, et ça permet donc de tester des choses, de se lâcher. Ensuite, on essaye de transposer les choses avec le public plus jeune, et on regarde comment ça fonctionne, y compris comment ça plante, car des plantages il y en a.

Je dis ça pour te décomplexer Owen: il y a des choses que tu vas apprendre en situation, et en évaluant régulièrement la portée de ton action tu vas vite progresser.

Ta personnalité, le corpus de ton enseignement et notamment ce que tu apprends actuellement dans ta formation, tout ça est un socle sur lequel tu vas construire tes stratégies d'enseignement.
Terrigan a écrit : Bon prof numéro 1: à l'ancienne

On est ici dans la transmission du savoir académique. Le prof enseigne, les élèves apprennent. Le prof déroule son cours, les élèves écoutent et prennent des notes.
J'ai quand même l'impression que ton bon prof numéro 1 ferait aussi bien d'écrire des livres ou d'enregistrer des vidéos, puisqu'il ne fait que présenter son savoir de la meilleure manière possible. Quand je me déplace pour écouter quelqu'un, ce que j'attends de plus par rapport à une vidéo, c'est justement un contact avec le groupe, et pas un monologue.

Concernant le fait qu'on préfère les artistes aux profs à l'ancienne, je ne pense pas que ça relève d'une dégradation de la société ou d'un nouveau manque de concentration, c'est plutôt qu'on est plus nombreux à faire des études longues. Avant, soit tu gérais les profs à l'ancienne et tu faisais des études, soit ils te faisaient chier, tu étais "nul en cours" et tu arrêtais. Aujourd'hui, on a plus tendance à essayer de motiver les gens à continuer leurs études, donc à les motiver, donc à trouver de nouvelles approches pédagogiques. Ça ne veut pas dire que la méthode "à l'ancienne" était bonne pour enseigner. Elle était surtout bonne pour sélectionner les bons étudiants capables d'apprendre seuls.
Terrigan a écrit : J'imagine que les maîtres des écoles sont formés à ce sujet, car plus le public est jeune, plus c'est important. Après, pour les enseignants en lycée et à l'université, je ne sais pas comment ça se passe et comment ils sont formés...
Les enseignants à l'université ne sont pas formés à enseigner (sauf peut-être ceux qui ont l'Agreg). Il s'agit de chercheurs à qui on colle une charge d'enseignement sans préparation. Il y a des espèces de stages obligatoires quand on est en doctorat, mais c'est quelques jours par an, et ça peut aller de "gérer un groupe" à "comment faire un CV" ou "comment monter une entreprise", selon les choix du doctorant.

Pour les profs des écoles, collèges et lycée, du temps des IUFM la formation avait l'air très théorique, mais au moins elle existait. Puis le gouvernement a supprimé une bonne partie de cette formation (dont toute la partie pratique: les stages). Je ne sais pas si le gouvernement de Hollande est revenu sur ces réformes depuis.

Le mot d'ordre est clair: les profs, faut pas que ça coûte cher.
Constant99 a écrit :Ça ne veut pas dire que la méthode "à l'ancienne" était bonne pour enseigner. Elle était surtout bonne pour sélectionner les bons étudiants capables d'apprendre seuls.
Oui et non:

* Oui:

La vielle méthode transmissive est vielle. Basique, Rudimentaire. C'est le degré zéro de la pédagogie.

Ce n'est pas pour rien que les chercheurs se sont décarcassé à trouver d'autres méthodes. C'est d'ailleurs intéressants de voir que ces progrès se sont fait en phase avec l'évolution globale des sciences:

- approche behavioriste: l'ère de la biologie
Réponse au stimuli, répétition du geste, récompense pour motiver...

- approche cognitiviste: l'ère de la psychologie
Les connaissances se construisent dans l'esprit de l'apprenant. Images mentales, transformation perpétuelle de la connaissance. Encouragement de l'apprenant à faire évoluer ses connaissances

- Approche socio-constructiviste: l'ère de l'écologie et de l'informatique
Interactions entre l'apprenant et le groupe. Traitement de l'information comme aptitude à développer mais aussi comme outil pédagogique

* Non

A mon sens il y a un moment où la question de l'implication de l'apprenant, de sa motivation personnelle entre en jeu.

Les vieux modèles pédagogiques étaient brutaux, mais ils forçaient l'apprenant à aller vers le savoir. Le goût de l'effort et la motivation était indispensables.

Prendre soin de motiver l'apprenant peut avoir l'effet pervers de ne pas l'aider à développer sa propre motivation.

Optimiser la transmission du savoir de façon à ce qu'elle se fasse le plus efficacement possible avec le moins d'effort possible de la part de l'apprenant, c'est rentable, c'est un vrai progrès, mais c'est risquer de lui faire croire qu'il peut apprendre sans effort, ce qui est faux.

Je prends appui sur l'excellente remarque de Constant99 pour préciser mon idée:
Constant99 a écrit :J'ai quand même l'impression que ton bon prof numéro 1 ferait aussi bien d'écrire des livres ou d'enregistrer des vidéos, puisqu'il ne fait que présenter son savoir de la meilleure manière possible.
Tout à fait. C'est un point faible incontestable. Et donc, le livre ou la vidéo, il y a bien un moment où il va falloir se mettre dessus et les essorer. Et on fait ça avec quoi sinon nos capacités de concentration? Et on les développe comment ces capacités? C'est là qu'il y a un risque de dégénérescence dans la population, ou de développement incomplet chez chaque jeune personne.

A force de dire que le par cœur c'est mal, et qu'il ne faut surtout pas espérer que des lycéens lisent en entier des pavés comme "à la recherche du temps perdu" ou "les chouans", c'est le développement des capacités de concentration qui est en danger.

De mon souvenir, le fait que dès la quatrième j'ai eu certains professeurs qui prenaient un malin plaisir à parler vite et non-stop pendant une heure, nous forçant ainsi à nous arracher pour tout prendre en notes, puis à ingurgiter toute cette masse pour réviser les interrogations écrites, c'était une formation qui m'a été très précieuse, et qui m'a permis de survivre à l'université.

Mais c'est presque un débat "tarte à la crème", j'en conviens.

Je crois que le gouvernement hollande essaie de protéger la formation des enseignants.

On parle parallèlement de généraliser le support informatique en cours. Des gens comme Alain Finkielkraut sont assez inquiets par rapport à ça.

Etc, etc, etc...

* Et l'équilibre, c'est du poulet?

Je pense qu'un enseignement équilibré fait circuler l'effort dans les deux sens:
- Des moments agréables, peut-être des moments de pose. Je présente ça comme un effort de la part de l'enseignant pour que son cours soit "digeste". C'est d'autant plus un effort que pour boucler le programme de l'année, ça complique sérieusement la tâche.
- Des moments où l'apprenant va être invité (forcé?) à se donner à fond. A l'ancienne, à la dure.

Au bout du bout, l'idée toute simple que l'effort, physique ou intellectuel est une bonne chose et constitue même une source de plaisir (avec les dynamiques de réussite et de "récompense" dans l'esprit de l'apprenant) cette idée ne tombe pas du ciel et est hors de portée d'un grand nombre de personnes, ce qui est à mon sens une défaite cuisante pour la société.

C'est un gros enjeu; je me force à être un peu réactionnaire sur le sujet, car j'ai vu le résultat de stratégies d'enseignement laxistes, complaisantes.

C'est un enjeu qu'on retrouve dans chaque programme, dans chaque heure de cours, dans chaque enseignant et chaque élève. Je continue pour ma part à travailler sur le sujet car je n'ai pas encore suffisamment de savoir-faire par rapport à ce que je voudrais. Je me contente juste de pointer le problème, car je le sens mal perçu du grand public.

En tout cas ce sera un enjeu pour Owen, qui devra constamment visualiser et essayer de concrétiser un point d'équilibre, entre les aménagements à la cool de ses cours, et la transmission de connaissances la plus dense possible.
Terrigan a écrit : Les vieux modèles pédagogiques étaient brutaux, mais ils forçaient l'apprenant à aller vers le savoir. Le goût de l'effort et la motivation était indispensables.
Oui, mais j'ai l'impression que les vieux modèles pédagogiques se contentaient d'éliminer ceux qui ne venaient pas avec, au départ, le goût de l'effort et la motivation. Plutôt que de forcer les gens à aller de l'avant, j'ai l'impression qu'ils triaient ceux qui allaient naturellement de l'avant et les autres.

Je n'ai pas connu l'école des années 50, mais j'ai eu des profs magistraux, chiants et factuels, à la fac, sur des matières qui ne m'intéressaient pas spécialement à la base, mais ça ne m'a pas poussé à aller vers le savoir, ça m'a surtout poussé à trouver ma satisfaction ailleurs, et à faire le strict minimum pour valider leurs matières.

Mais c'est vrai qu'aujourd'hui j'ai du mal à me forcer à faire des trucs chiants ou à apprendre des choses qui m'ennuient. C'est peut-être lié au fait que j'ai toujours eu des alternatives intéressantes aux cours chiants, et que je n'ai jamais appris à me forcer. En même temps, j'ai du mal à croire que je me serais forcé si tout avait été chiant.
Prendre soin de motiver l'apprenant peut avoir l'effet pervers de ne pas l'aider à développer sa propre motivation.
C'est une question à part entière: comment aide-t-on quelqu'un à développer sa motivation ?

Je dois dire qu'au niveau où j'enseigne, soit les gens sont motivés, soit c'est un autre problème que je dois surmonter: la conviction de l'étudiant d'être mauvais, inculquée au lycée.
- Des moments où l'apprenant va être invité (forcé?) à se donner à fond.
Ce n'est pas opposé à l'idée d'un cours agréable et motivant. Typiquement, je pense qu'on incite beaucoup plus les gens à se donner à fond en organisant une compétition qu'en organisant un examen. Ou en faisant faire des projets, exposés, expériences, bref, des trucs qui impliquent vraiment les participants.

J'ai l'impression que tu dénonces l'idée d'un cours qui fait apprendre sans faire d'effort, alors que pour moi le prof "artiste" que tu décris ne supprime pas l'effort, il essaye juste de motiver les gens en les aidant à trouver une raison de faire cet effort.
Terrigan a écrit : De mon souvenir, le fait que dès la quatrième j'ai eu certains professeurs qui prenaient un malin plaisir à parler vite et non-stop pendant une heure, nous forçant ainsi à nous arracher pour tout prendre en notes, puis à ingurgiter toute cette masse pour réviser les interrogations écrites, c'était une formation qui m'a été très précieuse, et qui m'a permis de survivre à l'université.
C'est marrant, je crois que je fais un peu ça, mais pas dans le but que tu décris. Mes cours sont difficiles à prendre en notes, mais c'est surtout parce que je n'ai pas envie que les étudiants notent tout ce que je dis. Je veux qu'ils comprennent suffisamment pour pouvoir noter ce qui est important, et qu'ils posent des questions tant qu'ils ne peuvent pas le faire. Par ailleurs, ils ont droit au cours pendant les examens, mais ça ne sert à rien.

Ça oblige à une certaine répétition et à une bonne organisation entre cours et TD. Dans le mode traditionnel, tu as un cours, puis les TD qui se basent sur le cours. J'ai plutôt tendance à préférer faire le TD avant le cours, et appuyer le cours sur les questions qui se sont posées pendant le TD. Mais c'est rare que j'aie autant de contrôle sur l'organisation des cours. Et je n'ai pas assez de recul pour dire que ça marche, c'est juste une impression.
On parle parallèlement de généraliser le support informatique en cours.
On résiste pas mal en... informatique, justement, où on préfère souvent travailler au tableau. Dans certains cas, les serious games, comme on dit de nos jours, sont par contre très intéressants. Ça ne peut pas constituer l'ensemble de l'enseignement, mais c'est bien à la fois pour se poser des questions, et pour appliquer les théories qu'on a apprises en réponses à ces questions.
On est plutôt d'accord sur l'équilibre. Il faut faire feu de tout bois, essayer d'être intéressant, agréable, et dispenser un enseignement "solide"

Après si on met de côté l'éloquence, il y a des stratégies d'enseignement qui sont chronophages, c'est un peu ça que j'avais en tête, et ça n'a donc rien à voir avec la dichotomie chiant / pas chiant. Regarde pour les langues vivantes:

Faire 10 minutes d'échauffement - expression orale pendant les premiers cours, un peu comme dans les cours de théâtre, c'est une perte de temps. On espère un bénéfice par la suite dans la participation des élèves.

Les verbes irréguliers en anglais. On en parle? Allez on en parle!
--> Stratégie 1: je vous distribue le tableau, vous l'apprenez pour la prochaine fois, interrogation écrite, et zou, ce sera plié et on pourra passer à autre chose.
--> Deux cours dédiés à leur apprentissage. On répète à voix haute, on fait des groupes de deux avec un "examinateur" qui pose les questions, et son camarade qui essaye de répondre, c'est le bordel, ça rigole, mais sur le papier c'était tellement plus interactif que demander à chacun d'apprendre par coeur ces putains de verbes irréguliers... On peut même procéder par pallier de 5 verbes, que la classe apprend pendant 5 minutes, et après le professeur demande à voix haute, et celui qui lève la main et répond correctement gagne un bonbon. Wihuuuuuu, tout sauf s'imaginer que les élèves sont capables d'apprendre quelque chose par eux-même...

C'est de ça que je parle. je ne dis pas que c'est bénéfique d'être chiant. Faut pas abuser non-plus... :lol:

J'aurais dû le préciser plus tôt: le facteur temps est déterminant. Si on avait le temps, tout serait plus simple. Mais le temps nous manque cruellement. Il faut faire des choix. Le prof classique a fait son choix: il déroule son câble et à la fin de l'année il aura bouclé son programme. Je caricature encore, mais c'est un peu ça quand-même.

ça me tue de ne pas avoir parlé du temps. Pour moi un bon enseignant c'est celui qui rentabilise le temps. Le mauvais enseignant fait comme si il avait le temps, il n'est pas organisé, il ne gère pas son heure de cours, et/ou ne gère pas son programme annuel, et/ou ne gère pas ce que peuvent faire ses élèves en marge du cours, etc, etc...
Constant99 a écrit :Je n'ai pas connu l'école des années 50, mais j'ai eu des profs magistraux, chiants et factuels, à la fac, sur des matières qui ne m'intéressaient pas spécialement à la base, mais ça ne m'a pas poussé à aller vers le savoir, ça m'a surtout poussé à trouver ma satisfaction ailleurs, et à faire le strict minimum pour valider leurs matières.
J'ai fait la même erreur. Tant pis pour nous.

Ce que je voulais dire, c'est que face à quelque-chose de barbant et/ ou de fatigant, la réaction "ça m'soule je tire au flanc" et la réaction "Bon, allez, on s'y met et on essaye d'en tirer quelque chose" est le fruit d'un parcours personnel chez chaque individu. Nier à la source ce phénomène, ces deux réactions possibles face à l'ennui et à l'effort, c'est très dangereux pour notre société, pour l'individu, et aussi pour les enseignants, et pourquoi pas pour les parents, tiens, on n'avait pas parlé d'eux jusqu'ici :wink:

Mais vraiment la fac c'est un autre monde, dans lequel les enseignants n'ont pas à être pédagogues, ils n'ont éventuellement que leur conscience à qui rendre des comptes, c'est aux élèves de s'accrocher aux branches. Pour tout le reste, y compris le lycée, c'est autre-chose, tout devient beaucoup plus trouble... Et c'est passionnant d'ailleurs (quand on n'est pas d'humeur à râler :wink: )
Terrigan a écrit :Mais vraiment la fac c'est un autre monde, dans lequel les enseignants n'ont pas à être pédagogues, c'est aux élèves de s'accrocher aux branches.
Là, pour le coup, je ne suis pas d'accord. Tu dirais ça des classes prépa, pourquoi pas. Mais à la fac, tu te retrouves avec des étudiants livrés à eux même, bourrés de complexes et de lacunes issus du lycée, et qui ne savent pas bosser. Et des profs dont la moitié préférerait faire de la recherche, et dont 80% n'a jamais suivi la moindre formation à l'enseignement. Tu peux considérer que les étudiants sont adultes et donc capables de se débrouiller, mais en pratique c'est faux, et t'as des taux de redoublement en première année supérieurs à 50% (en sciences). Sur le long terme, t'en as qui apprennent à se débrouiller, mais un étudiant sur deux qui redouble en première année, c'est que:
- le lycée fait mal son boulot
- la fac est le refuge de ceux qui n'ont nulle part ailleurs où aller
- il y a des progrès à faire en étant pédagogue

Il y a un effort de pédagogie qui est fait, avec des cours de méthodologie, des expérimentations régulières, une tentative d'encadrement individuel de chaque étudiant (qui, je crois, a foiré totalement, parce qu'un doctorant n'est pas un conseiller en orientation). Et malgré tout, la situation reste mauvaise. Je pense qu'on est très loin de ce qu'on pourrait faire si on ne laissait pas les étudiants s'accrocher aux branches.
Constant99 a écrit :
Terrigan a écrit :Mais vraiment la fac c'est un autre monde, dans lequel les enseignants n'ont pas à être pédagogues, c'est aux élèves de s'accrocher aux branches.
Là, pour le coup, je ne suis pas d'accord. Tu dirais ça des classes prépa, pourquoi pas. Mais à la fac, tu te retrouves avec des étudiants livrés à eux même, bourrés de complexes et de lacunes issus du lycée, et qui ne savent pas bosser. Et des profs dont la moitié préférerait faire de la recherche, et dont 80% n'a jamais suivi la moindre formation à l'enseignement. Tu peux considérer que les étudiants sont adultes et donc capables de se débrouiller, mais en pratique c'est faux, et t'as des taux de redoublement en première année supérieurs à 50% (en sciences). Sur le long terme, t'en as qui apprennent à se débrouiller, mais un étudiant sur deux qui redouble en première année, c'est que:
- le lycée fait mal son boulot
- la fac est le refuge de ceux qui n'ont nulle part ailleurs où aller
- il y a des progrès à faire en étant pédagogue
En fait tu es d'accord avec mon constat mais tu trouves ça horrible.

Je parle juste d'un autre monde. Un monde où on ne tourne pas à 90% de réussite comme pour le bac, et dans lequel effectivement, il y a un moment où l'étudiant a intérêt à avoir sur lui des gadgets inutiles comme la motivation, une force de travail, le sens de l'organisation...

On peut aussi parler des ressources financières, car les étudiants ont des conditions de vie qui sont souvent déplorables.

La seule chose que j'en dis c'est que le lycée fait très bien son boulot: il ne fait plus aucune "sélection", ce dont tu te félicites, et il ne fait que reporter la question à plus tard. Or, "plus tard" ça finit toujours par arriver. Merde alors...

Je n'ai pas d'ironie sur la question car le bac comme socle d'éducation pour le plus grand nombre est un objectif respectable et important. Je ne fais que pointer le revers de la médaille, un revers quasiment inévitable, structurel. Et je dis juste qu'il y a un moment dans la vie où ça chauffe grave. Et qu'on ne prépare personne à ça avec uniquement des bonnes intentions.

Apprendre est un combat. Chopper des diplômes supérieurs aussi. Combat contre soi-même et contre les autres. Des premières années de fac qui tournent à 50% de réussite, c'est encore très très cool, mais on n'est déjà plus dans le "tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil, t'es pas un débile profond ou un branleur fini alors tiens je te donne ton diplôme".

Faire croire, consciemment ou non, à des enfants et des adolescents, qu'ils n'ont pas besoin de se battre pour apprendre, c'est un mensonge. Et ce n'est pas un service à leur rendre.

Dire à ses élèves: "faites ceci, c'est chiant et désagréable mais faites-le quand-même. Et tant pis pour les branleurs qui vont regarder le truc de loin et les chiffes molles qui vont arrêter à 20% de la mission en pleurnichant."

Leur dire des trucs de ce style, c'est important pour eux et j'ai l'impression qu'on ne leur dit pas assez souvent au collège et au lycée. Mais peut-être que je me trompe. J'espère.

C'est très inconfortable pour moi de dire ça car, en dehors d'une désagréable odeur réactionnaire qui me colle à la peau, ça dépasse chaque enseignant, moi le premier, qui ne constitue qu'une toute petite partie de l'ensemble des expériences de ceux qui croisent sa route. Mais la réalité est là.
Terrigan a écrit : La seule chose que j'en dis c'est que le lycée fait très bien son boulot: il ne fait plus aucune "sélection", ce dont tu te félicites
Je me demande où tu as vu que je me félicitais de quelque chose au sujet du lycée, sur lequel je vomis à chaque fois que j'en ai l'occasion :)

Je suis d'accord sur l'essentiel de ce que tu dis, mais pas sur le fait que la fac serait juste plus sélective. On reçoit en première année des gens qui savent calculer une dérivée mais pas raisonner sur une question. Ni apprendre, ni prendre des notes, ni gérer son temps pendant un examen. Et qui, en prime, sont souvent démotivés par rapport à certaines matières, dont les maths. En plus de ça, ils ont souvent des lacunes parce que le programme du lycée n'a pas toujours été fini, ou bien parce que nous ne sommes pas à jour par rapport à un allègement du programme. Pour compliquer un peu les choses, ils ne seront soudainement plus encadrés comme au lycée. Et pour finir, beaucoup devront bosser pour gagner leur vie.

Sans surprise, ceux qui s'en sortent sont souvent ceux qui ne cumulent pas tous ces problèmes. Maintenant, on ne peut pas cacher les autres sous le tapis du "la vie est dure, il faut lutter pour s'en sortir". Il y a des gens motivés pour réussir, qui bossent pour financer leurs études, qui luttent pour rattraper leurs lacunes... mais qui n'ont pas appris à bosser. On peut leur donner des cours de méthodologie mais le temps passé à apprendre à bosser n'est pas passé à rattraper ses lacunes. À cause des lacunes, ils galèrent pour apprendre de nouvelles choses, et se démotivent.

J'ai un peu envie de dire qu'on s'en fout que le "socle commun" du bac apprenne aux gens à calculer des intégrales, des bilans de force, des équations d'équilibre et autres choses scientifiques. Commençons par leur apprendre à bosser et à réfléchir avant de leur apprendre des équations. J'ai pas la prétention de refaire le programme, mais pour moi, quand tu sais dériver une expression compliquée, mais que tu ne sais pas raisonner sur un problème simple, c'est que quelque chose ne va pas.

Bref, on s'est pas mal éloigné du sujet, là. Pour résumer ma position sur la rigueur: je n'ai rien contre l'enseignement de la rigueur et de l'effort, mais il faut que ce soit progressif. Ça peut pas être les vacances pendant onze ans, et devenir hyper sélectif ensuite. Et je pense, mais je suis peut-être optimiste, qu'on peut maintenir un bon taux de succès au bac en apprenant aux gens à réfléchir et à apprendre.
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