Selon l'historienne Yvonne Knibiehler, l'amour de la mère pour son fils ne se révèle "particulier" qu'au cours du 19eme siècle, et c'est pourquoi Freud s'y intéresse.
On passe de la mère distante du début 18eme à la maman surprotectrice, via J.J. Rousseau, enfant sans mère, qui a idéalisé l'amour maternel.
La prétendue "relation privilégiée" entre mère et fils s'installe à cette époque parce que les mères bourgeoises (frustrées?) investissent leur fils, qui a tous les pouvoirs, pour comprendre et atteindre le monde extérieur à la famille,
le monde des hommes, plus stimulant, plus valorisant.
Freud lui-même est issu d'une telle mère.
Il décrit le lien mère/fils comme
éternel et universel ;
Ce n'est vrai qu'en partie.
Tout change selon le contexte culturel, l'environnement social.
A mesure que la société se transforme, les comportements individuels évoluent, les affects aussi.
Les sentiments familiaux ne sont pas des faits de nature, éternels et universels.
Ils sont induits par un certain fonctionnement de la famille, qui varie selon les lieux, les milieux, les moments, les cultures.
Dans les sociétés
patriarcales toute transmission passe par les hommes.
Les mères qui élèvent un fils sont honorées, vénérées.
Elles intériorisent cette préférence mère/fils ; ce lien se renforce quand ce fils est unique, ou avec l'aîné, l'héritier.
Le fils unique grandit plus vite que les autres enfants, plus vite responsabilisé ;
Mais il est souvent exclu des groupes, trop gentil ou trop capricieux .
Vu l'énorme investissement qui pèse sur lui, il veut être parfait, ça crée un mal-être ;
Il a envie de rupture d'avec ses parents, mais aime la sécurité qu'ils lui procurent ;
L'attachement privilégié perdure, car depuis la révolution féministe, la mère perçoit la vulnérabilité du garçon, son manque de modèles identificatoires ;
Même la mère la plus féministe n'ignore pas la souffrance de son fils ; la tendre maman apprend à devenir aussi une
éducatrice responsable ;
A l'enfant "désiré" le meilleur est dû, puisqu'on lui a imposé la vie.
Ce lien est loin d'être toujours idyllique :
Il arrive qu'une mère se venge sur son fils de ce que son père ou son mari lui ont fait subir ;
Certaines tourmentent l'enfant par sadisme (Poil de carotte de J. Renard, Vipère au poing de H. Bazin).
Certains sont confiés à des nourrices, envoyés en pension, etc...
Quoiqu'il en soit, la mère donne au fils
une image de la femme, soit maternelle, soit séductrice, soit éducatrice, et influence sa vision de la femme pour plus tard.
Le regard d'un homme sur les femmes est conditionné par le souvenir qu'il a de sa propre mère.
L'amour de la mère a la fonction de nourrir
la part féminine du fils.
Elle l'aide à s'ouvrir, à exprimer ses émotions.
C'est un homme capable de tendresse.
Une mère ni trop absente ni trop envahissante dégage une sécurité communicative.
Stimuler un enfant, c'est porter sur lui un regard d'amour et d'intérêt pour ce qu'il a d'unique.
Ne jamais faire à sa place ce qu'il peut faire, mais l'encourager et le soutenir dans ses efforts d'autonomie.
"Il faut savoir ne pas être mère : ne pas contrôler, ne pas intervenir, ne pas juger." (mères à perpétuité)
Les hommes de la vie d'une femme sont : son père, son mari, son fils.
L'amour mère/fils naît avant que le bébé soit là ;
* fierté de permettre la continuité de la lignée, des transmissions ;
* il est porteur du phallus qu'elle n'a pas, elle devient une femme complète ;
* c'est la réincarnation d'elle-même en homme ;
Toute femme a le fantasme que ce bébé ressemble à son papa, et qu'elle revivra des sentiments éprouvés autrefois ;
elle vit avec son fils une sorte
d'Oedipe inversé ;
Or pour le fils, l'Oedipe consiste justement à rester dans cet amour pour la mère ;
D'où la difficulté de se décoller l'un de l'autre !
Le bébé garçon renvoie ensuite à son partenaire.
Souvent la mère enceinte imagine porter un "double" de son homme :
"ce sera mon chéri petit garçon!"
La mère qui a un fils est jalouse de l'amour privilégié qu'elle lui porte et que ne lui a pas porté sa mère,
parce qu'elle était une fille !
ça réveille une douleur : une rivalité mère-fille mal vécue jusqu'à tard dans l'âge adulte souvent, et une compétition fils-fille pour avoir la même place dans le coeur de la mère.
Une femme
déçue par son conjoint aime trouver dans son fils un autre vis-à-vis masculin tout proche.
Si une mère "désire ailleurs", ça donne de l'air à chacun d'eux.
Le père doit jouer son rôle pour couper le cordon et que le fils s'identifie à lui ;
L'enfant va tuer symboliquement son père pour prendre sa place d'homme.
Il le remboursera d'une dette de vie en devenant père à son tour.
Arthur H. :
"c'était hyper-énervant que ma mère veuille me protéger parce que, quelque part, ça m'empêchait d'être libre, de grandir normalement. Il y avait toujours cette tension-là.
J'avais l'impression que je n'arriverais pas à être un mec si je ne coupais pas le cordon ; on était très fusionnels, on était un couple."
Roseline Bachelot :
"Le simple fait de t'imaginer plus tard t'aurait privé de ta liberté. Je préférais te regarder évoluer. J'ai essayé de te donner un trousseau de clés pour ta liberté."
J. Lanzmann :
"Il y avait autant d'amour que de haine, elle ne supportait pas que je ressemble à mon père, que je sois roux, etc.."
En général, le fils fugue, se révolte,
met une distance, pour pouvoir se construire, face à une mère trop protectrice, trop envahissante, trop intrusive.
Certaines mères par contre génèrent un manque par leur absence, leur pudeur affective, leur autorité. ("les parents ne sont pas là pour être aimés, mais pour éduquer").
Quel que soit le scénario, il y a une distance à partir de l'adolescence, jusqu'à ce que l'enfant soit à son tour en couple ; (couper le cordon pour être un homme) ;
Et avec l'arrivée des petits-enfants, la "belle-mère" peut se montrer une très bonne "grand-mère", et (re)trouver de la complicité avec son fils.
Certains qui ne communiquaient jamais, le font étonnamment tous les jours à partir de 35/40 ans, éprouvent de la tendresse et l'envie de protéger à leur tour cette mère "qui ne se rendait pas compte".
Benjamin Castaldi :
"A plus de quarante ans, on appelle ses parents tous les jours, bizarrement.
Beaucoup plus à 40 qu'à 25 ou 30 ans;
A 20 on veut couper le cordon, à 40 on a besoin de reconstruire."
Un grand nom pour finir :
MARIE, mère de Jésus, une mère oedipienne mais non castratrice !
à suivre : les pères et leurs filles