Bonjour cher journal. Tu me pardonneras de te faire commencer au mois d’avril dernier… J’étais alors loin de me douter que je t’écrirais un jour, je n’avais pas même idée de l’existence de FTS. Je n’en avais pas besoin, en couple depuis 8 ans, 2 mômes, pas franchement heureux mais dans une zone de confiance que l’on refuse de quitter par peur du vide.
Avril, donc. Voici quelques semaines que je connais Alice. Enfin, connaître est un bien grand mot : je ne l’ai jamais vue. Nous sommes juste « amis » sur Facebook pour cause de relation commune sur les statuts de laquelle nous nous retrouvons presque tous les jours pour délirer. La complicité est évidente, on se cherche, on se surenchérit, on se vanne, on ne se quitte plus. Jusqu’à ce qu’amusée, cette amie commune se met en tête d’organiser la rencontre, la vraie. Elle en fait une affaire personnelle, nous survend l’un à l’autre, nous met au défi de la convaincre que l’on en crève pas d’envie.
Problème. J’ai une famille, elle est mariée depuis un an et essaie de faire un bébé. Quoi de plus naturel qu’une simple rencontre entre amis me diras-tu. Certes. Mais l’on résiste l’un et l’autre à cette idée, comme si l’on savait mettre le doigt dans un engrenage, comme si l’on connaissait la fin de l’histoire. Je finis néanmoins par accepter en posant comme condition la présence de nos conjoints respectifs. Evitons tout malentendu.
Alice est plus grande que ses photos ne m’avait laissé imaginer. Mais elle n’est pas moins belle. La soirée tourne au dialogue. Son époux me poignarde silencieusement d’un regard que je ne peux soutenir, ma compagne me reproche de faire le coq, notre amie jubile.
Les jours qui suivent, je tente en vain de l’amener à chatter. Forte résistance. Les quelques mots que je parviens à lui arracher me parlent toujours de son mari. Dont acte. C’est sans doute mieux ainsi. Quatre semaines passent où l’on s’éloigne inexorablement. Jusqu’au jour où je reçois un drôle de mail :
Ne me dis pas que tu ne te poses pas de questions sur moi. Les réponses sont dans l’ordre : Non, jamais de la vie. Pourquoi pas ? A cause de ton attitude de célibataire. Très bien, que veux-tu savoir ?
J’ai l’impression que ma cage thoracique se venge de l’avoir plongée dans un trop long coma. Le jeu peut commencer, il va durer 15 jours. 15 jours où l’on va se raconter nos secrets les plus enfouis. Où les journées sont rythmées par des heures de chat, et les nuits par de longs mails. Puis viennent les textos, et bientôt le téléphone. Toute forme de vie sociale et professionnelle s’efface devant notre besoin compulsif de communiquer. Après tout, quoi de mal à entretenir une liaison épistolaire, puisque une trentaine de kilomêtres nous séparent et que l’on ira pas jamais plus loin sans l’avoir mûrement décidé et pesé les conséquences.
Mais c’est vanité de croire que l’on peut arrêter une machine qui s’emballe…
Une heure avant l’heure dite, coup de fil. Elle sera un peu en avance, si je peux me libérer plus tôt. Mais le ton de sa voix me dit exactement le contraire. Elle est tendue, je sens qu’elle regrette sa proposition, qu’elle souhaiterait que je l’en libère. Je ne le fais pas et acquièce…A : J’ai un rendez-vous en ville cet après-midi, tu crois qu’on va se croiser par hasard ?
M : C’est une grande ville, si je te croise ce ne sera pas le hasard mais le destin
A : demande au destin si tu peux être à 17h dans tel quartier
Elle arrive finalement après s’être faite attendre. Tout dans son attitude suggère une envie de fuite, même ses lunettes de soleil ne parviennent à me cacher son incapacité à me regarder. Je ne sais pas comment la rassurer, surjoue la confiance, le sourire, je parle de ma semaine pour ne pas laisser de blanc s’installer, bref je suis maladroit. Après des minutes d’éternité, je parviens à la mettre enfin à l’aise en l’invitant à me raconter le voyage qu’elle doit faire une semaine plus tard. Elle sort son agenda ou chaque étape est notée scrupuleusement, elle retire ses lunettes, son sourire s’illumine, elle parle en dessinant les lieux avec les mains. On se rapproche imperceptiblement mais sûrement, on se kinotte… on finit par se perdre dans les yeux l’un de l’autre, je lui pose la main sur la joue. C’est le moment où elle me dit :
Je ne connaissais rien à l’époque du jargon de FTS. Etait-ce un « shit-test », une « ASD », une « LMR » ? Je n’ai en tout cas pas su le gérer, peut-être étais-je même soulagé de ne pas le faire. La rencontre a tourné court, après un autre moment d’infinie tristesse dans les regards échangés au moment de se quitter. Nous sommes alors en juin.Mon modèle de couple, c’est la fidélité. J’ai toujours pensé que si je le trompais un jour, ce serait pour une relation uniquement physique. J’ai peur d’être déjà trop impliquée affectivement. J’espère que tu comprends que ce n’est pas possible.
Ce fut le début d’un long silence. Au troisième jour, je reprenais le chemin du bureau de tabac après un an d’arrêt. Au quatrième, je me prenais les remarques désobligeantes d’amis me rapportant qu’elle disait « que je m’étais fait des films » alors qu’elle oubliait consciencieusement de dire comment elle en avait co-écrit le scénario. Au cinquième, une crise d’orgueil blessé me conduisit à écrire un mail aussi violent que définitif… Le silence dura 6 semaines, au cours desquelles le one-itis me conduira aux frontières de la dépression et à l’explosion de mon couple.
(Pardonne-moi cher journal, je serai plus bref dans les épisodes suivants. C’était important de te raconter pourquoi j’en suis arrivé à t’écrire… D’exorciser aussi, pour mieux passer à la suite)