L'alpha vu par Machiavel

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le 19.02.2005 par Phoenix

3 réponses / Dernière par Phoenix le 19.02.2005, 17h49

Etat d'esprit / psychologie / dev perso / vie intérieure.
Un forum pour celles et ceux qui s'intéressent au dev perso, à l'équilibre intérieur, à la psychologie. Surmonter ses blocages, ses croyances limitantes, nourrir et développer ses forces, etc.
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Machiavel a écrit un livre célèbre au XVème siècle : "Le Prince".
Je l'ai lu par curiosité, et dans le but de compléter un peu ce qui se dit sur l'alpha dominance male, je vous mets les passages traitant directement du "Prince" :


De ce qui rend les hommes, et surtout les Princes, dignes de louanges ou de blâme.

Nous avons à examiner maintenant de quelle manière un Prince doit se gouverner avec ses sujets et avec ses amis. Mais parce que d'autres ont traité cette question j'appréhende de passer pour téméraire si j'entreprends de la traiter aussi, surtout en m'éloignant, comme je le fais, des principes que les autres ont gardés. Mais comme mon dessein est d'écrire quelquechose d'utile pour qui l'entend, j'ai cru qu'il serait plus à propos de m'attacher à la réalité des choses qu'à l'imagination. (Combien de gens nous ont donné des idées et des peintures de Républiques et de Principautés dont il n'y eut, ni n'y aura jamais d'originaux). Il y a si loin de ce que l'on fait à ce que l'on devrait faire, que tout homme qui règlera sa conduite sur l'idée du devoir des hommes et non pas sur ce qu'ils sont en effet, connaîtra plus vite la ruine que la sécurité. Car un homme qui voudra faire en toutes choses profession de vertu, périra dans la cohue des scélérats. C'est pourquoi tout Prince qui voudra conserver son Etat, doit apprendre à n'être pas toujours bon, mais à user de la bonté selon les circonstances.
Je laisse donc là les belles idées que l'on nous donne sur les Princes, et ne m'arrêtant qu'à la vérité, je dis que tous les hommes, et particulièrement les Princes, qui sont plus exposés, se distinguent de tous par des caractères qui leur attirent le blâme ou l'approbation ; c'est-à-dire, que les uns passent pour libéraux, les autres pour miséreux (pour user d'une expression toscane, parce que, dans notre langue, on appelle l'avare, miséreux, en ce sens qu'il se prive de jouir de son bien) ; que les uns répandent les grâces, les autres pillent et dérobent ; que les uns sont humains, d'autres cruels, d'autres perfides, d'autres loyaux ; que les uns sont efféminés et lâches, les autres fiers et hardis, lascifs ou chastes, sincères ou astucieux, sévères ou indulgents, graves ou étourdis, religieux ou incréduels, etc.
Je ne doute point que tout le monde ne souhaite dans un Prince tous les caractères les plus honnêtes dont nous venons de parler. Mais parce qu'il est impossible qu'il les ait tous, ni même qu'il les adopte, à cause de l'état corrompu où se trouvent les hommes, sa prudence le doit porter à éviter particulièrement les défauts qui peuvent lui faire perdre ses Etats. Quant aux vices moins dangereux, il doit faire son possible pour n'y pas tomber ; et si cela ne se peut, qu'il s'y abandonne avec un peu de circonspection. Il faut même que le Prince ne se fasse pas une affaire d'avoir certains défauts sans lesquels il ne peut absolument conserver sa couronne. Car, en y réfléchissant bien, on constatera que certaines choses paraissent vertueuses qui pourtant, à les suivre, entraîneront la ruine du Prince, tandis que d'autres, qui paraissent vicieuses, lui donneront bien-être et sécurité.

(Suite à venir)
De la libéralité ou de l'avarice.


En commençant ce chapitre, je parlerai des deux premières qualités que je viens d'indiquer ; et je dis qu'il est avantageux à un Prince de passer pour libéral. Cependant, cette qualité peut lui être nuisible s'il en use jusqu'à n'être plus respecté. Mais s'il en use avec mesure, et comme il faut, elle restera discrète, et il échappera à la réputation du vice opposé. Au contraire, à vouloir passer dans le monde pour véritablement libéral, il devient nécessaire de ne négliger aucune occasion d'être somputeux, ce qui consumera toutes les finances d'un Prince : il sera obligé, pour garder cette réputation de libéralité, de surcharger ses sujets, de rechercher les occasions de confiscation, et d'en venir à des moyens indignes pour remplir ses coffres, ce qui le rendra odieux à son peuple et méprisable à tout le monde, comme s'il était devenu pauvre. Ainsi, s'étant fait peu d'amis par sa libéralité, et beaucoup d'ennemis pour la soutenir, il est exposé à la plus petite révolution, et il court de grands risques dans le moindre mouvement. Il ne manque pas de s'en apercevoir, et pour y remédier, il tombe dans la réputation d'être avare et resséré.
Puisqu'un Prince, donc, ne peut, sans s'exposer beaucoup, parvenir à passer pour magnifique, il doit, s'il est sage, mépriser ce surnom d'avare, parcequ'avec le temps, cette réputation s'efface, lorsqu'on voit que grâce à son économie, ses revenus ordinaires lui suffisent, qu'il peut se défendre et faire la guerre sans surcharger ses sujets, et qu'enfin, il est véritablement libéral envers l'infinité de ceux à qui il laisse la paisible possession de leurs biens, s'il est resserré à l'égard d'un petit nombre de gens.
De nos jours, nous n'avons vu que ceux qui passaient pour avares ; les autres ont tous péri. Le pape Jules II travailla à se faire passer pour libéral, afin de s'ouvrir le chemin au pontificat ; mais dès qu'il eut résolu de faire la guerre au roi de France, il négligea cette réputation : ce qui fut cause qu'il soutînt plusieurs guerres sans mettre un seul impôt nouveau sur ses sujets, parcequ'il avait substitué à ses dépenses somptuaires une longue parcimonie. Le roi d'Espagne d'aujourd'hui n'aurait pas eu tant d'heureux succès, s'il eut voulu passer pour libéral.
Qu'un prince judicieux méprise donc ceux qui parlent de lui comme d'un avare, pourvu qu'il ne vole rien à ses sujets, qu'il puisse soutenir les guerres, qu'il évite d'être pauvre et par conséquent méprisé, et qu'il ne soit point obligé à devenir rapace. En effet, l'avarice est un des vices nécessaires pour régner. Si l'on dit que César parvint à l'empire par sa libéralité, et que plusieurs autres se sont extrêmement élevés par ce moyen-là, je réponds que vous êtes Prince, ou sur le chemin de l'être. Dans le premier cas, la libéralité est dangereuse ; mais c'est une qualité absolument nécessaire lorsqu'on veut parvenir à la souveraine puissance. César était dans cette situation ; mais s'il eût été empereur, et qu'il eût conservé cette position, il n'aurait pas manqué de perdre l'empire.
Si l'on ajoute que plusieurs Princes déjà établis, ont passé pour très libéraux, et qu'ils ont fait, cependant, de grandes choses avec leurs armées, je répondrai qu'un souverain dépense son bien, et celui de ses sujets, ou bien d'autrui. Dans le premier cas, il doit observer toujours une très grande économie ; dans le second, il ne doit épargner aucune libéralité. Le Prince qui marche avec ses armées, qui s'enrichit de butin, de rapine, de tributs, et qui manie le bien d'autrui, doit s'abandonner à la magnificence, s'il veut que ses soldats le suivent. Soyez donc très libéral de ce que vous ne tirez points de vos coffres, ni de ceux de vos sujets. Alexandre, Cyrus et César, mirent tous cette politique en usage : car on ne perd point sa réputation, mais, au contraire, on l'augmente beaucoup, lorsqu'on fait largesse du bien des ennemis. Il n'y a que la profusion du vôtre qui vous soit préjudiciable. Cette dernière sorte de libéralité se détruit elle-même : plus on la met en usage, moins on est en état de la pratiquer. De sorte qu'enfin, on devient pauvre et méprisable, ou, pour éviter l'indigence, rapace et odieux. Or, le mépris et la haine doivent être évités par-dessus toutes choses par les Princes ; et la libéralité conduit à l'un ou à l'autre.
Il est donc plus sage de passer pour avare, ce qui engendre mépris sans haine, que de receuillir, en désirant le nom de magnifique, celui de rapace, ce qui engendre un mépris haineux.
De la cruauté et de la clémence ; et s'il est plus avantageux à un Prince d'être craint ou aimé.


Dissertant après cela des autres qualités qui se doivent rencontrer chez un Prince, je soutiens qu'il lui faut souhaiter de passer plutôt pour clément que pour sévère. César Borgia passait pour cruel ; néanmoins, c'est par cette qualité qu'il avait rétabli la Romagne, qu'il l'avait unifiée et ramenée à la paix et à la bonne foi. Et peut-être qu'en examinant la chose de plus près, l'on verra que le Duc était plus clément que les Florentins, qui pour éviter de passer pour trop cruels, laissèrent détruire Pistoia. Ce qui fait voir qu'il faut compter pour rien la réputation de sanguinaire, quand cela devient utile pour maintenir la paix et la fidélité dans un Etat. Car un Prince se trouvera plus humain en faisant un petit nombre d'exemples nécessaires, que ceux qui, par trop d'indulgence, encouragent les désordres qui entraînent avec eux les meurtres et les brigandages : ces tumultes boulversent tout le monde, au lieu que les peines infligées par le Prince ne portent que sur quelques particuliers.
Or, entre tous les Princes, il n'en est point qui puissent éviter moins la réputation d'être cruels, que ceux qui sont nouvellement élevés à la souveraine puissance, à cause des périls auxquels ils sont exposés. C'est ainsi que Virgile, faisant parler Didon, excuse l'inhumanité de son règne parcequ'il est récent, et s'exprime ainsi :
Res dura, et regni novitas me talia cogunt
Moliri, et lates finis custode tueri
Il ne faut pourtant pas qu'un Prince soit trop crédule ni trop prompt à s'alarmer sur les moindres mouvements ; que la défiance ne le rende point insupportable, ni l'assurance imprudent. C'est ce qui a donné lieu à cette question de politique : s'il est plus avantageux d'être aimé ou redouté. L'on répond qu'il serait à souhaiter que l'on fût l'un et l'autre ; mais comme il est difficile de réunir les deux, s'il est question de se déterminer à l'un des deux partis, il est plus sûr d'être craint que d'être aimé seulement. La raison en est que la généralité des hommes est portées à l'ingratitude, au changement, à la dissimulation, à la lâcheté et à l'intérêt ; pendant, à la dissimulation, à la lâcheté et à l'intérêt ; pendant que vous leur faites du bien, ils sont entièrement à vous, leur sang, leurs richesses, leur vie, leurs enfants ; mais (comme je l'ai dit plus haut) ce n'est que pendant que le péril est éloigné, car ils changent d'attitude dès qu'il est proche. Le Prince qui a compté sur de belles paroles, se trouve à l'occasion bien dénudé, s'il n'a pas pris d'autres mesures : tant il est vrai que les amitiés achetées par les bienfaits, et non pas acquises par la vertu et la grandeur d'âme, sont bien légitimement dues, mais non pas assurées. De plus, les hommes n'appréhendent pas tant d'offenser ceux qui se font aimer que ceux qui se font craindre, l'amour n'étant qu'un lien d'obligation que la malice, la bassesse du genre humain ont rendu très fragile ; au lieu que la crainte, ayant pour base le châtiment, ne sort jamais de l'esprit des hommes.
Cependant, un Prince doit se faire craindre de manière que, s'il ne se fait point, il ne soit point haï, ce qui n'est pas incompatible ; avec cette ferme résolution, il laissera les sujets posséder en sûreté leurs biens et leurs femmes. Que, s'il est obligé de répandre du sang, il n'en vienne jamais là sans véritables causes ni preuves manifestes : mais surtout, qu'il ne dépouille jamais personne de son bien, car on oublie beaucoup plus aisément la mort de son père que la perte de sa succession. D'ailleurs, un Prince qui a pris goût aux confiscations trouve toujours des occasions nouvelles ; mais quand il s'agit de répandre le sang, les prétextes en sont plus rares et plus difficiles à trouver.
Lorsqu'un Prince vit avec ses armées et gouverne un grand nombre de soldats, il lui faut mépriser la réputation d'être cruel : car sans cela, jamais on ne tiendra une armée bien unie, bien disciplinée, ni propre aux grandes actions. Annibal, qui s'est fait admirer par tant d'endroit, était particulièrement digne de l'être en ce qu'ayant une très nombreuse armée, composée de tant de différentes nations, qu'il conduisait à la guerre dans des pays fort éloignés, il n'y arriva jamais ni division, ni mutinerie, quelque bonheur ou quelque disgrâce que la Fortune lui envoyât. Il ne vint à bout d'une chose si extraordinaire que par son inhumaine cruauté, qui étant jointe aux grandes qualités qu'il possédait, le rendait vénérable et terrible à ses soldats : sans cette attitude, tous ses autres talents ne lui eussent servi de rien. C'est ce qui fait voir le peu de jugement des historiens qui exaltent ses exploits, tout en taxant son excessive rigueur, qui en était pourtant la source principale.
Pour faire voir que les admirables qualités d'Annibal ne lui eussent pas suffi, il n'y a qu'à regarder Scipion, si illustre dans son temps et dans tous les âges, mais dont les troupes, cependant, se mutinèrent en Espagne : ce ne vint que de sa grande douceur qui avait laissé prendre aux soldats plus de licence que n'en doit souffrir la discipline militaire. Fabius Maximus le lui reprocha en plein Sénat, en le nommant corrupteur de la milice Romaine. Ceux de Locres ayant été saccagés par un lieutenant de Scipion, il ne leur en fit aucune justice, parce qu'il était de nature trop facile. Ce qui fut cause que quelqu'un dit, en voulant le justifier devant le Sénat : qu'il y avait des gens à qui il était plus aisé de s'empêcher de faire des fautes, que de corriger celles d'autrui. Cette grande douceur aurait enfin fait perdre à Scipion toute sa gloire, s'il en avait toujours usé dans le commandement ; mais comme il dépendait du Sénat, cette disposition néfaste non seulement demeura cachée, mais tourna enfin à son honneur.
Ainsi, pour revenir à notre sujet, je conclus que, puisque les hommes son maître de leur bienveillance, et qu'ils ne le sont pas de leur crainte, un Prince prudent comptera bien plutôt sur ce qui dépend de lui, que sur ce qui dépend des autres ; et tout ce qu'il doit faire après cela, c'est d'éviter, comme je l'ai dit, de se rendre odieux.


(Suite à venir)
De quelle manière les Princes doivent garder la foi jurée


Combien il est louable pour un prince de tenir sa parole et de vivre avec droiture et non avec ruse, chacun l’entend ; toutefois on voit par expérience de notre temps qu’ont fait de grandes choses les princes qui ont tenu peu compte de leur parole et qui ont su par la ruse tromper l’esprit des hommes : à la fin ils ont dépassé ceux qui se sont fondés sur la loyauté.


Vous devez donc savoir comment il y a deux façons de combattre : l’une avec les lois, l’autre avec la force ; la première est propre à l’homme, la deuxième aux bêtes. Mais, parce que très souvent la première ne suffit pas, il convient de recourir à la seconde. Aussi est-il nécessaire à un prince de savoir bien user de la bête et de l’homme. Ce point a été enseigné aux princes à mots couverts par les écrivains anciens, qui écrivent comment Achille et bien d’autres princes de l’Antiquité furent confiés à l’éducation du centaure Chiron, afin qu’il les garde sous sa direction. Ce qui ne signifie rien d’autre, d’avoir pour précepteur un être mi-bête mi homme, sinon qu’il faut qu’un prince sache user de l’une et de l’autre nature ; l’une sans l’autre ne peut durer.


Un prince étant donc obligé de savoir bien user de la bête, il doit parmi elles choisir le renard et le lion, car le lion ne se défend pas des pièges, le renard ne se défend pas des loups. Il faut donc être renard pour connaître les pièges, et lion pour effrayer les loups. Ceux qui s’en tiennent simplement au lion n’y entendent rien. Par conséquent un souverain sage ne peut ni ne doit observer sa parole, lorsqu’un tel comportement risque de se retourner contre lui et qu’ont disparu les raisons qui la firent engager. Si les hommes étaient tous bons, ce précepte ne serait pas bon ; mais, comme ils sont méchants, et n’observeraient pas leur parole envers vous, vous non plus n’avez pas à l’observer envers eux. Jamais à un prince n’ont manqué des motifs légitimes de farder son manque de parole. On pourrait en donner une infinité d’exemples modernes et montrer combien de paix, combien de promesses ont été rendues caduques et vaines par le manque de parole des princes : celui qui a le mieux su user du renard a mieux réussi. Mais il est nécessaire de savoir bien farder cette nature et d’être grand simulateur et dissimulateur : les hommes sont si simples et obéissent si bien aux nécessités présentes, que celui qui trompe trouvera toujours quelqu’un qui se laissera tromper.


Parmi les exemples récents, il en est un que je ne veux pas taire. Alexandre VI ne fît jamais autre chose, ne pensa jamais à autre chose qu’à tromper les gens et trouva toujours matière à pouvoir le faire. Il n’y eut jamais d’homme qui fût plus efficace pour prétendre une chose et l’affirmer avec de plus grands serments, et qui l’observât moins. Néanmoins toujours les tromperies lui réussirent selon ses vœux, parce qu’il connaissait bien cet aspect du monde.


Pour un prince, donc, il n’est pas nécessaire d’avoir en fait toutes les qualités susdites, mais il est tout à fait nécessaire de paraître les avoir. J’oserai même dire ceci : si on les a et qu’on les observe toujours, elles sont néfastes ; si on paraît les avoir, elles sont utiles ; comme de paraître miséricordieux, fidèle à sa parole, humain, honnête, religieux, et de l’être ; mais avoir l’esprit tout prêt, s’il faut ne pas l’être, à pouvoir et savoir changer du tout au tout. Il faut comprendre qu’un prince, et surtout un nouveau prince, ne peut observer toutes les choses pour lesquelles les hommes sont jugés bons, étant souvent contraint, pour maintenir son pouvoir, d’agir contre sa parole, contre la charité, contre l’humanité, contre la religion. Aussi faut-il qu’il ait un esprit disposé à tourner selon ce que les vents de la fortune et les variations des choses lui commandent, et, comme je l’ai dit plus haut, ne pas s’écarter du bien, s’il le peut, mais savoir entrer dans le mal, y étant contraint.


Un prince doit donc avoir grand soin que ne lui sorte jamais de la bouche une chose qui ne soit pleine des cinq qualités nommées ci-dessus ; et de paraître, à le voir et à l’entendre, toute miséricorde, toute bonne foi, toute droiture, toute humanité, toute religion. Et il n’est pas de chose plus nécessaire à paraître avoir que cette ultime qualité. Les hommes en général jugent plus selon leurs yeux que selon leurs mains ; car chacun a la capacité de voir, mais peu celle de ressentir. Chacun voit ce que vous paraissez, peu ressentent ce que vous êtes. Ce petit nombre n’ose pas s’opposer à l’opinion du grand nombre, qui a la majesté de l’Etat pour le soutenir ; dans les actions de tous les hommes et surtout des princes, où il n’est pas de tribunal à qui recourir, on considère la fin. Qu’un prince donc s’efforce de vaincre et de conserver son pouvoir, les moyens seront toujours jugés honorables et loués de tous, car le vulgaire est convaincu par les apparences et par l’issue des choses. Dans le monde il n’y a que le vulgaire ; le petit nombre n’y a pas de place, alors que le grand nombre a où s’appuyer. Certain prince du temps présent, qu’il n’est pas bon de nommer, ne prêche jamais rien d’autre que la paix et la bonne foi et il est le plus grand ennemi de l’une et de l’autre ; l’une et l’autre, s’il les avait observées, lui auraient plusieurs fois ôté son crédit ou son pouvoir.
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