Le Peuple Blanc

Note : 9

le 04.05.2010 par Banshee

2 réponses / Dernière par Banshee le 11.05.2010, 14h28

Etat d'esprit / psychologie / dev perso / vie intérieure.
Un forum pour celles et ceux qui s'intéressent au dev perso, à l'équilibre intérieur, à la psychologie. Surmonter ses blocages, ses croyances limitantes, nourrir et développer ses forces, etc.
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Puisqu'on est aussi sur un forum de développement personnel, et qu'un peu de culture littéraire et philosophique, même borderline, ne fait jamais de mal, voici un des plus beaux, et un des plus effrayants, textes que j'aie eu l'occasion de lire. Il traite de la nature du Mal.

Le texte est l'introduction à la novella Le Peuple Blanc, d'Arthur Machen, un écrivain fantastique gallois des années 30, qui avait parfois des visions d'une lucidité à glacer le sang. Guillermo del Toro s'en est probablement fortement inspiré pour le Labyrinthe de Pan, bien qu'il ne l'ait jamais officiellement avoué. Le texte peut également être trouvé dans le Matin des Magiciens, le manifeste du réalisme fantastique de Jacques Bergier et Louis Pauwels.

Pour les anglophones, le texte original peut être trouvé ici (sans aération de texte) :
http://arthursclassicnovels.com/horror/whitep10.html.

Je travaille actuellement sur une traduction remaniée de la nouvelle entière. Je la posterai dès que possible pour les intéressés. Elle est passée dans le domaine public maintenant.
Arthur Machen a écrit :
- La sorcellerie et la sainteté, dit Ambrose, voilà les deux seules réalités. Chacune est un transport des sens, un exutoire à la vie quotidienne. »

Cotgrave tendit l’oreille, intéressé. Il se trouvait dans cette maison décrépite à cause d’un ami qui l’y avait emmené d’un faubourg plus au nord, par un vieux jardin jusqu’à la pièce où Ambrose jouissait et rêvait en ermite de ses livres.

- En effet, ajouta-t-il, la magie trouve sa justification dans ce qu’elle engendre. Beaucoup d’hommes se nourrissent de pain sec et d’eau et en éprouvent une joie d’une acuité sans commune mesure avec les expériences de l’épicurien « pratique ».

- Vous voulez parler des saints ?

- Oui, mais aussi des pécheurs. Vous tombez dans l’erreur très répandue de restreindre le monde spirituel aux gens souverainement bons ; mais les souverainement mauvais y ont aussi nécessairement leur part. L’homme simplement fait de chair et de sens ne peut pas plus être un grand pécheur qu’un grand saint. La plupart d’entre nous sommes juste des créatures indifférentes errant sans but précis ; nous nous frayons un chemin dans le monde sans comprendre la signification et le sens interne aux choses, et, par conséquent, notre bonté et notre malice sont semblables : médiocres et sans importance.

- Vous pensez donc que le grand pécheur peut être un ascète à l’instar du grand saint ?

- Les grands hommes, dans le bien comme dans le mal, sont ceux qui délaissent les imitations sans valeur au profit des originaux parfaits. Je suis fermement convaincu que la plupart des plus grands saints n’ont jamais fait une bonne action – au sens ordinaire du terme. Et d’un autre côté, parmi ceux qui ont sondé les plus profonds abîmes du mal, il en est qui de leur vie n’ont commis un péché. »

Il sortit de la pièce un instant, et Cotgrave, transporté, se tourna vers son ami pour le remercier de l’avoir introduit à un tel homme.

- Il est extraordinaire, dit-il. J’ai connu des fous, mais jamais un qui l’en approche. »

Ambrose revint avec une bouteille de whisky et servit une généreuse rasade aux deux hommes. En leur tendant l’eau de Seltz, il vilipenda abondamment le mouvement de tempérance et, se versant un verre d’eau pour lui-même, était sur le point de reprendre son soliloque, quand Cotgrave l’interrompit.

- Vos paradoxes sont trop monstrueux, dit-il. Je ne peux tout simplement pas les accepter. Un homme peut être un grand pécheur et n’avoir jamais fait quelque chose de répréhensible ? Allons !

- Vous avez tort, dit Ambrose. Je ne fais jamais de paradoxes, même si j’aimerais le pouvoir. J’ai simplement suggéré qu’un homme pouvait avoir un goût exquis en Romanée Conti, et n’avoir jamais même senti de la piquette. C’est tout, et cela ressemble plus à un truisme qu’à un paradoxe, n’est-ce pas ? Votre réaction à ma remarque est due au fait que vous n’avez pas saisi ce qu’est le péché. Je vous l’accorde, il y a une sorte de lien entre le Mal avec une majuscule, et les actions habituellement réputées mauvaises : tout ce qui relève du meurtre, du vol, de l’adultère, etc. A peu près le même lien qui existe entre l’alphabet et la grande littérature. Mais je crois que cette incompréhension découle dans une large mesure du regard que nous portons sur la question, voilé par des verres sociaux. Nous pensons qu’un homme qui fait du mal à nous et à ses voisins doit être foncièrement mauvais. Il l’est, d’un point de vue social. Mais ne comprenez-vous pas que le Mal dans son essence est un fait isolé, une passion de l’âme, solitaire et individuelle ? Le criminel moyen, l’assassin lambda, n’est en aucune manière un pécheur au sens véritable. C’est simplement une vermine enragée dont on doit se débarrasser pour préserver nos gorges de sa lame. Je le classerais plus parmi les tigres que parmi les pécheurs.

- Cela a l’air un peu étrange.

- Pas tant que ça. Le criminel ne tue pas à cause de qualités positives, mais de qualités négatives ; il est dépourvu de quelque chose que les non-criminels possèdent. Le Mal, bien sûr, est totalement positif – il n’a que le tort d’être du mauvais côté. Vous pouvez me croire quand je dis que le péché au sens propre est extrêmement rare ; il est probable qu’il y ait eu bien moins de pécheurs que de saints. Bien sûr, votre point de vue se défend parfaitement dans des situations sociales et pratiques : nous avons naturellement tendance à penser qu’un homme mal embouché doit être un grand pécheur. La vérité, c’est qu’il a laissé son potentiel en friche. Il ne peut pas être saint, mais il peut être, et il est souvent, infiniment meilleur que des milliers de créatures qui n’ont jamais failli à un seul commandement. Il peut nous causer de graves préjudices, je l’admets, et nous devons le mettre hors d’état de nuire si nous l’attrapons ; mais entre cette action antisociale et fauteuse de trouble et le mal – Mon Dieu, le lien est des plus ténus. »

La nuit était déjà bien avancée. L’homme qui avait amené Cotgrave avait probablement déjà entendu tout cela auparavant, à en juger par son sourire vide, légèrement narquois, mais Cotgrave commençait à voir d’un autre œil son interlocuteur, plus comme un sage que comme un fou.

- Savez-vous, dit-il, que vous m’intéressez immensément ? Vous pensez donc que nous n’appréhendons pas clairement la véritable nature du mal ?

- Non, je ne pense pas. Nous le surestimons et le sous-estimons à la fois. Nous examinons les nombreuses infractions aux lois – les réglementations bonnes et nécessaires qui maintiennent une certaine cohésion dans l’humanité – commises par nos « repris de justice » et nous nous effrayons de l’étendue du « péché » et du « mal ». Mais c’est totalement absurde. Prenez le vol, par exemple. Ressentez-vous quelque horreur à la pensée de Robin des Bois, des malandrins écossais du XVIIe siècle, des moss-troopers, de nos actuels promoteurs immobiliers ?
Et, d’un autre côté, nous sous-estimons le mal. Nous attachons une si énorme importance au « péché » que commet un homme quand il nous fait les poches – ou notre femme – que nous en avons presque oublié l’obscénité du véritable péché.

- Et qu’est-ce que le… péché, dit Cotgrave ?

- Je vais répondre à votre question par une autre. Qu’éprouveriez-vous sérieusement, si votre chat ou votre chien se mettait à vous parler, et à discuter gravement avec des accents humains ? Vous seriez submergé par l’horreur, c’est sûr ! Et si les roses de votre jardin se mettaient à siffler sur un air bizarre ? Vous deviendriez fou ! Et supposez que les pavés sur l’allée commencent à grossir et se boursoufler sous vos yeux, et que des bourgeons de pierre aient poussé au caillou que vous avez remarqué la veille ?
Eh bien, ces exemples vous donnent une idée correcte de ce qu’est réellement le péché.

- Ecoutez, dit le troisième homme, qui n’avait pas soufflé mot jusqu’ici, vous deux semblez bien partis, mais il faut que je rentre. J’ai manqué mon tram et il va falloir que ej marche. »

Après son départ, Ambrose et Cotgrave se carrèrent plus profondément dans leurs fauteuils. Au-dehors, la brume matinale gelait la pâle lueur des becs de gaz.

- Vous me stupéfiez, dit Cotgrave. Je n’avais jamais songé à cela. S’il en est vraiment ainsi, tout est à revoir. Alors l’essence du péché serait…

- Vouloir prendre le ciel d’assaut, dit Ambrose. Le péché est simplement pour moi une tentative de forcer l’entrée dans une autre sphère supérieure de manière interdite. Vous comprenez maintenant pourquoi il est si rare. Peu de gens désirent s’introduire dans les autres sphères, supérieures ou inférieures, de façon permise ou défendue. Dans l’ensemble, les hommes se satisfont amplement de leur vie comme elle vient. Par conséquent, il y a peu de saints, et les véritables pécheurs sont encore plus rares. Sans compter les hommes de génie, qui participent parfois un peu des deux, rares, eux aussi. Oui, dans l’ensemble, il est parfois plus dur d’être un grand pécheur qu’un grand saint.

- Il y a quelque chose de foncièrement contre nature dans le Péché. C’est ce que vous voulez dire ?

- Exactement. La sainteté exige un aussi grand effort, ou presque, mais c’est un effort qui s’exerce de façon naturelle, un effort pour retrouver l’extase d’avant la Chute. Le péché, lui, est un effort pour s’approprier une extase et une connaissance qui est l’apanage des anges seuls, et dans cet effort, l’homme se transforme en démon. Je vous ai dit que le simple meurtrier n’est pas automatiquement un pécheur. C’est vrai, mais le pécheur est parfois un meurtrier. Prenez Gilles de Rais. Voyez-vous, si le bien et le mal sont étrangers à l’homme d’aujourd’hui – en tant qu’être civilisé et social – le mal l’est dans un sens plus profond encore que le bien. Le saint s’évertue à regagner un don qu’il a perdu, le pécheur tente de conquérir quelque chose qu’il n’a jamais eu. En bref, il répète la Chute.

- Êtes-vous catholique, demanda Cotgrave ?

- Oui. Je suis membre de l’Eglise Anglicane persécutée.

- Que faites-vous alors de ces textes où l’on nomme péché ce que vous classez comme délit sans importance ?

- Notez, s’il vous plaît, que l’on y voit à chaque fois apparaître le terme « sorciers » qui me semble être le mot-clé. L’idée vous traverserait-elle un instant de considérer un faux témoignage destiné à sauver la vie d’un innocent comme un péché ? Non ! Très bien. Dans ce cas, ce n’est pas le simple menteur que l’on exclut par ces mots ; c’est, par-dessus tout, les « sorciers » qui usent de la vie matérielle, qui tirent avantage des défaillances humaines comme des instruments pour parvenir à leurs fins abjectes. Laissez-moi vous dire ceci : notre conscience du spirituel est si émoussée, nous sommes à ce point gavés de matérialisme que nous ne reconnaîtrions probablement pas la vraie malice si elle nous passait sous le nez.

- Mais ne devrions-nous pas être la proie d’une certaine répugnance – l’effroi que vous m’avez dépeint en prenant l’exemple du rosier – par la simple présence d’un homme mauvais ?

- Nous le devrions, si nous étions encore naturels : les femmes, les enfants, même les animaux ressentent ce dégoût auquel vous faites allusion. Mais pour la plupart d’entre nous, les conventions, la civilisation, l’éducation, nous ont aveuglés, rendus sourds, et obscurci notre jugement. Non, quelquefois nous pourrions reconnaître le mal par sa haine enracinée du bien – personne n’a besoin d’être particulièrement perspicace pour deviner l’influence qui a dicté, presque inconsciemment, la critique de Keats par Blackwood – mais ce serait purement accidentel. Je soupçonne les Hiérarques de l’Enfer de passer presque inaperçus au milieu de nous, et d’avoir l’air dans certains cas aussi droits que certains hommes fourvoyés.

- Vous avez utilisé le terme « inconscient » à l’instant, en parlant des critiques de Keats. La malice est-elle toujours inconsciente ?

- Toujours. Il ne peut pas en être autrement. Le mal véritable est comme la sainteté et le génie. C’est un ravissement, une extase de l’âme, un effort transcendant pour repousser les limites de l’ordinaire. En les surpassant, il surpasse aussi la compréhension, la faculté de prendre note de ce qui le précède. Non, un homme peut être infiniment, horriblement mauvais et ne jamais le soupçonner. Mais je vous le répète, le mal, au sens véritable du mot, est rare, et il le devient de plus en plus.

- J’essaie de vous suivre, dit Cotgrave. Dois-je comprendre que le Mal véritable est d’une toute autre essence que ce que nous appelons généralement ainsi ?

- Absolument. Il y a sans aucun doute une analogie entre les deux, une lointaine ressemblance qui nous permet d’employer, avec une certaine légitimité, des métaphores comme le « pied de la montagne » ou le « pied de la chaise ». Et il arrive, bien sûr, que les deux parlent un même langage comme ils en avaient l’habitude. Un mineur mal dégrossi, échauffé par plusieurs bouteilles, rentre chez lui et bat à mort son ingrate et exaspérante femme. C’est un meurtrier. Gilles de Rais était un meurtrier. Mais voyez-vous le gouffre qui sépare les deux ? Le mot, si je puis m’exprimer ainsi, est par accident le même dans chaque cas, mais la portée en est totalement différente. Le dictionnaire confond allègrement les deux, comme si « Jaggernaut » et « Argonautes » avaient une quelconque étymologie à partager. Il est certain que la même faible ressemblance existe entre tous les péchés « sociaux » et les vrais péchés spirituels, et dans certains cas, peut-être, les premiers peuvent jouer le rôle de « mentors » pour nous mener d’une faute mineure à des atrocités plus grandioses – de l’ombre à la lumière. Si vous êtes un tant soit peu théologien, vous devez comprendre.

- Je vous avoue que je n’ai guère consacré de temps à la théologie, remarqua Cotgrave. En fait, je me suis souvent demandé quelles prétentions avaient les théologiens pour parer du titre de Science des Sciences leur sujet d’études, et de plus, tous les ouvrages théologiques dans lesquels je me suis plongé m’ont toujours semblé remplis d’âneries dévotes et indéfendables dont je n’ai que faire. »

Ambrose se fendit d’un sourire.

- Il nous faut à tout prix éviter les disputes théologiques, dit-il, vous seriez un trop amer antagoniste. Mais ces « âneries » ont peut-être plus à voir avec la théologie que, mettons, les souliers du meurtrier avec le mal.

- Sans doute. Pour revenir à nos moutons, vous pensez que le péché est une chose occulte, secrète ?

- Oui. C’est le miracle infernal comme la sainteté est le miracle céleste. De temps à autre, il s’élève à un tel degré que nous ne pouvons qu’ignorer son existence. Il est comme la note des tuyaux les plus graves de l’orgue, si profonde que nous ne pouvons l’entendre. Parfois, il y a des retombées qui peuvent vous mener à l’asile ou à d’autres lieux plus étranges encore. Mais en aucun cas vous ne devez le confondre avec les méfaits sociaux. Souvenez-vous de l’Apôtre qui parlait de « l’autre côté » et faisait une distinction entre les actions « charitables » et la charité. Quelqu’un peut distribuer tous ses biens aux pauvres, et encore manquer de charité. De la même façon, on peut éviter tout crime et pourtant être pécheur.

- Voilà une singulière façon de penser, dit Cotgrave, mais j’avoue qu’elle me plaît ! Je suppose que, d’après vous, le véritable pécheur pourrait sans problème passer aux yeux de l’observateur pour un personnage parfaitement inoffensif ?

- Certainement, et pour la raison suivante : le Mal véritable n’a rien à voir avec la vie ou les lois de la société, ou si c’est le cas, c’est purement accidentel. C’est une passion solitaire de l’âme – ou une passion de l’âme solitaire – ce qui vous plaira. Si par hasard il nous arrive de l’appréhender, il nous frappe d’horreur et de crainte. Mais cette émotion se distingue totalement de la peur et du dégoût que nous avons pour le criminel ordinaire, ce dernier sentiment étant largement fondé sur la considération que nous dans laquelle nous tenons nos peaux ou nos portefeuilles. Nous exécrons l’assassin, parce que nous savons que nous détesterions être assassinés, nous ou un de nos proches. Par conséquent, nous vénérons les saints, mais nous ne les aimons pas de la même façon que nos amis. Auriez-vous apprécié la compagnie de St Paul ? Pensez-vous que cela aurait « marché » entre vous et Sire Galahad ?
Il en va des pécheurs comme des saints. Si vous croisiez la route d’un homme foncièrement mauvais, et reconnaissiez ce mal, vous seriez sans aucun doute frappé d’horreur et de révulsion instinctive, mais vous ne le trouveriez pas forcément antipathique pour autant. Et même, il est fort possible que vous arriviez à mettre de côté son péché et en veniez à trouver son commerce agréable, et sous peu, vous devriez vous faire violence pour laisser votre instinct vous dicter la bonne conduite à tenir. Et pourtant ! Personne ne peut vraiment deviner à quel point il est terrifiant. Si le chant des roses et des lilas emplissait soudain l’air du matin, si les meubles se mettaient en mouvement, comme dans le conte de Maupassant !

- Je suis content que vous reveniez à cette comparaison, dit Cotgrave, car je voulais vous demander à quoi correspondent, dans l’humanité, ces prouesses imaginaires des choses inanimées dont vous parlez. En un mot – qu’est-ce que le péché ? Vous m’avez donné, je le sais, une définition abstraite, mais j’aimerais un exemple concret.

- Je vous ai dit qu’il était très rare, se déroba Ambrose qui sembla, pour la première fois, vouloir éviter une réponse directe. Le matérialisme de notre époque, qui a beaucoup fait pour supprimer la sainteté, a peut-être fait plus pour supprimer le mal. Nous trouvons la terre si confortable que nous n’avons aucune envie de creuser trop profond ou de nous élever trop haut. Tout se passe comme si le spécialiste des affaires infernales en était réduit à des recherches purement archéologiques. Aucun paléontologiste ne pourrait vous montrer un ptérodactyle en vie.

- Vous, par contre, vous êtes « spécialisé », à ce que j’ai entendu dire, et on dit même que vos recherches se sont étendues jusqu’à notre époque moderne.

- Rien ne vous fera donc changer d’idée ! Je confesse que j’ai fait quelques recherches – en amateur – et si vous en avez envie, je peux vous montrer quelque chose qui porte sur le curieux sujet dont nous venons de discuter. »

Ambrose prit une chandelle et se dirigea vers un coin faiblement éclairé de la pièce. Cotgrave le vit ouvrir un secrétaire rongé par le temps, en tirer un paquet de quelque tiroir secret, puis il revint sur ses pas.
Ambrose défit l’enveloppe de papier et exhiba un livre avec une couverture verte.

- Prenez-en soin, dit-il. Ne le laissez pas traîner. C’est une des pièces choisies de ma collection, et cela m’ennuierait beaucoup si elle venait à être perdue. »

Il passa amoureusement un doigt sur la tranche défraîchie.

- J’ai connu la femme qui a écrit cette histoire. Quand vous la lirez, vous comprendrez à quel point elle illustre bien la discussion que nous avons eue ce soir. Il y a une suite, mais je n’en parlerai pas.
Il y a eu un article étrange dans un des quotidiens de la ville voici quelques mois, ajouta-t-il avec l’air d’un homme qui change de sujet. Il a été écrit par un médecin – le Dr Coryn, il me semble. C’est l’histoire d’une mère qui regardait sa fille jouer dans le salon quand soudain, la guillotine de la fenêtre céda et tomba sur ses doigts. Comme vous l’imaginez, la dame s’évanouit, mais quelqu’un envoya tout de même chercher le médecin. Une fois qu’il eût bandé la main estropiée de l’enfant, il fut appelé au chevet de la mère : elle gémissait de douleur, et en l’examinant, il découvrit que trois doigts de sa main, correspondant aux doigts blessés de celle de l’enfant, était rouges et enflammés, et présentaient – dans le langage médical – un début d’abcès purulent.

Ambros tenait encore avec précaution le volume vert.

- Tenez, lâcha-t-il enfin, comme si se séparer de son trésor lui coûtait un bras. Vous me le rapporterez dès que vous l’aurez terminé, ajouta-t-il comme il raccompagnait son hôte dans le jardin, chargé de la fragrance des lilas blancs.

Quand Cotgrave se retourna pour prendre congé, un large ruban sanguinolent soulignait l’horizon à l’est, et des hauteurs où il se tenait, il lui sembla voir l’affreux spectacle de Londres grouillant à ses pieds, comme dans un rêve.

Arthur Machen - Incipit to The White People (1904)

Texte complet ICI. Clic droit/Enregistrer sous
    Notes et commentaires reçus par ce post :
  • [+2] Instructif le 04.05.10, 20h05 par Vafel
  • [+3] Intéressant le 04.05.10, 22h06 par FK
  • [+1] A lire le 05.05.10, 12h25 par bigdogg
  • [+3] Merci ! :) le 12.05.10, 11h47 par IceCold

Merci pour cette découverte c'est à mon sens l'un des trucs les plus intelligents posté sur ce forum depuis longtemps.
    Notes et commentaires reçus par ce post :
  • [0] De rien ! ;-) le 05.05.10, 08h01 par Banshee

Pour les intéressés, je prépare un recueil avec les textes les plus marquants de Machen (le Grand Dieu Pan, le Peuple Blanc, la Poudre Blanche), que je mettrai à disposition bien évidemment gratuitement. Ce sera ma propre traduction donc a priori libre de droits vu que les textes originaux sont tombés dans le domaine public, mais pour éviter tout conflit (en particulier pour le Grand Dieu Pan, encore édité avec la traduction de Jean-Paul Toulet), je ne mettrai pas de lien direct ici.

MP moi si vous voulez.

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