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Mieux vaut tard que jamais et c'est aujourd'hui que je me décide à ecrire un post sur cet excellent film qu'est Cashback

Ben Willis (Sean Biggerstaff) est un étudiant aux Beaux-Arts spécialisé dans les arts plastiques. Et plus rien ne fonctionne dans son existence depuis qu'il s'est fait plaqué par sa petite amie, Suzy. Depuis cette rupture amoureuse, il est devenu insomniaque et, pour conjurer cette tragédie, bosse de nuit au supermarché du coin. Le noctambule trompe son ennui et sa tristesse en fréquentant quatre autres personnages qui consomment à leur façon leurs heures de travail. Mais Ben a un don, et pas des moindres : il peut suspendre le temps et contemple quand tout s'arrête la beauté crue du monde ainsi que quelques demoiselles peu vêtues (si tous les supermarchés etaient fréquentés par autant de bombes, je ferais mes courses plus souvent). Parmi les jeunes gens qui errent dans le supermarché, Sharon, une caissière tout aussi discrète, touche en lui des zones très sensibles. Entre fantasme débridé et réalité morne, son parcours devient celui de tout ceux qui sont passés par les mêmes galères affectives. Au départ, Cashback est un court métrage de 18 minutes réalisé en 2003 avec trois francs six sous par un jeune réalisateur de 34 ans : Sean Ellis, et nommé à l'Oscar du meilleur court métrage en 2004. Aujourd'hui, c'est un long métrage sensible et étonnant qui adopte le rythme lymphatique de la post-adolescence.

Contrairement à ce que l'on a pu entendre partout, le réalisateur Sean Ellis ne s'est pas contenté d'allonger le court-métrage du même nom pour donner un long métrage vainement étiré. Entre les deux formats, les enjeux dramatiques se sont teintés de complexité et ont bénéficié d'une profondeur inattendue. En tout cas, il s'agit d'une bonne idée puisque le résultat est substantiel même s'il n'évite pas quelques écueils typiques des premiers films de petits malins. La fausse arrogance formelle masque une vraie détresse (on pouvait déjà voir ça dans l'adaptation des Lois de l'attraction, par Roger Avary, avec sa scène de suicide glauquissime qui venait quelque peu ternir les split-screen, accélérés et autres afféteries). Ici, on nous parle de Ben, un jeune homme partagé entre un romantisme viscéral et une désillusion lucide qui pourrait être vous et moi et dont les désirs se consument dans le vide.

Sans aller jusqu'à qualifier le film de Proustien, il a pourtant recours à une voix-off grave qui nuance les images clinquantes et l'atmosphère déconneuse. Il est en cela aidé de personnages pittoresques qui créent le contraste : les deux collègues crétins glabres au bon fond qui tuent leur temps mort en faisant des blagues et se complaisent dans une amitié fusionnelle pour masquer un manque de maturité et de confiance en eux ; le meilleur pote qui est sur tous les plans cul mais se prend des râteaux aux moindres tentatives séductrices (au choix : gifles ou verre d'eau en pleine figure



Ce qui séduit, c'est le décalage entre ces éléments comiques et la déconfiture affective de Ben. Tout ce petit monde est perçu de son point de vue neurasthénique : il n'arrive pas à se concentrer sur un livre ou à mener n'importe quelle autre activité normale sans penser à la fille avec laquelle il a passé les plus beaux jours de sa vie. C'est par exemple la peur de la solitude et un renoncement à ses rêves qui l'ont contraint à prendre ce poste ingrat dans un supermarché, lui qui possède pourtant une fibre artistique. Le film, lui-même, presque flottant, semble perdu dans la nostalgie de Ben avec une alternance régulière entre les flash-back où, enfant, il se souvient de ses premiers émois érotiques en observant une demoiselle peu farouche qui ne se doute pas qu'un enfant puisse ressentir des sentiments très forts et sa fébrilité à l'idée de découvrir le mystère féminin via des magazines Playboy planqués sous le lit des parents, et l'état actuel où il se complait dans un néant dévastateur, comme s'il avait déjà tout vécu et qu'il n'avait plus rien à vivre. C'est un peu la même question que Zach Braff posait en plus soft dans Garden State : est-ce qu'un amour peut sauver d'un marasme existentiel ? Et, par extension, est-ce qu'il est possible d'aimer encore après avoir rompu avec un ancien amour ? Réponse : oui, car le film a l'audace d'y croire.
Pour ce qui est du Game, ici point de lines ou de C&F à retenir, mais quelques reflexions sur les relations H/F intéressantes, sur le pouvoir qu'ont les artistes sur l'esprit féminin (la capture de la beauté, les voir "réellement", etc..), sur la puissance de vous afficher avec une autre femme (ce qui ne manquera pas au passage de rendre jalouse votre ex) et enfin, vous jubilerez sur les scènes d'humour so british. Comme le disent les sujets de sa Très Gracieuse Majesté, The proof is in the pudding : Louez ce film en DVD dès que vous pourrez !

cheers